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Accueil du site > Tribune Libre > Pourquoi je soutiens François Hollande

Pourquoi je soutiens François Hollande

« L’élection présidentielle, c’est la rencontre d’un homme avec le peuple. », affirme-t-on souvent. Rien de plus monarchique, en réalité, que cette personnalisation du pouvoir.

 

Non : en république, on ne vote pas pour homme, mais pour un cadre.

François Hollande n’était pas mon candidat lors des Primaires Citoyennes. Et, bien avant cette échéance majeure pour le pays, il m’est arrivé de manifester du scepticisme pour l’acteur politique. Je l’ai écrit quelquefois.

Peu importe. Car, derrière François Hollande, c’est toute une équipe qui peut être portée aux responsabilités afin de mettre un terme à dix années de droite et de ramification d'un Etat UMP. L’occasion de rompre enfin avec l’ère qui s’est ouverte le 21 avril 2002. Celle des Chirac, des Raffarin, des Villepin, des Fillon, des Hortefeux, et des Sarkozy.

« La gauche et la droite, c’est la même chose. », comme le prétend une certaine « gauche de la gauche » ? Quelques dizaines de milliers de postes supprimés dans l’Education nationale plus tard, je crois pouvoir affirmer sans trop me tromper que, non, la gauche et la droite, ce n’est pas la même chose. Définitivement.

J’aurais pu rappeler aujourd'hui que le candidat socialiste s’était révélé pendant cette campagne, et qu’il avait su se poser en rassembleur. J’aurais pu aussi décliner quelques unes de ses propositions, les commenter et les appuyer.

Toutefois, je préfère en revenir aux fondamentaux de l’identité de la gauche, et dire ce que j’espère de l’alternance qui se dessine pour le monde du travail et l’émancipation du salarié.

Emancipation sociale

 Plusieurs affaires tragiques pendant le dernier quinquennat, dont une série de suicides chez France Télécom, sont venues rappeler qu’avoir un emploi ne suffit pas : encore faut-il s’interroger sur les conditions dans lesquelles il est exercé. On peut être mal au travail  ; jusqu’à en mourir. La proposition de Nicolas Sarkozy qui vise à favoriser le contrat négocié dans l’entreprise, au détriment de l’application de la loi, s’avère dans une telle optique aberrante.

Elle ignore en effet quil existe généralement un rapport de forces tacite entre lemployeur et lemployé, qui fausse la « négociation ». Pour le dire autrement, libéraliser la relation qui les unit, cest fragiliser encore un peu plus le second devant le premier, et encourager lextension de larbitraire.

L'émancipation du travailleur, qui est constitutive de l'identité de la gauche, est passée aux XIXe et XXe siècles par l’élaboration d’un Code du travail, et par l’obtention d’acquis sociaux. Ils doivent être préservés, certes, mais cela ne suffit plus. Penser le XXIe siècle avec une grille de lecture obsolète reviendrait à apporter des réponses inappropriées aux problématiques de l’avenir. Le harcèlement moral au travail, dont il n’est pas toujours possible de prouver la réalité, permet à l’exploiteur contemporain de contourner le droit. Avec la tertiarisation des sociétés occidentales, la lutte contre l’aliénation de lindividu nécessite une réflexion sur des phénomènes nouveaux et complexes, qui ne concernent plus seulement l’ouvrier, le mineur ou le carriste.

Etienne Lantier, dans le Germinal d’Emile Zola, serait peut-être aujourd’hui infirmier, professeur, voire cadre supérieur. Et soumis au risque de burn out.

Sans occulter les abus liés au management dans le secteur privé, il conviendrait en outre de ne point trop idéaliser le service public. La logique des « missions » dans ce dernier fait que l’agent y est souvent considéré comme un simple pion qu’on déplace sur une case, avec l’impossibilité de faire valoir un avis.

 

Une fonction publique à réformer

 Oui, le fonctionnaire possède la sécurité de l’emploi. Mais elle recèle ses effets pervers : comme il s’avère particulièrement difficile, voire impossible, de licencier un salarié, les pressions destinées à pousser un « indésirable » au départ se révèlent parfois plus violentes qu'ailleurs. Le système étant très hiérarchisé, un subordonné qui rencontre un problème avec un supérieur peut du reste immédiatement se trouver confronté à l’ensemble de la pyramide bureaucratique, prête à l’écarter sans ménagement :

 

« L’enquête, explique Marie-France Hirigoyen, auteur de plusieurs ouvrages de référence, nous donne un taux de réponses identique dans le secteur privé et le secteur public, ce que confirment toutes les autres enquêtes, avec :

- 50 % pour le public (42 % titulaires, 2 % contractuels, 6 % dans des entreprises nationalisées) ;

- 50 % pour le privé.

Mais, étant donnée la répartition inégale du public et du privé dans la population active (l’Etat gère environ un actif sur quatre), on peut en déduire une prédominance du harcèlement moral dans le secteur public.

[...] On y voit bien que le harcèlement moral n’est pas lié à la productivité, mais à des enjeux de pouvoir. Dans ce cas, on ne peut pas déresponsabiliser les personnes en incriminant le profit lié au capitalisme et à la mondialisation, on ne peut que le ramener à une dimension psychologique fondamentale, la pulsion d'emprise qui amène les individus à contrôler l’autre et à vouloir l’asservir. »[1]

 

Dans l’Education nationale, des enseignants se suicident, et des livres comme Ces profs qu'on assassine[2], de Véronique Bouzou, devraient amener à se poser les questions qu’on se pose bien pour France Télécom. Lorsqu’un inspecteur d’académie martèle « incident isolé » ou « aucun lien n’est établi avec le travail » quand un professeur vient de s’immoler par le feu dans la cour de son lycée, en quoi se montre-t-il plus humain qu’un directeur parlant de « mode des suicides » ? 

Nicolas Sarkozy avait promis en 2007 de restaurer l’autorité des maîtres. Les réformes successives, en réalité, n’ont fait qu’accroître les pouvoirs des (petits) chefs d’établissements, et amplifier les dérives existantes ; à tel point que le personnel de direction devient le principal obstacle à la transmission des savoirs. A l’heure de l’« autonomie » et de la mise en concurrence des établissements scolaires, certains proviseurs se comportent davantage en managers ou en traders… Dans une pure logique comptable, ils soignent l’image et les statistiques afin de se ménager une « clientèle » et de « faire du chiffre »…

A l’instar de ces banquiers qui engloutissent des milliards en bourse avant de se faire prendre, ils n’hésitent pas à dissimuler les pertes culturelles et humaines dans une école qui va mal, pour atteindre leurs objectifs de carrière. Sauf qu’eux, ils ne se font jamais prendre.

D’où les pressions exercées sur des équipes pédagogiques incitées à adopter la « loi du silence » autour des incivilités et des violences rencontrées pendant l’année scolaire, et à remonter artificiellement les notes et les moyennes. Quitte à baisser le niveau d’exigences :

 

« Pour avoir la paix, combien de professeurs rehaussent-ils généreusement les moyennes de leurs élèves ? », s’interroge Véronique Bouzou[3].

 

Renouer avec le progrès

On vit également des situations insupportables, surtout quand les effectifs fondent comme neige au soleil, dans les commissariats, dans les hôpitaux, etc. Le secteur privé est loin d’avoir le monopole sur la maltraitance du travailleur. Et le coût du stress professionnel dans ce contexte, qui se traduit par la multiplication des dépressions et par l’explosion des dépenses de Sécurité sociale, est énorme pour le pays.

Un gouvernement qui amplifie ce délitement quotidien peut-il sérieusement donner des leçons de rigueur budgétaire, en ces temps de crise ? Poser la question, c’est y répondre.

En 2002, sous la Gauche plurielle, la loi de modernisation sociale avait pris en compte le harcèlement moral au travail. Dans la fonction publique, nonobstant, les échelons supérieurs de la hiérarchie se refusent toujours à l’appliquer parce que, par principe, « on ne désavoue pas un supérieur »… Et peu importe qu’il abuse de sa position.

Avec Nicolas Sarkozy, l’archaïsme du système ne risque pas d’être remis en cause. La droite est trop attachée au pouvoir fort. De ce point de vue, le candidat sortant n’incarne nulle modernité. C’est plutôt l’homme du grand bond en arrière, qu’il faut dire. L’alternance permettra en revanche d’avoir un cadre pour renouer avec le progrès social.

Je peux ne pas être d’accord, par exemple, avec tout ce que le Parti socialiste propose en matière d’éducation. Pourtant, quand Vincent Peillon, avec lequel j’échangeais quelques mots sur le sens de la république à l’occasion du passage de François Hollande en Corse, dénonce « le ministre Luc Chatel confondant chefs d’établissements et patrons »[4], et annonce « un grand débat sur l’école »[5] en cas de victoire, j’ai la conviction que les conditions peuvent être réunies dès demain pour avancer. En d’autres termes, pour mettre de nouvelles questions à l’ordre du jour, et pour engager de nouveaux chantiers.

Certains moquent le candidat de la gauche réformiste parce qu’il prévoit, après le 6 mai, d’initier moult réunions de concertation et de s’attacher au dialogue social. C’est pourtant ce dont la France a besoin : retrouver un cadre dans lequel on prend le temps d’écouter, de discuter, et de proposer.

Que ce soit en matière de conditions de travail, ou sur bien d’autres sujets, voilà l’exigence démocratique en faveur de laquelle je me suis exprimé au 1er tour, et pour laquelle je me prononcerai encore dimanche prochain. Oui, le changement, c’est maintenant !

 

Daniel Arnaud

Auteur de La République a-t-elle encore un sens ?, L'Harmattan, 2011.

http://www.amazon.fr/Republique-encore-Ouverture-philosop...

 

Retrouvez cet article dans son contexte original sur :

http://generation69.blogs.nouvelobs.com/



[1] Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle. Démêler le vrai du faux, Paris, Syros, 1998, pp. 152-153.

[2] Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2009.

[3] Ibid, p. 123.

[4] Le Monde.fr, 12 avril 2012.

[5] Ibid, 16 avril 2012.

 


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11 réactions à cet article    


  • chantecler chantecler 3 mai 2012 11:39

    Pour certains c’est la rencontre d’un personnage politique avec le pays .
    Pour d’autres c’est le choix d’un programme .
    Pour beaucoup c’est les deux .


    • Cocasse Cocasse 3 mai 2012 13:33

      Et c’est reparti ... Après mélenchon, hollande...


      • Al West 3 mai 2012 13:39

        On fait avec ce qu’on a smiley


      • Cocasse Cocasse 3 mai 2012 14:14

        Pourquoi je vote hollande !

        J’étais aux chiottes, assis sur le trône.
        Histoire d’avoir un peu de lecture, j’avais emmené avec moi l’enveloppe « urgent élections ».
        J’étais en train de lire les prospectus, et je suis enfin tombé sur celui de hollande.
        A ce moment, spasme incontrôlé, et démoulage express de bronze.
        Ça m’a complètement convaincu !
         smiley


      • Laury 3 mai 2012 16:10

        Nous ne savons souvent pas ce que l’ont veux mais une chose
        est sur Sarkobankster nous avons déjà donné ,il ne reste pas grand chose pour cinq ans de plus ,foute-moi-le-camp


        • Loatse Loatse 3 mai 2012 16:50

          Il me restait quelques doutes que le débat d’hier soir a fini par balayer... Cet homme a l’étoffe d’un président...

          Virons l’imposteur ; le roi du bling bling et du mépris pour les petits, dehors le magouilleur, l’illusionniste, le démolisseur de nos acquis sociaux, le champion des coups bas, de l’invective et de l’insulte...

          Comment peut on voter pour un candidat (nicolas sarkozy) et un parti dont la vulgarité et la petitesse d’esprit suinte par tous les pores de la peau... ? cela me dépasse

          Ne valons nous pas mieux que cela ?


          • Cocasse Cocasse 3 mai 2012 17:23

            Les gens ont la mémoire courte.
            14 ans de socialisme : 12 ans de libéralisation, de délocalisation, dans le mépris des gens mis au chômage. La destruction de la démocratie par la mise sous tutelle européenne. La continuation du racket bancaire par la perpétuation des loi 73/93 sur la création monétaire.
            La mise en place d’une dictature de la pensée par des lois liberticides pour la liberté d’expression, et les subventions à des associations haineuses.


          • Loatse Loatse 3 mai 2012 19:20

            Cocasse,

            comme n’importe quel quidam, les partis politiques peuvent tirer parti de leurs erreurs... rien n’est statique et le contexte actuel n’est pas le même que sous francois mittérand..

            l’homme n’ont plus n’est pas le même...

            pour ma part, mes craintes vont plutôt vers ce futur ou plutôt non-futur que nous concocte le candidat sortant.. :

            . des mômes de 14 ans au travail, les bacs pro idem, (moins de théorie ! assène le workaholic candidat)

            Des retraités fracassés lorsque l’age de la retraite sera repoussé encore un peu plus (« austérité » oblige)

            Des jeunes tanguy en veux tu en voilà...

            Des couples de smicards qui verront leurs revenus annuels diminués de 300 euros avec l’application de cette fameuse tva sociale....

            Des classes qui se vident, non pas de leurs élèves mais de leurs professeurs

            Une police réduite à peau de chagrin...


            La liste n’est pas exhaustive....




          • musashi 3 mai 2012 17:37

            L’avantage du vote Hollande c’est qu’on arrivera probablement plus rapidement à la faillite qui nous permettra ensuite de faire les réformes structurelles nécessires sur de bonnes bases pour repartir de l’avant...


            • Le péripate Le péripate 3 mai 2012 19:47

              Allez savoir.
              L’avantage Hollande est aussi que c’est mieux d’être de « gauche » pour faire passer des réformes impopulaires mais inévitables à un « peuple » rétif, sans trop de grèves, ou avec des lois bidons sur le mariage des chauves ou le droit de vote des amis de passage pour compenser.

              Et puis, il y a ces socialistes grecs qui aujourd’hui disent...... nous vous assurons qu’aucun nouvel impôt ne sera décrété. Tout au contraire, nous nous concentrerons sur des réformes structurelles de manière à avoir un État moins volumineux et moins coûteux, à ouvrir des professions et des marchés et à permettre à chacun d’accéder librement aux activités économiques et de production.

              C’est un peu comme à la loterie. Alors comme moi je ne sais pas je laisse les autres choisir. Imaginez que nos socialistes regardent ce qui se passe en Grèce  ! Enfin, faut pas rêver.


            • Bulgroz 4 mai 2012 09:48

              Justement, ce matin, je me suis lévé super angoissé, la sueur au front, je me posais la lancinante question :

              "Mais pour qui va voter Daniel Arnaud ?

              Je suis maintenant rasséréné.

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