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Primauté de l’économie matérielle sur le développement humain : un univers concentrationnaire

L’économie est devenue incontournable dans notre actualité quotidienne, dans la politique. Elle conditionne le social et passe souvent au premier plan avant d’autres considérations sur notre bien-être, sur la protection de notre environnement et de nos paysages, sur la justice sociale, sur la qualité de notre éducation et de notre santé. La crise oblige à choisir (à l’origine, krisis du grec signifie décision, choix), à faire des arbitrages. Et l’industrialisation ou l’optimisation de notre organisation sociale, où prime l’économie, pousse à la concentration, à l’univers concentrationnaire.

Tout se paye et lorsque l’Etat manque d’argent, quand le pouvoir d’achat est à la baisse, quand il faut concilier l’assainissement des finances face au surendettement et ne pas sombrer dans une trop grande austérité qui pourrait compromettre la croissance, alors la gestion de la pénurie sacrifie le développement humain sur l’autel de l’économie matérielle.

Souvent les arbitrages sont difficiles à faire entre conséquences économiques et conséquences sociales et environnementales.

Par exemple, le gouvernement envisage d’augmenter fortement la taxation du diesel au niveau de celle de l’essence (+18 ct), ce qui permettrait selon la Cour des comptes de faire rentrer 7 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat, justifiant la mesure au motif qu’il a été prouvé que l’utilisation de ce carburant est nocive pour l’environnement (particules fines générant des maladies respiratoires en ville) bien qu’émanant moins de gaz à effet de serre CO2. Mais c’est oublier que la majorité des Français se sont équipés de véhicules Diesel, plus chers à l’achat mais économiques en carburant, car ils y ont été incités par l’Etat et que désormais la part du diesel dans le parc automobile français est de 72%, l’industrie automobile française s’étant spécialisée dans des gammes de véhicule fonctionnant au diesel pour répondre à cette demande liée à cet avantage fiscal. La mesure reviendrait donc à pénaliser notre industrie automobile, déjà en difficulté, donc à détruire nos emplois industriels. Ce type de décision doit être géré dans la durée, en visant un remplacement progressif du parc diesel par des moteurs hybrides voire électriques, mieux encore que ceux à essence, permettant à la fois aux consommateurs et aux producteurs de s’adapter.

Autre exemple : l’arbitrage entre le chômage, la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat.

- Faut-il mieux protéger et rémunérer les chômeurs, au risque d’augmenter les charges sociales qui grèvent les marges et la compétitivité des entreprises, induisant une accélération des délocalisations et des licenciements, donc une hausse du chômage, avec un effet d’induction circulaire, un effet boule de neige ?

- Préfère-t-on préserver le pouvoir d’achat des salariés actifs au détriment d’un niveau de chômage élevé (avec ses conséquences sociales), ou préfère-t-on consentir, comme en Allemagne, à une mise en place de chômage partiel revenant à une baisse du temps de travail avec baisse de salaire, pour passer une période difficile sans augmenter le nombre de chômeurs ?

- Est-il justifié d’appliquer une taxe écologique en fonction de la pollution d’un produit acheté même s’il grève le pouvoir d’achat de consommateurs défavorisés qui n’ont pas d’autre choix qu’utiliser leur véhicule pour aller travailler ou de brûler du fuel pour chauffer un logement encore mal isolé (en attendant de pouvoir facilement emprunter à taux zéro pour faire leurs travaux d’isolation) ?

Même les mécanismes de solidarité que nous avons mis en place, tels que les indemnités chômage, les prestations sociales, les pensions de retraites et les institutions médicalisées pour personnes âgées ou pour handicapés, sont des solutions matérielles d’assistance et de redistribution d’argent où l’Etat et la collectivité en général se font médiateur sans néanmoins s’occuper du lien social et affectif, de l’utilité sociale des individus, du sens donné à leur vie. Nous avons délégué la solidarité matérielle à l’Etat et la solidarité sociale aux associations caritatives, auxquelles nous faisons des dons. Ainsi, nous nous affranchissons d’obligations d’assistance mutuelle, intergénérationnelles comme internes aux communautés de voisinage, qui sont indispensables à la survie communautaire dans les sociétés plus « primitives ».

Regardons quelques exemples :

Vous êtes-vous déjà rendus dans les maisons de retraites pour personnes dépendantes, ou établissements gériatriques ? Peut-être y avez-vous des proches, des parents ? Mettons de côté les établissements dans lesquels existe une maltraitance. Il en existe de très bien mais qui sont très coûteux, de l’ordre de 2500 €/mois en milieu rural et plus coûteux en milieu urbain (de 3000 à 3500 €/mois en banlieue parisienne, beaucoup plus que les 1857 € de coût moyen indiqué par Michèle Delaunay qui annonce une loi sur la dépendance pour la fin de l'année 2013), à la charge des résidents ou des familles (la dépendance, de l’ordre de 500 €/mois étant prise en charge par l’APA). Ce coût est un énorme problème car il n’est pas à la portée des classes moyennes, qui ne peuvent l’assumer qu’en vendant l’éventuel patrimoine immobilier du parent ou en gageant leur propre maison). Les personnes y sont hébergées dans des chambres propres, coquettes, adaptées au handicap, y sont soignées, nourries correctement, prises en charge par l’organisation d’animations, le salon télévision, aussi des petits salons pour accueillir les familles, du personnel dévoué et plein de gentillesse. Mais quelle tristesse y règne malgré tout ! Quelle image que le rassemblement de toutes ces personnes âgées et handicapées, souffrantes, dépressives pour beaucoup, radotant parfois … Un univers concentrationnaire où la vieillesse et le handicap sont concentrés en un lieu. Même si les résidents sont bien soignés et visités par leur famille, ils y sont souvent tristes et malheureux. Il est vrai que le maintien à domicile avec assistance quotidienne d’auxiliaires de vie et d’infirmières est souvent préférable (80% des personnes âgées de plus de 80 ans vivent à domicile), il n’est pas toujours possible et encore plus coûteux en cas de besoin d’une présence permanente : pour exemple un devis d’une association d’aide à domicile qui, malgré une réduction de 20%, se chiffre à 14000 €/mois avec alternance de quatre personne semaine et week-end, jour et nuit, osant dire qu’après réduction d’impôt cela se monte à 7000 €/mois, ce qui suppose que la personne paye déjà au moins 7000 € par mois pour prétendre à cet avantage ! En recrutant directement des personnes déclarées, le coût salarial charges comprises serait au minimum de 4500 euros (sans compter la nourriture ni le coût de l'hébergement). L’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie) ne couvre qu’une petite partie des frais engagés, étant plafonné à 1288 €/mois pour la plus grande dépendance. Pour rappel le nombre de bénéficiaires de l’APA, passera lui de 1,15 million en 2010 à 1,55 million en 2030 et jusqu’à près de 2,3 millions en 2060. Pour y répondre, 10 300 établissements hébergent actuellement 680 000 personnes âgées en France.

Alors qu’on parle de « la dépendance », comme un concept, comme une assurance qui serait une nouvelle branche de la sécurité sociale, on ne dit rien sur la réalité humaine de ces personnes âgées atteintes d’Alzheimer (touchant 860 000 personnes en France) ou d’AVC (500 000 avec séquelles), de leur souffrance et des problèmes insurmontables des familles, pour assumer sur le plan financier aussi bien que sur le plan moral.

Nous retrouvons l’univers concentrationnaire aux restaurants du cœur où, malgré la générosité et la bienveillance des bénévoles, la concentration de misère est également choquante. Les bidonvilles ou favelas sont aussi des concentrés de misère humaine, de même que l’élevage industriel avec tous ces animaux parqués, en batterie, conduits à l’abattoir à la chaîne, est aussi un concentré de misère animale.

J’ai la même impression d’univers concentrationnaire en faisant les courses dans un hypermarché avec ses queues en caisse, ou encore en voyant ces vacanciers sur les plages bondées, dans les camps de vacances ou sur les paquebots de croisières, un univers concentrationnaire ici choisi … Bien sûr le mot est fort et choquant, car il évoque les camps de concentration. Pourtant oui, j’ai parfois l’impression que la collectivité humaine s’organise dans des sortes de camps de concentration, que ce soit contre son gré, malgré elle ou de manière choisie.

Article également publié sur blog Mediapart


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2 réactions à cet article    


  • devphil30 devphil30 12 mars 2013 15:59

    Je suis d’accord avec vos deux derniers paragraphes , j’ai moi même ressenti ce sentiment , je dirais même ce malaise.


    Quand on pense aux films d’anticipation sur un futur surpeuplé , concentrationnaire , policier , je trouve que nous en prenons le chemin par une mise en place progressive de restriction de liberté au nom de l’Europe et d’harmonisation entre les pays.

    Le terrorisme pour mettre en place des mesures de coercitives , des contrôles biométrique ( USA ) , ensuite une puce dans le corps pour le dossier médical et une mise à jour pour éviter la falsification d’identité etc ....

    Progressivement , comme la grenouille l’eau chauffe puis finira par bouillir et nous serons alors cuits.

    Philippe 

    • Mani Mani 13 mars 2013 13:24

      Merci pour la pertinence de l’article.

      Je vous rejoins tout à fait sur cette atmosphère oppressante et « concentrationnaire » qui règne dans nos quotidiens.

      Je m’en faisait encore la réflexion hier : à cause de la neige j’ai pris le métro pour aller bosser. Habituellement j’y vais en deux roues afin justement d’échapper à l’oppression du métro.
      Le train est arrivé, remplit a tel point que les gens étaient collés aux vitres avec des airs bien malheureux. Personne ou presque n’est descendu du métro. Le problème est qu’il devait y avoir au bas mot une centaine de personne sur le quai, qui pour la plupart j’imagine devaient se rendre au travail, comme moi, ou pour une raison ou une autre devaient monter dans CE train sans pouvoir attendre le prochain qui de toutes manières aurait été autant remplit. Donc « obligés » de rentrer dans ce train déjà bondé. Nous nous sommes donc entassés comme du bétail, tellement serrés les uns aux autres qu’il était inutile de se tenir... Il m’est venue l’envie de dire quelque chose qui aurait détendu l’atmosphère mais quoi.. ? 
      J’ai la CHANCE de pouvoir aller bosser en deux roues habituellement et cette situation est pour moi exceptionnelle, ce qui m’aire à relativiser. Mais tous ces gens vivent cette situation au quotidien, aller + retour. Quel impact cela a t’il sur leur journée ? Quelles pensées ont ils pendant ces trajets quotidiens ?
       Entre les immenses panneaux publicitaires (il y avait une pub de 4M² pour un sac a mains à 500€ !), le prix du ticket (1€70) obligatoire sous peine d’amende (maintenant les contrôlleurs on des tpe (machines à CB) portatives) et l’éternel message robotisé « en raison d’un problème technique, nous vous informons que le trafic est perturbé », et « Nous informons les voyageurs que des pickpockets sont susceptibles d’agir dans cette rame. Soyez vigilants », comment rester serein ? Comment relativiser ? 
      Comment ne pas céder à la haine pour son prochain, sentiment certes plat et facile, mais présent dans les esprits à coup sûr...la colère contre son voisin, contre la RATP, contre son patron qui ne manquera pas de vous tomber dessus en cas de retard, contre soi-même, son travail dans lequel il est si difficile de s’épanouir, quand bien même on l’aurait choisi parce qu’il nous plait, et contre la vie que l’on est OBLIGéS de mener afin d’au moins payer ses factures... ?
      Certes me direz vous cette situation est exceptionnelle, due à la neige. C’est faux. Je parle de la ligne 13, et sur cette ligne encore plus que les autres, sans parler du rer, c’est le quotidien. C’est pourquoi j’ai mis un billet dans ce deux roues afin de me soustraire à cette « torture », même si je me jette ainsi dans cette « guerre civile » qu’est la circulation notamment à Paris...autre sujet hautement (et tristement) représentatif sociologiquement.

      Ceci ne représente qu’une infime partie du quotidien de chacun. Mais que dire en effet de la queue au supermarché ? A la poste ou dans les administrations du service public ? De ces moments de « solitude collective » que nous impose cette société ? 

      C’est ce quotidien, trop présent pour être ignoré, qui devrait faire réfléchir les gens sur la société qu’ils veulent pour eux même, mais aussi et surtout pour leurs enfants. 
      Mais au lieu de remettre en cause cette situation pourtant intolérable, inhumaine, la majorité d’entre eux veulent juste penser à autre chose en allumant leur tv dès leur retour, après avoir ouvert leur boite aux lettres (boite aux factures ?), car ils se sentent impuissants. Sentiment grandement induit par cette même télévision, qui à pour objectif, entre autres, de faire passer la pilule, de leur changer les idées, de les faire rêver (Moi aussi je veux être belle, moi aussi je veux chanter et devenir célèbre, moi aussi je veux gagner au Loto, moi aussi je veux partir dans les îles, moi aussi je veux être un enquêteur à la vie pleine d’action, de sexe et de pouvoir, moi aussi je veux un pavillon avec un jardin, deux enfants qui jouent avec le chien devant mon Scenic avec un conjoint top model)...Tristes rêves artificiels, triste cercle vicieux...

      Cette vie n’a pas de sens, du moins cette vie LA.
      C’est une évidence, indiscutable.
      A nous de jouer !

      « Pousseurs » dans le metro Japonais :

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