Quel(s) vaccin(s) contre les maladies des politiques ?
Quel(s) vaccin(s) contre les maladies des politiques ?
L’étude du fonctionnement de l’Etat se limite souvent aux développements des constitutionnalistes (1).
Les paramètres qui donnent la clef de la compréhension de la structure et du fonctionnement des institutions à un moment donné, sont parfois négligés.
Par exemple, en 1958, le général de Gaulle voulait que la détermination de la politique échappe aux parlementaires. Corps au sein duquel certains de ces derniers (2) avaient été embarqués dans la défense intérêts particuliers français (« la politique de la France ne se fait pas à la corbeille… » disait de Gaulle), ou étrangers. Tandis que d’autres, suivant les directives des chefs des partis, faisaient gentiment carrière.
Et ça a marché, parce que le général de Gaulle était désintéressé et parce qu’il était imperméable aux tentations.
Le général de Gaulle une fois parti, divers intérêts (français ou étrangers) trouvèrent des individus naïfs ou intéressés, pouvant être sélectionnés par eux (v. par exemple le système mis en place par l’organisation américaine des « young leaders »), et portés - en finançant leur campagne électorale (3) , en les épaulant par leurs médias, et en les faisant bénéficier de l’appui de leurs réseaux - … jusqu’au poste décisionnel.
Pour qu’ils signent des traités (4), pour qu’ils déposent des projets de lois (5), pour qu’ils signent des décrets allant dans le sens de leurs intérêts.
Et le même texte a servi à faire autre chose.
I.
Ce que certains résument en distinguant d’une part, les « big pharma » et autre « Etat profond » qui écrivent le contenu des décisions. Et d’autre part les organes de l’Etat qui donnent, sous l’impulsion de quelques personnes convaincues ou n’ayant pas froid aux yeux, valeur légale auxdites décisions sous forme de lois ou de décrets (6).
A cet égard, ceux qui essaient de diverses manières d’influencer (« Etat profond », financiers et spéculateurs, vendeurs de machines à laver, de pesticides ou de médicaments,…) les décideurs-clés, ne font qu’avoir une démarche banale (7).
Alors que ce qui pose problème en vérité, c’est que les décideurs se laissent convaincre. Parce qu’ils sont naïfs ou qu’ils y trouvent un intérêt personnel futur (pouvoir accéder au poste, tirer des bénéfices de l’ancien poste) ou immédiat (ne serait-ce que jouir des avantages liés à l’exercice de la fonction) (8). Et quand ils se sont laissés convaincre, ils ne sont plus les représentants ni du peuple, ni de la nation.
Ce qui nécessite que des mesures soient imaginées et expérimentées pour que les décideurs agissent dans l’avenir comme représentants, et ce, dans le sens de l’intérêt de la nation et de TOUTES ses composantes.
II.
L’autre question qui se pose selon nous, réside dans la structure de l’élite dirigeante.
Une tendance se dessine selon laquelle ceux qui accèdent aux postes décisionnels, ont pour l’essentiel le même profil.
Ce sont donc des individus dont une partie de la vie a consisté à s’entraîner à être conforme à la norme rendant possible leur recrutement (9). Entrainement assuré par des écoles qui préparent tant aux postes de direction de l’Etat, qu’aux postes de direction des affaires. Ecoles qui sont donc le creuset de la constitution de réseaux de personnes qui ont bénéficié du même enseignement (dont le contenu n’est nécessairement pas neutre eu égard à son objet) et qui partagent les mêmes valeurs et les mêmes idées sociétales.
Le poste obtenu étant un poste de commandement, la tendance naturelle de ceux qui en bénéficient est de commander. Donc de penser qu’ils ont raison et qu’ils disposent de la légitimité pour ce faire.
Le mépris que certains dirigeants affichent à l’égard de certains gouvernés (v. les tournures utilisées de F. Hollande et de E. Macron) et le soin qu’ils prennent à traiter les citoyens comme si ces derniers étaient des enfants ou des majeurs empêchés (v. par ex. les interventions d’E. Macron et de J. Castex), s’inscrivent dans cette logique.
Cette situation pose un deuxième problème. Car en démocratie, la décision n’est légitime que pour autant qu’elle s’inscrit dans une démarche d’intérêt général. Et ne tire aucune légitimité de ce qu’elle émane d’un individu, ou d’un groupe d’individus à raison de ce que celui-ci ou ceux-ci occupent tel(s) poste(s).
Situation qui nécessite également que des remèdes soient mis au point.
III.
On donnera ci-dessous quelques pistes. Qui n’ont rien d’exhaustif. Dont rien ne dit qu’elles seraient miraculeuses. Et qui, si leur mise en œuvre s’avérait efficace, ne seraient pas définitives. Car certains traits de la nature humaine peuvent sommeiller… mais pour un temps seulement.
A. Des politiques sans laisse.
a) Pour empêcher les politiques de mordre à l’hameçon, il est illusoire d’imaginer que des mesures préventives seraient efficaces. On l’a vu avec les commissions de déontologie qui ne voient pas plus que les intéressés, le « mal » qu’il peut y avoir à « pantoufler ».
Il faut plutôt songer à la manière (indépendamment de toute incrimination pénale) de limiter ou d’annihiler tout bénéfice pouvant être tiré de leur mise au service d’intérêts qui ne relèvent pas de l’intérêt général (10).
En organisant la déclaration de nullité des décisions ayant eu pour effet de donner satisfaction à un intérêt privé. Assortie du versement au trésor public des sommes perçues, avec éventuellement des pénalités grevant les finances personnelles de l’intéressé.
Donc, en ouvrant à cette fin, sur le modèle du « recours pour excès de pouvoir » (11), un recours en « constatation de nullité ».
b) On peut aussi décider que les personnes qui ont occupé des fonctions éminentes dans l’Etat (président de la République, Premier Ministre,…), si elles n’en ont d’aventure pas spontanément la pudeur, se contenteront des rémunérations attachées aux fonctions après que ces dernières ont cessé. Sans qu’elles ne courent après des cachets comme les petits retraités qui ont besoin d’un job pour compléter leur insuffisante retraite.
c) Pour les ministres et les membres des cabinets ministériels, on peut organiser des règles inspirées de celles qui existent pour les fonctionnaires, sur le cumul de fonctions et le cumul de rémunérations.
On peut interdire le pantouflage dans certaines fonctions, spécialement dans des fonctions qui n’étaient pas les leurs avant qu’ils n’accèdent à des postes au service de l’Etat.
On peut en outre limiter la rémunération dans les nouvelles fonctions, au niveau de la rémunération que percevait la personne, avant que celle-ci ne devienne ministre, membre d’un cabinet ministériel, ou titulaire d’une charge l’ayant mise en relation avec les membres du pouvoir exécutif.
B. Les représentants qui… représentent.
a) Elections : L’ensemble constitué par la loi électorale, le découpage territorial des circonscriptions, le financement des campagnes et le rôle des médias, aboutit à mettre en place des dirigeants qui utilisent leur mandat pour édicter des règles qui ne bénéficient pas toujours, du point de vue financier, économique ou social, à la majorité de la population.
Il faut donc faire en sorte de ré équilibrer la représentation. En distribuant par exemple les sièges proportionnellement aux strates sociales de la population. Par exemple si les citoyens ayant 10 % de la richesse représentent 10 % de la population, le système électoral doit leur donner 10 % des sièges à pourvoir ; ceux dont les revenus les rangent dans la strate des 35 % de la population, ils peuvent avoir 35 % des sièges à pourvoir. Dans ce cas les circonscriptions électorales couvriraient des territoires de superficie variable. Et les électeurs seraient inscrits sur différentes listes électorales et voteraient dans le bureau de vote correspondant (12).
b) Pour que l’élection du président de la République ne se fasse pas selon une variante du suffrage censitaire, on peut envisager diverses mesures tendant à geler les dépenses électorales. Gel à un niveau tel, que les candidats étant amenés à imaginer des moyens de propagande moins onéreux, se trouveraient dans une situation moins disparate.
c) Pour « contrer » l’aptitude des dirigeants à oublier qu’ils sont en réalité des représentants de la nation et des citoyens, on peut instaurer un système d’élections « provoquées » par les citoyens. Les citoyens pourraient, par un vote (à organiser matériellement), provoquer une nouvelle élection, quand l’élu leur paraîtrait manquer à ses obligations et oublier ses devoirs. Vote qui serait acquis si la majorité des citoyens, calculée sur le nombre de suffrages exprimés qui se sont effectivement portés sur le candidat (au premier tour des élections précédentes) se prononçait en ce sens.
C. La question des médias.
On ne saurait évidemment interdire aux propriétaires des médias de dire ce qu’ils veulent pour orienter, donc par la manipulation, le vote de suffisamment d’électeurs pour que soit élu le candidat qu’ils ont fabriqué ou qu’ils ont décidé de soutenir.
Pour limiter les effets de la manipulation, on peut envisager deux mesures qui ne portent en rien atteinte à la liberté de la presse :
a) Déjà créer un droit de réponse spécifique largement ouvert aux autres candidats lorsque l’information est inexacte ou en cas d’attaque dirigée contre un candidat.
b) Ensuite, on peut inclure la publicité rédactionnelle ou le temps d’antenne consacré à la promotion d’un candidat, dans les frais de campagne de celui-ci. Quand un candidat publie un journal, quand il organise un meeting au cours duquel des orateurs viennent appeler à ce que l’on vote pour lui, les dépenses engendrées à ces fins sont comptabilisées. Quand des médias font le choix d’aider un candidat, cela peut être financièrement chiffré sur la base de critères et selon un barème.
De même que le texte de la Constitution de 1958 a intégré des dispositions qui figuraient jadis dans les règlements des assemblées parlementaires, de même pourrait-on inscrire dans le même texte (13), ces principes portant sur le statut du représentant.
Comme il a été dit ci-dessus on ne peut pas savoir, tant qu’elles ne sont pas expérimentées, si de telles mesures seraient efficaces (14). Et si elles l’étaient, il faudrait probablement, un jour, en imaginer d’autres pour répondre aux réalités du moment.
Il faudrait évidemment que les Français veuillent rouvrir le livre de leur histoire. Mais cela est une autre question.
Marcel-M. MONIN
constitutionnaliste
(1) qui se bornent parfois à lire et à paraphraser les textes (constitution, un peu les lois organiques, quelques fois un soupçon de travaux préparatoires). Et à prendre dans l’actualité, des exemples de l’utilisation de tel article, ou du contentieux que ladite utilisation de tel article a suscité. Les plus engagés ajoutant leur sentiment personnel, surtout s’ils sont invités sur les plateaux de télévision, que l’ensemble ou que telle disposition est trop ceci, ou pas assez cela.
(2) « N’est pas tolérable en ce qui concerne les élus : ... Un régime, qui, pour la même raison, soumet ces candidats perpétuels aux forces locales, politiques, pécuniaires, dont ils ont besoin pour être réélus et pour accéder au pouvoir... un régime, qui, par l’initiative parlementaire des dépenses et par l’intervention des élus dans l’administration, fait des finances et de la vie de la France la proie desdites majorités... un régime, qui, par la collusion du mandat parlementaire et de son despotisme avec d’autres professions, notamment celle d’avocat, est un foyer permanent de corruption financière et morale » Tardieu, La Révolution à refaire (1936).
(3) On notera au passage que les campagnes visant à séduire les électeurs pour les élections présidentielles, représentent des sommes telles, que la situation fait irrésistiblement penser aux périodes pendant lesquelles il fallait faire état d’un certain degré de fortune pour être candidat à des élections. Ce qui donnait la décision aux membres de l’élite fortunée. Et ce qui pose le même type de question aujourd’hui.
On trouvera dans de nombreuses études et sur internet la manière dont le candidat Macron a été « fabriqué » et soutenu en vue de son élection comme président de la République. On trouvera confirmation de la persistance de cette aide en analysant – entre autres – la structure des « journaux télévisés » et des débats organisés sur l’action du président de la République ou de ses ministres.
(4) par exemple, campagne de F. Mitterrand en faveur de Maastricht, celle de J. Chirac en faveur du projet de constitution européenne, et la mécanique utilisée par N. Sarkozy pour faire adopter le traité de Lisbonne par la classe politique, contre la décision antérieure du peuple.
(5) v . les textes sur la destruction du droit du travail, sur les privatisations, sur la déréglementation, l’externalisation et la suppression des services publics…
(6) En prenant ces décisions, les dirigeants s’exposent parfois à la vindicte de ceux qui en sont les victimes. Mais ils sont alors protégés par la police, composée de gens qui ne sont pas « du même monde » que l’élite, mais qui sont formés par cette dernière pour réprimer -au nom du respect de l’ordre public-, des personnes du même milieu qu’eux qui se révoltent quand les décisions de l’élite les placent dans une situation humainement difficile.
(7) Que des professeurs de médecine soient sollicités par des marchands de médicaments pour signer des « études scientifiques » qui concluent aux vertus d’un de leurs produits est extrêmement banal. Que les signataires des papiers protestent de leur bonne foi et de leur indépendance l’est aussi. Dans le domaine juridique, des sociétés demandent à des professeurs de droit qu’ils rédigent des « consultations » qui sont remises aux juges. Ces consultations vont rarement contre les intérêts de la société qui a payé ses honoraires à l’universitaire. Dans le milieu, personne n’oserait établir de lien entre le contenu de la consultation et celui de la note d’honoraires. Dans le même milieu, on raconte une histoire considérée comme bien amusante : dans une affaire, un professeur de droit aurait signé pour chacun des plaideurs des consultations (en sens contraire). On pardonna à l’universitaire (il était connu et il était « puissant ») en expliquant qu’il avait probablement fait rédiger les papiers par ses assistants.
(8) sur ces questions, lire l’ouvrage de Clément Fayol : Ces Français au service de l’étranger (Plon)
(9) Avoir réussi à être recruté est souvent considéré comme preuve d’intelligence. Culture, connaissances, aptitude à raisonner et à s’adapter, sont occultés. Ce qui fait que l’opinion publique a parfois du mal à comprendre pourquoi certains politiques – intelligents « statutairement » – peuvent se comporter comme des imbéciles. On pourrait d’ailleurs faire les mêmes constatations dans beaucoup d’autres domaines, comme celui de l’université. Et constater que le fait qu’un universitaire devienne ministre, ne relève le « niveau » ni de l’universitaire, ni du ministre.
10) A cet égard l’appréciation d’un bilan coût / avantage pourrait peut-être l’établir : la vente d’un organisme appartenant à la collectivité publique rapporte tant à la collectivité et lui fait perdre ou fait perdre aux citoyens… et rapporte tant à l’acheteur privé.
11) le recours pour excès de pouvoir est un recours ouvert à tout citoyen touché par une décision administrative. Il consiste à demander au juge administratif qu’il juge que la décision est illégale et qu’il l’annule. On ne peut déposer un REP qu’avant l’expiration d’un certain délai. Quand une décision est qualifiée de « nulle », le juge fait « comme si » cette décision n’existait pas. Il ne l’annule pas. Mais il « constate » qu’elle est nulle. Ce qui revient à peu près au même, mais avec une différence : la saisine du juge peut se faire à tout moment (et n’est pas enfermée, comme dans le REP, dans des délais).
(12) La « proportionnelle » répartit les sièges différemment et permet aux partis "petits" ou « moyens » d’avoir plus d’élus. Elle ne permet pas forcément une meilleure représentation de la population dans sa réalité. Exemple : le parti socialiste prend des sièges à la « REM »…. Comme les dirigeants de ces organisations ont à peu près les mêmes positions, on ne voit pas clairement les améliorations que ce mode de scrutin apporterait à la représentation des citoyens.
(13) l’intérêt de mettre de telles dispositions dans la constitution réside dans la fait que modifier ce qui est inscrit dans la constitution est plus « difficile » que de modifier une loi. Et ce qui se trouve écrit dans la constitution n’est pas (encore) remis en cause par les juges.
(14) Si les premières élections législatives de novembre 1958 n’avaient pas donné une majorité parlementaire au général de Gaulle, on ne sait pas ce qui se serait passé. (A cet égard, j’avais posé,… il y a longtemps, la question à Michel Debré). Et il est possible que la mise en œuvre des dispositions de la constitution n’aurait pas été la même.
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