Secrets de famille ; une vie de non-dits toxiques
La cellule familiale commence à la naissance d'un enfant, une mère ou un père célibataire, un couple d'adoptants, une famille recomposée forment une famille. « La vie privée, c’est ce qui n’est pas dit ; le secret, c’est ce qu’il est interdit de connaître et qui est douloureux, pour soi ou pour ses proches » (Serge Tisseron). Le secret de famille a pour but de se rendre moralement et socialement acceptables, il s'agit rarement d'un secret altruiste comme celui de taire une souffrance dans le seul but de préserver ses enfants.
Les secrets de famille concernent de nombreux domaines : liens de filiation : enfant né sous X, enfant adultérin, abandonné, adoption, PMA, GPA, fécondation in vitro - la sexualité : perversion, inceste, homosexualité, viol, IVG, stérilité - la situation économique : pertes financières, faillite, déclassement professionnel - des temps troublés : collaboration, déportation, guerre coloniale - la mort : infanticide, suicide, homicide, décès prématuré - double vie, bigamie - troubles mentaux - démêlés judiciaires, etc.
Le secret de famille reste souvent attaché à la honte ou à un sentiment de culpabilité pouvant déboucher sur la rage narcissique (Heinz Kohult) lorsqu'il est découvert. Un secret exsude au travers de comportements incongrus, anxiété à aborder un certain sujet, des mimiques, des silences, des phrases ambiguës, des modifications dans la voix, des minauderies, des lapsus, des actes manqués, tristesse, parent soupçonneux, etc. La bouche se ferme mais le corps trahit l'embarras. L'énergie à contenir le secret est parfois suivie d'un cortège d'angoisse, transpiration excessive, énervement, évitement, alcoolisme, toxicomanie, addiction, dépendance affective, somatisation, hypersensibilité, cyclothymie, dépression, anxiété chronique, etc.
Les secrets de famille ont non seulement des répercussions sur leurs détenteurs, mais aussi et surtout sur les enfants. Notre passé conditionne notre présent ainsi que notre futur. L'enfant est en présence d'un secret subi qui n'a rien à voir avec un jardin secret. L'enfant, une éponge affective, n'est pas dupe des faux-fuyants et des non-dits. Il ressent que quelque chose « cloche ». Si l'adolescent soumis à un parent autoritaire coopère et reste incapable de s'affirmer. Même s'il en ignore les tenants et aboutissants, l'enfant encourt le risque d'adopter un comportement qu'il pense être en adéquation avec la situation : ne plus l'évoquer et passer à autre chose, ou en percer l'énigme. Une telle situation évoque le syndrome de Stockholm étendu à la famille.
Fin 1968, une jeune femme âgée de 20 ans accouche d'une fille prénommée Marie-L. Le père, empréssé, aurait « forcé » l'huis... A l'époque la majorité est fixée à 21 ans et la pilule contraceptive est disponible, mais l'avortement reste interdit. Être fille-mère reste une honte. Les deux tourtereaux régularisent leur situation par un mariage « réparateur ». La jeune mère est de nouveau enceinte au retour de couche et donne naissance à un garçon. Le couple et les deux enfants vivent chez les parents du père. Trois années s'écoulent, le mari décède dans un accident de la route. La jeune veuve partage rapidement sa couche avec son beau-père... Un semestre plus tard en chemin pour retrouver son beau-père sur le lieu de son travail et de rentrer ensemble à bord du même véhicule, la jeune mère fait la rencontre d'un homme de son âge. C'est la passion, l'embrasement, une porte cochère abrite leur émoi.
Dans le Panthéon romain, elle serait rapprochée de Vénus, l'éternelle amoureuse. Allure douce, féminine, démarche sensuelle un peu aguicheuse. Cette Vénus extravertie dotée d'un caractère sentimental capable d'allumer le désir chez les hommes aussi bien que chez les femmes, semble toujours en attente de quelque chose ou de quelqu'un. Sa passion véritable ? l'amour propre, celui que La Rochefoucauld plaçait à l'origine de toutes les autres passions. L'amour de soi à travers le regard de l'autre, n'aimer l'autre que pour soi, ce qu'Alain a appelé l'amour malheureux. Vénus se décide à vivre sa passion. Elle arrache ses deux enfants à leurs grands-parents paternels pour les confier à ses propres parents. Les deux orphelins seront privés de toute leur parentèle paternelle, sans doute par crainte que sa liaison incestueuse soit découverte, ce qui sera le cas. « Demander à un amant d'être discret, c'est demander à un coq de ne pas chanter au lever du soleil ».
Une fin d’après-midi, son compagnon découvre Vénus inconsciente étendue sur le lit, à ses côtés un tube de barbituriques et une bouteille d'alcool vides. Transportée aux urgences elle s'en tire avec un lavage d'estomac. Elle annonce à son compagnon quelques mois plus tard qu'elle est enceinte... Le jeune homme qui est bien le père de l'enfant à naître va découvrir la face cachée de Vénus, une femme volage. Un soir alors qu'elle tarde à rentrer, le père se présente chez la nounou pour y récupérer son fils, d'apprendre que la mère a demandé à celle-ci de garder l'enfant pour la nuit ! Quand elle rentre au petit matin, elle déclare qu'elle a participé à un rallye touristique à Barbizon et qu'elle a préféré dormir dans sa voiture que de risquer l'endormissement au volant. La vérité est tout autre, elle a passé la journée et une partie de la nuit avec un artiste peintre !
C'est la rupture. Vénus s'en retourne chez sa mère emmenant avec elle le garçon alors âgé de trois ans. La maisonnée est aux mains de la gent féminine : la grand-mère - la mère - la sœur - la fille, le patriarche est décédé deux ans auparavant. Le père passe récupérer son fils tous les quinze jours pour le week-end et ils passent les vacances scolaires ensemble. Un semestre plus tard, la mère devenue trentenaire, emménage dans un appartement proche du pavillon maternel. Le week-end elle dépose ses trois enfants chez sa mère avant d'aller en boîte ou de recevoir un collègue de travail...
Au travers des dires, jeux et comportements d'un enfant de trois ans, le père a des doutes sur la façon dont son fils est traité. « Les parents maltraitants ne sont pas tous capables de sévices. d'abus sexuels ou alcooliques. Certains sont dominateurs, critiques, méprisants, manipulateurs ou tout simplement démissionnaires et incapables d'offrir le moindre soutien » Danielle Rapoport. Le pédopsychiatre consulté confirme les doutes du père ! Ce dernier exige des explications auprès de l'homme du week-end. Le nouveau venu tombe des nues et préfère rompre. Le couple se reforme et décide d'officialiser leur union afin d'offrir une famille stable aux trois enfants. L'homme ignore l'adage : une amante exceptionnelle ne peut faire une bonne épouse.
Marie-L devenue adolescente jalouse le petit dernier et déteste son beau-père. La mère ne fait rien pour améliorer la relation intrafamiliale. A 14 ans, Marie-L décide de s'en aller vivre chez sa grand-mère et d'entraîner son frère avec elle. Lorsque le beaux-père demande à son épouse adepte de l'éducation dite « positive » de réagir, elle lui rétorque « ne te mêle pas de ça » ! Avait-elle enfant été victime de « violences éducatives ordinaires » : diktats, claques, fessées, punitions, humiliations ?
Des mois s'écoulent jusqu'au jour où le mari est prévenu par des policiers que son épouse a été transportée aux urgences suite à une tentative de suicide ! Quand le mari lui en demande la raison, la réponse fuse : « c'est à cause de toi »... La vérité va venir des collègues de travail qui la surnommaient la Bovary, éponyme du roman de Gustave Flaubert... Le mari apprend qu'elle entretenait une liaison avec un étudiant en médecine de treize ans son cadet et que celui-ci venait de la « larguer » sur la pression de sa mère opposée à une relation « dénaturée ». Vénus avait cloisonné son existence : vie privée avec des copines - vie familiale - vie professionnelle - amours clandestines ! La passion, la tentative de suicide et la vanité suffirent à infléchir le sigisbée. Vénus et son freluquet décidèrent de vivre ensemble. Le père dût apprendre à un enfant de treize ans, sur le quai d'une gare au retour d'un séjour linguistique, qu'ils se retrouvaient seuls et que s’annonçait le temps des vaches maigres. Les comptes bancaires avaient été vidés (Vénus sera condamnée à trois mois de prison avec sursis pour faux en écriture de banque)...
La juge aux affaires matrimoniales n'est pas dupe de la situation ni de la personnalité cyclothymique et manipulatrice de la génitrice. La mère n'ayant pas demandé la garde de l'enfant, celle-ci est accordée au père. La mère ne bénéficiera pas même du droit de visite classique, un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires ! Le père et le fils se retrouvent sans le sou, mais le père a le plus beau cadeau que la vie puisse apporter à un homme, un enfant et pas seulement une filiation ; Aimer reste une émotion éprouvée.
Vénus et son partenaire vont se comporter comme certaines espèces du règne animal. Le petit dernier éliminé, une nouvelle gestation de la femelle est possible. Vénus accouche, à quarante ans, d'une fille. La famille est officialisée par un contrat notarial et Monsieur le maire. La dernière née a-t-elle été la victime d'une substitution d'enfant pour remplacer l'enfant abandonné ? Des propos peu maternels peuvent le laisser penser. Quoi qu'il en soit, l'étudiante va donner naissance à un garçon au même âge que sa mère avait eu sa première grossesse (l'âge moyen de la première grossesse pour les jeunes femmes de sa génération est de 28,5 ans). Est-elle détentrice d'une partie de la vérité qui la rend captive dont elle souhaite se libérer en s'affranchissant de la tutelle parentale ?
Faut-il dire la vérité aux enfants ? L'équilibre familial repose sur des fondations complexes : distribution de l'autorité, culturelle, sociale, économique, croyance religieuse, etc., et des personnalités différentes. Un enfant ne choisit pas de venir au monde, ni ses parents pas plus que sa famille. « S'ils continuent de rester unis ce n'est plus naturellement, c'est volontairement, et la famille elle-même ne se maintient que par convention » (Du contrat social, Rousseau).
Il n'y a pas de secret que le temps n’évente : documents administratifs, reconnaissance de paternité anticipée sur l'acte de naissance, découverte d'un livret de famille, la grosse d'un jugement civil ou pénal, l'absence des parents sur une photographie lors d'un mariage ou d'une réunion familiale, rupture des contacts avec les proches d'une parentèle, le courrier d'un notaire au décès d'un des parents, etc. Le doute est souvent pire poison que la vérité. Un adolescent déterminé à découvrir la vérité sur ses origines a prélevé des cheveux sur la brosse de son père qu'il a ensuite adressés à un laboratoire ADN avec les siens !
Si partager un secret avec son ou sa partenaire (contre-feu) peut soulager son détenteur, voire en suscitant la pitié (aveux égoïstes) ou en l'émaillant de contre-vérités, il peut être traumatique pour celui qui en a connaissance. Certains enfants craignant de nuire à la famille ou d'en transgresser l'image de respectabilité restent soucieux de maintenir un modus vivendi. Camille Kouchener a attendu le décès de sa mère pour révéler le viol de son frère jumeau à l'âge de quatorze ans par leur beau-père, le constitutionnaliste Olivier Duhamel protégé par son épouse, Evelyne Pisier, la mère des enfants ! Camille écrit : « J'ai été surprise de la violence de ma mère, de son déni. Cette violence m'a enfermée dans le silence, encore plus ».
Celui ou celle qui se risque à transgresser l'omerta encourt le bannissement, mais aussi de perdre une partie de ses droits à l'héritage chez les familles fortunées. Bernard Kouchner a déclaré : « J'admire le courage de ma fille Camille. (...) Un lourd secret qui pesait sur nous depuis trop longtemps a été heureusement levé ». Le secret de famille évoqué plus haut (non romancé) touche deux parentèles et quatre familles sur trois générations ! Pour la psychologue Anne Ancelin Schützenberger : « Ces histoires auxquelles nous n’avons pas accès continuent de se manifester dans un phénomène de répétition inconsciente ».
Les mentalités évoluent et certains secrets n’ont plus lieu à être maintenus. Avoir un enfant toute seule est devenu un choix revendiqué, l’homosexualité n'est plus un délit, ni l'avortement un crime. Le PACs a fait son entrée au Code civil, les libertins peuvent se retrouver dans des lieux particuliers et les cougars fréquenter des bars branchés pour des rencontres éphémères. L'inceste, la pédérastie, la prostitution, la trahison, la lâcheté restent de puissants tabous exceptés chez les êtres amoraux ou pervers.
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