« Qu’il était beau mon Meccano ! » un livre de Jacques Gaillard sur un temps qui ne connaissait ni réfrigérateur ni lave-linge
Peut-on encore parler au moins de soixante ans d’un temps qu’ils ne peuvent pas imaginer sans se représenter leurs parents et grands parents vêtus de peau de bête vivant dans des cavernes ? Comment a-t-il été Dieu possible de survivre, se demanderont-ils, sans Internet, ni télévision, ni voyage par avion, ni voiture, ni lave-linge, ni réfrigérateur, ni salle de bains, ni toilettes ?

Un âge préhistorique ?
Mais les plus de soixante ans, quand ils y songent, sont les premiers à ne pas en revenir. Comment ont-ils bien pu être heureux dans un tel dénuement ? La maison n’avait qu’un évier et un robinet ; les WC, une banquette de bois avec un trou et son couvercle, étaient dans le jardin ou dans une cabine sur le balcon, comme dans le vieux Nice. On ne s’y attardait pas l’hiver. Dans les chambres, il n’y avait qu’un seau hygiénique ou un pot de faïence avec un œil au fond. Les restes du repas patientaient dans le garde-manger, une sorte de volière à fin treillis métallique pour les préserver des mouches. On mettait le beurre dans l’eau sur la fenêtre en été, mais sous la chaleur, ça ne l’empêchait pas de fondre en huile.
On faisait des toilettes de chat devant l’évier. Une fois par semaine, on chauffait de l’eau dans le faitout sur la cuisinière à charbon pour se la répandre sur la tête et le corps en prenant place dans une bassine ovale ou un tub d’acier galvanisé au milieu de la cuisine. On ne changeait de vêtements que quand on ne pouvait plus faire autrement. Entrerait-on aujourd’hui dans sa maison d’enfance sans se pincer le nez ? Qu’est-ce que ça devait cocotter ! Mais à l’époque on ne sentait rien. Pour faire 20 kilomètres et aller à la grande ville, on se levait tôt de peur de rater le car. Le trajet durait une partie de la matinée. C’était le grand voyage.
Le temps retrouvé de Jacques Gaillard
Jacques Gaillard vient de publier un ouvrage aux éditions Mille et une nuits qui ressuscite ce temps et ce continent engloutis, « Qu’il était beau mon meccano ! ». Qui se souvient, en effet, aujourd’hui, à l’heure des briques de Lego en plastique, du Meccano et de ses pièces métalliques trouées arrimés par des boulons dont on faisait des grues, des locomotives, des tractopelles ? Et le cyclorameur donc, ce tricycle qu’on faisait avancer, pieds calés sur les appuis de la roue avant directrice, à la force des bras comme un rameur tire sur ses rames.
Jacques Gaillard passe ainsi en revue ce qu’il nomme « 21 leçons de choses », ces exercices prisés des instits d’autrefois qui initiaient l’élève à la physique et à la biologie dont on taisaient encore les noms. Et ce sont les années cinquante, du temps où on était en culotte courte ou robes à fleurs, qui affluent à la mémoire. On sent l’auteur plein de tendresse pour ce temps perdu qu’il recherche et retrouve. On lui reprochera seulement un peu d’affectation dans la phrase, à tisonner, comme il le fait, un peu complaisamment les cendres pour ranimer la flamme.
Le danger en effet est de devenir un « laudator temporis acti ». Non ! Même si dans le malheur et sans jouir du luxe d’aujourd’hui, on a pu quand même être heureux, on ne souhaite pas revenir au temps du beurre qui coule en été, de la lessiveuse qui bout sur la cuisinière, des pages de papier journal déchirées en 8 et accrochées à un clou des WC dans le jardin, qui ne servaient pas qu’à la lecture, sauf à la manière d’Henri Jeanson du Canard Enchaîné quand il voulait se montrer féroce en assurant un auteur qu’ « (il l’avait) lu d’un derrière distrait ». Ce n’est évidemment pas du tout la manière dont on lit Jacques Gaillard qu’on doit remercier de rappeler d’où l’on vient, si l’on veut savoir où l’on va. Paul Villach
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