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Retrouver la Mesure de l’Homme

Le libéralisme privilégie le Marché à l’Homme. Bon nombre de décisions, d’injustices, de tensions proviennent d’un manque de considération de ce qu’est l’Homme, l’Humanité. Un manque d’éthique et de vision à long terme. Il y a cinquante ans, Martin Luther King, leader non-violent du Mouvement des droits civiques, exposait, dans un livre « The Measure of a Man » (La Mesure de l’Homme), la nécessité de changer de valeurs, de changer de regard pour bâtir un monde de Justice et de Paix. Des valeurs nécessaires dans les Crises d’aujourd’hui.

Le méconnu Traité de Lisbonne parle, dans son article deux, d’un espace de liberté, de sécurité et de justice où règne une « concurrence libre et non faussée », et dans sa version consolidée, une « économie sociale de marché à haute compétitivité ». Cela rappelle la rivalité de Caïn et Abel (Génèse 4, 8). La concurrence est institutionnalisée dans ce Traité qui sera en application à partir de 2014, s’il est ratifié par tous les pays membres de l’Union Européenne. Plusieurs pays ou dirigeants ne l’ont pas encore fait. La concurrence et la compétitivité de l’économie (sociale) de marché sont-elles bonnes pour l’homme et la cohésion sociale ? L’intégration de l’Union Européenne à un Grand Marché Transatlantique entre 2015 et 2017 préservera-t-elle la souveraineté et l’identité de l’Europe, et la diversité culturelle de ses Etats membres ? Quelle sera la place de l’homme et du profit dans ce nouvel ensemble ignoré par la campagne des européennes 2009 qui fait élire les députés européens pour la période 2009-2014 ?
 
Il y a cinquante ans, en 1959, Martin Luther King publiait un ouvrage : la Mesure d’un homme. Dans ce livre, il montra que nombre de difficultés et d’injustices viennent du fait de mal considérer l’homme dans toutes ses dimensions, et que la valeur d’un homme, sa dignité, ne dépendait pas de critères seulement économiques, de sa religion, de sa santé, de son âge, de son handicap, de ses orientations, de sa race, de sa couleur de peau. Même le pire des assassins reste le frère de ceux qui le condamnent : il distinguait la personne de son acte ou de ses idées.
 
Pour un vivre-ensemble harmonieux, serein, les lois doivent d’être justes. Une loi est juste si elle est en cohérence avec la loi naturelle, accessible à la conscience du plus grand nombre : elle est « juste » si elle fait grandir l’homme ; elle est « injuste » ou « moins juste » si elle ne fait pas grandir l’homme, homme individuel ou communautaire.
 
Mais cela ne suffit pas. La loi doit être également « bonne » (ou morale) pour être bien reçue. Pour qu’une loi soit bonne, il faut que les moyens et la fin de la loi soient justes et bons. Une loi qui emploie des moyens mauvais pour une juste cause n’est pas plus morale qu’une loi dont les moyens sont bons pour servir une cause mauvaise ou discutable.
 
Martin Luther King (MLK) disait qu’il était alors un devoir moral de ne pas obéir à une loi injuste ou mauvaise. Y obéir serait se soumettre à l’injustice, coopérer avec elle, être injuste. Un homme moral n’est pas seulement celui qui commet le bien, mais est aussi celui qui ne coopère pas avec le mal. La moralité compte plus que la légalité, puisque dans son esprit « le sabbat (la loi) est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat (la loi) » (Marc 2, 27). D’ailleurs Jésus insiste : Cessez de juger selon l’apparence, jugez selon la Justice (Jean 7, 24). Mais l’homme, le citoyen de bonne volonté, est rare : manque-t-il de conscience ou de courage ? Préfère-t-il les confortables « discours de la servitude volontaire » (cf la Boëtie) à une vraie liberté intérieure ?
 
Devant des lois injustes, MLK oppose la désobéissance civique. La désobéissance civique n’est pas l’anarchie et le mépris de la loi, mais au contraire une très haute exigence « performatrice » de la loi, qui exige de celle-ci plus de moralité et de justice. Devant des lois injustes, MLK invite à la conscience engagée et à la résistance citoyenne : opposer à la violence et aux armes la non-violence (sitting, marches, négociations, etc) qui met à nu la violence ; opposer à la loi aveugle/invisible du marché (offre/demande) le boycott qui agit sur la demande ; opposer aux mensonges et demi-vérités l’information honnête et la plus complète possible ; opposer à la culture de masse la valorisation des cultures minoritaires ; imposer à l’arbitraire des négociations, etc. Pour lui l’individualité a plus de morale que le groupe, d’où ses appels à la mobilisation.
 
Pour MLK, l’absence de tensions est synonyme de mort. Il existe des tensions négatives, celles des armes, etc. Mais il existe aussi des tensions positives, « créatrices », « rédemptrices » propres à un corps social en croissance. Et ces tensions s’appuient sur la défense de la dignité de l’homme - créature et de son environnement. Préserver l’homme, créé à l’image de Dieu, c’est honorer le Créateur. La gloire de Dieu c’est l’homme vivant, disait Saint Irénée. Ainsi, MLK invitait à l’évangile social, à redécouvrir cette radicalité du chemin des Béatitudes qui mène jusqu’au sacrifice christique de sa propre vie pour que d’autres aient la vie. Ce n’est pas qu’un sacrifice liturgique ou eschatologique, mais une imitation de Jésus-Christ : que celui qui veut me suivre renonce à lui-même et prenne sa croix ; mystère du lavement des pieds. La Terre Promise, la Jérusalem céleste est au prix d’un tel engagement citoyen à adhérer au bien (à la liberté, à la justice, à l’Amour-Agapè) et à rejeter le mal, l’esclavage du péché. S’opposer à l’oppression et à la violence sans recourir à l’oppression et à la violence. C’est pourquoi il se réfère à la signature de l’Acte/ la Proclamation d’Emancipation de Lincoln dans son discours « I have a dream » (Lincoln Memorial, Washington DC le 28 août 1963) qui ne s’est pas concrétisée cent ans plus tard, comme une promesse non tenue. Cette Emancipation par rapport à la ségrégation, l’oppression est une urgence vitale, éthique, incontournable pour exister dignement. Voici quelques extraits de ses discours appelant à une prise de conscience et à une révolution des valeurs :
 
« Deep down in our non-violent creed is the conviction there are some things so dear, some things so precious, some things so eternally true, that they’re worth dying for. And if a man happens to be 36-years-old, as I happen to be, some great truth stands before the door of his life — some great opportunity to stand up for that which is right. A man might be afraid his home will get bombed, or he’s afraid that he will lose his job, or he’s afraid that he will get shot, or beat down by state troopers, and he may go on and live until he’s 80. He’s just as dead at 36 as he would be at 80. The cessation of breathing in his life is merely the belated announcement of an earlier death of the spirit. He died... A man dies when he refuses to stand up for that which is right. A man dies when he refuses to stand up for justice. A man dies when he refuses to take a stand for that which is true. So we’re going to stand up amid horses. We’re going to stand up right here in Alabama, amid the billy-clubs. We’re going to stand up right here in Alabama amid police dogs, if they have them. We’re going to stand up amid tear gas. We’re going to stand up amid anything they can muster up, letting the world know that we are determined to be free ! »

Dr. Martin Luther King, Selma, Alabama, 8 March 1965
 
Traduction partielle :
« C’est notre lot à tous d’avoir peur de mourir, mais si un homme n’a pas trouvé ce pour quoi il est prêt à mourir, il ne mérite pas de vivre. Un homme meurt quand il refuse de se battre pour ce en quoi il croit. Un homme meurt quand il refuse de se battre pour la justice, un homme meurt quand il refuse de se battre pour ce qui est vrai. » Dr. Martin Luther King, Selma, Alabama, 8 March 1965
 
Cela rappelle l’existentialisme de Sartre qui disait, dans sa pièce de théâtre Huis-clos, que certains hommes « menaient une vie morte » faute de s’engager en actes.
 
« Je suis convaincu que si nous voulons être du bon côté de la révolution mondiale, nous devons comme nation entreprendre une révolution radicale de valeurs. Nous devons rapidement commencer à passer d’une société “orientée vers les choses” à une société “orientée vers la personne”. Quand les machines et les ordinateurs, les motifs de profits et les droits de propriété sont considérés comme plus importants que les individus, les triplés géants du racisme, du matérialisme et du militarisme sont impossibles à battre. » (Beyond Vietnam : A Time to Break Silence, 4 avril 1967)
 
« Aussi longtemps que l’esprit est mis en esclavage, le corps ne peut jamais être libre. La liberté psychologique, un ferme sens d’estime de soi, est l’arme la plus puissante contre la longue nuit de l’esclavage physique. Aucune proclamation d’émancipation lincolnienne ou charte des droits civiques johnsonienne ne peut apporter totalement cette sorte de liberté. Le nègre sera libre quand il atteindra les profondeurs de son être et qu’il signera avec le stylo et l’encre de son humanité affirmée sa propre déclaration d’émancipation. Et avec un esprit tendu vers la vraie estime de soi, le nègre doit rejeter fièrement les menottes de l’auto-abnégation et dire à lui-même et au monde : “Je suis quelqu’un. Je suis une personne. Je suis un homme avec dignité et honneur. J’ai une histoire riche et noble”. » Where Do We Go from Here ?, Discours au SCLC, le 16 août 1967
 
Par laxisme et tiédeur, le mal prolifère. On ne parle même plus assez dans les églises (comme ailleurs) du Diable, le Diviseur, du Bien à rechercher et du Mal à rejeter (ces deux attitudes étant baptismales). L’injustice et les inégalités institués divisent une communauté et sont donc mauvaises, font le jeu du « Diviseur ». Un relativisme mortifère qui galvaude la notion de liberté, ne fait plus entrevoir l’issue perverse de toute chose (cf Kant). Dans les années 1980, Jean-Paul II a même parlé du danger des « structures de péché » et d’une « culture de mort » (cf encyclique Evangelium Vitae n°95), inhérentes et intérieures à l’homme et aux sociétés, mais que la résurrection rédemptrice de Jésus-Christ et la coopération de ses disciples peut sauver. Dans son encyclique Evangelium Vitae (signée en 1995, cf numéros 95 et suivants), ce pape entrevoit les conditions et la nécessité d’un « tournant culturel », d’une révolution culturelle, en faveur de la vie. Vive la culture de vie, les structures de la grâce. La liberté et la vie sont liés : en touchant à l’une, on touche à l’autre. Ainsi en est-il aussi, à un degré moindre, entre la liberté et la vérité. La première étape d’un tel changement passe par la formation de la conscience morale du sujet, par l’éducation, par un nouveau style de vie, par la présence des intellectuels à la culture. « En somme, nous pouvons dire que le tournant culturel ici souhaité exige de tous le courage d’entrer dans un nouveau style de vie qui adopte une juste échelle des valeurs comme fondement des choix concrets, aux niveaux personnel, familial, social et international : la primauté de l’être sur l’avoir, de la personne sur les choses. Ce mode de vie renouvelé suppose aussi le passage de l’indifférence à l’intérêt envers autrui et du rejet à l’accueil : les autres ne sont pas des concurrents dont il faudrait se défendre, mais des frères et des sœurs dont on doit être solidaire ; il faut les aimer pour eux-mêmes ; ils nous enrichissent par leur présence même. Personne ne doit se sentir exclu de cette mobilisation pour une nouvelle culture de la vie : tous ont un rôle important à jouer. (…).Dans la lecture de la réalité, ils [les fidèles] doivent refuser de mettre en relief ce qui peut suggérer ou aggraver des sentiments ou des attitudes d’indifférence, de mépris ou de refus envers la vie. Tout en restant scrupuleusement fidèles à la vérité des faits, il leur appartient d’allier la liberté de l’information au respect de toutes les personnes et à une profonde humanité (n°98). Reprenant le message final du Concile Vatican II, j’adresse moi aussi aux femmes cet appel pressant : " Réconciliez les hommes avec la vie ". Vous êtes appelées à témoigner du sens de l’amour authentique, du don de soi et de l’accueil de l’autre qui se réalisent spécifiquement dans la relation conjugale, mais qui doivent animer toute autre relation interpersonnelle. L’expérience de la maternité renforce en vous une sensibilité aiguë pour la personne de l’autre et, en même temps, vous confère une tâche particulière : " La maternité comporte une communion particulière avec le mystère de la vie qui mûrit dans le sein de la femme. Ce genre unique de contact avec le nouvel être humain en gestation crée, à son tour, une attitude envers l’homme - non seulement envers son propre enfant mais envers l’homme en général - de nature à caractériser profondément toute la personnalité de la femme ". En effet, la mère accueille et porte en elle un autre, elle lui permet de grandir en elle, lui donne la place qui lui revient en respectant son altérité. Ainsi, la femme perçoit et enseigne que les relations humaines sont authentiques si elles s’ouvrent à l’accueil de la personne de l’autre, reconnue et aimée pour la dignité qui résulte du fait d’être une personne et non pour d’autres facteurs comme l’utilité, la force, l’intelligence, la beauté, la santé. Telle est la contribution fondamentale que l’Église et l’humanité attendent des femmes » (n°99). La foi ne doit pas être désincarnée, ne doit pas être indifférente à l’actualité sociale. Pour autant, la foi et l’Evangile ne sont pas un programme politique, mais un chemin vers l’unité (dans le respect des différences, cf Jean 17, 21) et vers Dieu pour tout l’homme et tous les hommes. Etre chrétien est un chemin d’humanité.
 
Le silence des médias et des politiques sur les enjeux réels et futurs de l’Union Européenne, sur la fascination fanatique pour les veaux d’or du 21ème siècle, sont moins inquiétants que le silence des citoyens et des chrétiens qui semblent laisser faire. « Vous êtes le sel de la Terre. Si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on » (Marc 9, 50) ? Suivre délibérément un chemin de Justice vaut plus que le mal apparemment triomphant. Là est la vraie liberté, lumière intérieure que nulle politique ne peut éteindre ou manipuler sans toucher à la dignité même de la personne. Car « que sert-il de gagner le monde si l’on en vient à perdre son âme » (Matthieu 16, 26) ? La Crise financière et le peu de solidarité avec les pays du sud ou les plus fragiles nous rappellent que l’argent est un bon Serviteur mais un mauvais Maître. Redécouvrons ensemble ce qu’est l’homme, ce qu’est la civilisation et la cité, et ce qu’est Dieu. Adam, réveille-toi et réagis sans complaisance ni violence dans les débats sur les enjeux majeurs de société ! Dans un monde idéal, le profit serait ordonné à la Finance ; la Finance au Capital ; le Capital au travail ; le travail à l’Homme (individu et groupe). Or, aujourd’hui, c’est l’inverse qui pourrait se produire durablement. Alors, quelque soit votre opinion, en conscience, votre religion, vos idéaux, impliquez-vous dans la vie sociale et les débats de société (bioéthique, etc).
 
Yann
 
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3 réactions à cet article    


  • Moristovari Moristovari 28 mai 2009 19:21

    Si l’article n’était que trop mystique et moralisateur, cela irait encore ; hélas nous devons en plus supporter un langage dénué de toute passion, de toute colère. Cette absence de correspondance entre le ton et le sens rappelle cruellement ces présentateurs télé nous instruisant du malheur du monde avec la bouche en cœur. S’il vous plaît, quitte à avoir la foi, ayez celle de Léon bloy.


    • Gül 28 mai 2009 19:32

      Bonsoir,

      L’idée est appréciable, les paroles de MLK plus que jamais d’actualité. La prise de conscience nécessaire et urgente.

      Mais enfin, pourquoi cette espèce de prosélytisme mal caché derrière quelques rares autres références ?

      C’est tellement dommage.

      Malgré tout, merci d’avoir abordé ce sujet important.

      Cordialement.


      • yann 28 mai 2009 23:01

        à Sampiero, Moristovari, Gül, Merci pour vos remarques pertinentes. MLK était un chrétien. mon regard partage cette foi. Je ne cherche pas le prosélytisme, mais à montrer que des gens, ici chrétiens, peuvent être indignés quand l’homme est nié et proposer des pistes pour rendre le monde meilleur. Entre l’intention et l’action il y a souvent un décalage. Entre la morale individuelle et une institution (église, groupe, etc) aussi. Je pense que les religions ne sont pas parfaites et qu’elles ont de mauvais côté comme des bons. Sous prétexte des mauvais côtés, faut-il refuser aussi les bons ? Je ne sais pas. Mon article souhaite ouvrir des portes plutôt que d’en fermer, ouvrir le débat, échanger. Alors merci de vos contributions. :)

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