• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Rendre « Le Monde » aux journalistes et aux lecteurs

Rendre « Le Monde » aux journalistes et aux lecteurs

Après avoir défrayé la chronique pendant des jours, la tempête qui sévit à l’intérieur du quotidien « Le Monde » ne fait plus l’objet d’aucun commentaire ni d’aucune enquête. Que se passe-t-il et quand un tel journal redeviendra-t-il ce qu’il doit être, un journal, rien qu’un journal mais tout un journal, pour paraphraser Sartre ?

Il y a... "quelques années" de cela, un jeune journaliste - votre serviteur - est présenté lors du Salon du livre à Paris, par un ami écrivain qu’il accompagne pour une séance de signature, à Alain Minc, voisin de table de cet auteur, présent lui-aussi pour un de ces ouvrages. Accueil chaleureux, redoublant de chaleur lorsqu’il lui est dit que son interlocuteur est autodidacte et n’est donc pas formé au CELSA, au CFJ, à Sciences-Pô ou à l’ENA. Une première rencontre de celles qui laissent un sentiment agréable. Quelques années plus tard, le même journaliste, un peu moins jeune, vient interviewer un matin ledit Minc à son domicile, à l’occasion de la sortie d’un nouvel ouvrage. Rendez-vous était pris à 8 heures, l’attente dure plus d’une heure, debout, dans le couloir, tandis qu’il termine une interview avec un autre confrère qui représente un journal sans aucune commune "mesure", L’Express. Les deux hommes surgissent soudain de la pièce où ils s’entretenaient, Alain Minc raccompagne chaleureusement son interviewer en le félicitant pour la grande qualité de ces questions, "c’était vraiment très agréable !" lance-t-il enthousiate. Il revient sur ses pas, passe devant le journaliste qui l’attend depuis assez longtemps pour rêver d’un café, lance un "oui ?" glacial : on lui rappelle la raison de sa présence. "Entrez", dit-il sans un regard, puis, devant une table assortie de confiseries succulentes et de café qu’il n’offre pas : "J’ai très peu de temps allons-y vite". La première question ne lui plaît guère, il le manifeste et répond brièvement. Cela arrive, dans ce métier, on sait tout de suite si l’on va passer un moment "très agréable" ou pas. Lorsque l’on vient pour un sujet sympathique, on le souhaite. Mais il y a audience et audience, lectorat et lectorat, et il semble que certains modèrent leurs efforts en fonction de cela. Minc ne se souvenait donc pas du journaliste qui, lui, ne reconnaissait plus le personnage. Fin de l’anecdote. Ce que sont les hommes en privé, toutefois, en dit long sur leur manière de gouverner.

Loin de là, voici Le Monde devenu le théâtre d’un affrontement emblématique entre le conseiller de l’ombre et une partie, importante, de la rédaction, emmenée par Jean-Michel Dumay ou, du moins, représentée par lui. Premier constat : l’on comprendrait que de tels échauffourées se produisent au sein d’une grande entreprise, par exemple chez Bolloré... Mais on comprend moins qu’elles puissent surgir dans un journal. Il faut vraiment que la nature des intérêts en jeu soit importante, pour que tout cela tourne à de la haute lutte politique. Depuis quelques jours, les commentaires sur cette affaire se sont littéralement taris, et c’est un peu étrange. Qui fait taire qui ? La férocité des propos d’Alain Minc vis-à-vis de la rédaction du Monde a de quoi faire frémir tous les confrères que nous sommes. Elle est, simplement, inacceptable. D’où vient qu’il faille mettre en jeu tant d’intérêts et les défendre ou les contester avec tant de vigueur, simplement pour faire vivre un quotidien ? C’est inquiétant. C’est un exemple qui doit alerter.

Bien sûr, on pourra toujours expliquer que dans le monde entier, plus aucun journal, ou presque, ne peut subsister du seul fruit du travail de ses journalistes. Les industriels sont, depuis longtemps, propriétaires de nombreux médias dont ils sont la passerelle obligée avec le pouvoir politique. Les dégâts collatéraux de cette situation sont tout simplement inévitables. Mais à l’heure où l’on tente de rebattre les cartes et notamment, où l’on doit nécessairement s’interroger sur le coût du travail, n’est-il pas temps pour un quotidien comme Le Monde de se tourner tout simplement vers ses lecteurs ; non pas des lecteurs-actionnaires, mais des lecteurs soucieux de qualité sans être naïfs au point de croire en l’indépendance garantie à tous coûts et chaque jour, afin de sortir ce journal de l’ornière terrible dans laquelle il tente de survivre depuis des années ?

Il ne fait tout de même aucun doute que Le Monde est le plus influent des quotidiens français, et qu’il le doit en grande partie à l’exigence que mettent ses journalistes dans l’exercice de leurs missions. Dès lors, on peut se demander d’où vient la raison pour laquelle il faut un grand capitaine d’industrie et non une personnalité aussi emblématique que ne le furent Beuve-Méry ou Fontaine pour en prendre les rennes et redevenir la caution nécessaire à l’équipage de ce beau journal. Que se passe-t-il . N’y a-t-il plus de ces grands journalistes emblématiques en France, de ceux dont on puisse lire le fruit du travail avec un vrai goût pour la lecture et l’information ?

Pour l’heure, silence radio. En coulisses, on continue à s’étriper. Mais la courbe des informations traitant du sujet est en chute libre. Alors oui, qui fait taire qui ?


Moyenne des avis sur cet article :  4.14/5   (14 votes)




Réagissez à l'article

9 réactions à cet article    


  • tvargentine.com lerma 12 juillet 2007 10:33

    Oui,cela serait une bonne chose,car le changement de ce journal,c’est produit,avec la nomination de Mr Colombani qui à substitué un grand journal d’information,(les articles d’Eric Le Rouge et d’Eric le Boucher...) par un journal qui ciblait une clientèle de type « bobos » et qui aurait besoin d’une leçon de morale tous les jours dans des éditos « ya qua,faut pas ».


    • Djanel 12 juillet 2007 11:06

      Lerma tu exagères, tu as déjà envoyé trois postes. Pas le temps de lire les articles pour aller plus vite que toi.Au suivant.


    • Djanel 12 juillet 2007 11:09

      Il lit au moins les titres parce que Monsieur choisi les articles. Il y a du positif en lui. Au suivant


    • tvargentine.com lerma 12 juillet 2007 11:26

      Je me lêve le matin avant vous tous simplement smiley


      • Marco Marco 12 juillet 2007 11:47

        Excellent article qui montre bien le conflit qui oppose les propriétaires des médias aux journalistes qui travaillent pour ces médias.

        Espérons pour la démocratie que ces derniers l’emportent...

        Ceci dit, ce combat est aussi le nôtre, nous citoyens, pas seulement celui des journalistes. Rien n’empêche chacun d’entre nous de faire savoir son mécontentement aux médias, notamment par des commentaires sur leurs sites et en votant avec notre argent pour ceux qui garantissent la plus grande liberté d’expression aux journalistes (j’ai récemment arrêté mon abonnement au Monde en les informant de mes raisons ; je ne le reprendrai que quand M. Minc sera parti).

        Marco


        • ExSam 12 juillet 2007 12:03

          La férocité des propos d’Alain Minc vis-à-vis de la rédaction du Monde a de quoi faire frémir tous les confrères que nous sommes.

          Moi, ce qui me fait frémir, c’est le fait qu’en à peu près 2000 mots on trouve pas mention de la Société des Rédacteurs du Monde, dernière société de ce genre, alors qu’au début des années 70, il y en avait encore trente.

          C’est pourtant cette société qui vient de virer Colombani, c’est pourtant elle qui représente l’indépendance réelle des acteurs véritables de ce journal avec les techniciens, la fameuse liberté de la presse possède là une structure. Unique, menacée par des vautours comme Minc.

          On voit bcp de brêves sur la bataille au Monde, mais la plupart des canards en font du factuel. Aucun ne revient sur cette structure originale, ni ne la détaille vraiment les coulisses, ni ne remonte la pendule pour montrer combien la bataille est essentielle, emblématique de la défaite de la Presse par l’argent et le Pouvoir, par cet appel au profit qui engage dans le quantitatif et détruit la qualité, l’indépendance, l’honnêteté, mécaniquement, sans parler des types comme Minc, qui sont là pour provoquer sans cesse la compromission, le débauchage, la vénalité des journalistes.

          Car, enfin, c’est depuis son entrée en Bourse, depuis cette acceptation de la prise de poids publicitaire, du marché, du bourrâge d’info que le Monde a des problèmes. Ce n’est plus le même Monde, comme disait Péan. C’est une grosse machine contre l’info qualitative, la fidélisation du lecteur par la qualité, qui permettait un journal indépendant, une info véritable.

          Ce n’est pas neutre que les journalistes ne fassent pas info véritable, avec une info qui les concerne pourtant essentiellement.

          Alors qu’ils devraient se mobiliser pour que leurs « confrères » gagnent, au Monde et à la Tribune. Il en va du peu de liberté qui leur reste, à tous, et de l’espoir en l’avenir.

          On parle ici du contenu, de l’info. Mais on peut passer sous silence, ce qui est bcp tue aussi, comme par hasard. Ces difficultés d’emploi constantes et aggravées qui accompagnent la botte qui écrase. La multiplication des tâches qui transforment le journaliste en caméraman, preneur de son, dactylo, monteur...Toutes difficultés quotidiennes pour l’immense majorité de cette profession en déclassement, en déclin matériel, moral, spirituel.

          Elles vont s’aggraver si la finance continue à écraser les organes de presse.

          Une majorité de journalistes sont précaires, aujourd’hui et le turn-over est énorme. Je ne vois pas ce qu’ils ont à perdre à crier haut et fort, au moins sur le Web, quand on voit que des figures comme Viviant, Schnedermann se font comme des malpropres par la Lepénie masquée. Je ne vois ce qu’ils auraient à faire « écran noir » sur les journaux, sur les télés et les radios. Pas une info pour les amis des vautours, les politiques, ces beautiful people qui vivent dans des palais et ponctionnent tout le monde en faisant croire qu’ils font ça pour notre bien. Cette race-là ne serait rien si les médias ne les encensaient, ne les photographiaient, ne les imposaient sans cesse aux yeux et aux esprits.

          Par ailleurs, je ne vois ps dans cet article mention du fait que Minc est viré. Sans doute par fidélité à sa jeunesse, sûrement parce que le Minc impressionne tant l’auteur qu’il lui sert, ou à ce qu’il incarne, du « capitaine d’industrie ». Mais Minc, ce larbin d’un banquier scandaleux, pendant des décennies, est proprement viré et se maientient de manière putschiste.

          Il n’a obtenu que 10 voix, il lui en fallait 11 pour oser prétendre encore au poste de président du Conseil de Surveillance.

          Qui veut l’imposer contre les statuts de liberté du Monde ?..L’argent, l’actionnaire et quelques petits pourris, habitués de la gamelle, comme Perdriel. Cette crapule qui nous fait du « Gala de Gauche » avec l’Obs depuis trop d’années.

          Il faut absolument soutenir par tous les moyens le Monde contre l’argent qui le gangrène. Je ne comprends que les journalistes du Monde et d’autres journaux n’aient pas lancé au moins une pétition. On n’entend pas non plus, ou à peine, les syndicats de journalistes.

          Alors même qu’on voit ce porc d’Arnault, ce type qui gagne 15000 fois le SMIG, se payer la liberté d’un autre canard, les Echos. Sans doute pour en faire une grosse merde comme la Tribune, qui perd 1M€/mois, comme nous le relève le Canard.

          Les journalistes n’obtiendront rien à être timoré, « sérieux », comme les gens de pouvoir, politiquement correct. Ils n’ont jamais rien obtenu, sauf l’érosion de plus en rapides de leurs statuts, de leurs salaires, de leur liberté et de leurs moyens pour investiguer. Il suffit de regarder le prix moyens des piges, aujourd’hui et de le comparer à ce qu’il était il y a vingt ans. Les porcs de la finance et les lepénistes honteux ne leur tresseront pas de couronnes. Quand ils estimeront que l’opposition digne et de bon ton, genre « socialistes à l’assemblée », n’est plus audible, ils laisseront Arnault se goinfrer. Arnault qui foutra dehors sans ménagements, ni indemnités les quelques-uns qui se sont poliment opposés.

          Arnault et la tête pourrie de la politique en France ne sont pas du genre à aimer les libertés et ce qui peut les incarner, la Presse. Ils vont combattre ceux qui relèvent la tête, les réduire, les abattre et puis les jeter, comme des kleenex, comme des ouvriers Danone, si la Presse, la vraie, ne se donne pas les moyens de résister, de se battre.


          • Bulgroz 12 juillet 2007 12:24

            Pour les fascites rouges comme Exsam, il y a toujours Rouge, la publication de la LCR, section française de la quatrième internationale fondée autour de Léon Trotsky en 1938. « avec la Quatrième internationale, nous apprenons à voir et comprendre le monde avec les yeux du mineur polonais, de l’étudiante chinoise, de l’indigène du Mexique, des femmes algériennes ou sénégalaises, des travailleuses et des travailleurs de toute l’Europe ». Bref, tout ce qu’Exsam ne retrouve pas en consultant sur le web le site du Monde.

            http://www.lcr-rouge.org/

            Pour bien comprendre ce qu’est Rouge, la LCR et Exsam, lire

            http://www.lcr-rouge.org/questce.html

            Exsam n’a pas besoin du Monde et de ses kapitalistches.


          • wangpi wangpi 12 juillet 2007 18:40

            @ bulgroz

            bien lu le lien que vous avez indiqué. qu’y a-t-il de fasciste là-dedans ? que la LCR se trompe sur presque tout, ce n’est ni nouveau, ni propre à la gauche.

            Il n’y a qu’a lire les commentaires de cet article pour s’attrister sur la « bonne » conscience de lecteurs qui découvrent avec 30 ans de retard la réalité du monde. Avec ou sans majuscule. Et qui prétendent s’offusquer d’un état de fait qui les a rendu incapable de la moindre pensée dialectique.

            Plus le maître est infâme, plus l’esclave est immonde.

            Ce n’est pas une question de pseudo-couleur politique.

            Mais il est plus facile de balancer un avis sans intérêt sur un sujet qui dépasse l’entendement des abrutis, que d’oser porter un téméraire jugement historique : la fusion économico-politique a eut lieu il y a plus de 80 ans.

            Coucou ! Réveillez-vous ! On est arrivé...


            • Ben 15 juillet 2007 08:08

              ... une personnalité aussi emblématique que ne le furent Beuve-Méry ou Fontaine pour en prendre les rennes...

              ... et les daims et les caribous aussi ? C’est vraiment le Père Noël qu’il vous faut ! Mignonne faute d’orthographe. Le mot devait s’écrire « rênes » avec un accent circonflexe.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès