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Sous l’humour… la colère dans la puissante manifestation parisienne de mardi 12 octobre 2010

La révolte sociale commence parfois par l’humour : en permettant de parler légèrement de ce qui est grave, il canalise la colère par le sourire plus ou moins jaune et lui donne une élégance qui la rend  acerbe plutôt que d’éclater en vaines invectives dans l’outrance de la rage.

On a ainsi relevé quelques perles sur les pancartes, affiches ou banderoles dans la manifestation monstre, mardi 12 octobre 2010, à Paris de Montparnasse à la Bastille. Elles ont en commun de fustiger une ploutocratie dont le gouvernement est accusé d’être le défenseur en imposant à tous une réforme des retraites injuste.
 
Le symbole et la métaphore de « la nuit du Fouquet’s »
 
Sans nommer personne, une banderole du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine en tête de cortège citait ainsi un aphorisme de Jean-Jacques Rousseau : « On a de tout avec de l’argent, hormis des mœurs et des citoyens  ». L’humour est ici dans le sous-entendu rendu compréhensible par le contexte de scandales financiers, car chacun est à même de mettre des visages sous le pronom indéfini « on ».
 
Pour ceux qui n’auraient pas compris, la même troupe du Théâtre du Soleil brandissait à côté une autre banderole : « Elle est bientôt finie cette nuit du Fouquet’s  ? » L’humour, cette fois, est dans le ton badin de réprimande, comme en use le maître envers l’écolier indiscipliné, mais il vise ici le symbole même par lequel le président Sarkozy a choisi d’inaugurer son quinquennat, le soir de son élection : le banquet auquel il a convié les plus grandes fortunes du pays dans un restaurant de luxe des Champs-Élysées à Paris. Surtout l’humour se fait noir et cède même la place à l’ironie quand le symbole de « cette nuit du Fouquet’s » devient métaphore : car la nuit ne se limite pas aux premières heures de la présidence sarkozyste, elle s’est étendue depuis sur tout le pays. Et la troupe du Théâtre du Soleil sous-entend qu’elle n’en finit pas de guetter une aube qui tarde à se lever.
 
La métaphore des cyclopes du Cac 40
 
Parmi ces grandes fortunes, celles du Cac 40 sont particulièrement ciblées : elles amassent des profits si considérables et les patrons sont si grassement payés. Force Ouvrière reproche ainsi aux « dirigeants » de n’avoir qu’ « une seule vision… celle du Cac 40  » et de prendre les citoyens pour des « pions  ». En illustration est exhibée la métaphore d’un visage anonyme dont le bandeau sur les yeux n’ouvre que sur un œil central comme l’était celui des cyclopes de la mythologie grecque. On ne saurait mieux dire que ces individus n’appartiennent pas à l’espèce humaine : ce sont des monstres.
 
La FSU emboîte le pas à FO par une autre métaphore où l’humour, cependant, tourne à la farce par l’exagération de la scène : à en croire la caricature, il suffirait de renverser et de secouer un de ces monstres cousus d’or pour que son seul argent de poche tombé à terre règle le problème des retraites : « La retraite, s’écrie, hilare le salarié en action, on secoue un peu, c’est financé !...  » 
 
La farce de la mendicité auprès de Mme Bettencourt
 
Mais de toutes les fortunes, il en est une qui, faisant « la une » des médias depuis des mois, est particulièrement montrée du doigt : c’est celle de Mme Bettencourt. Soupçonnée par sa fille de n’avoir plus toute sa tête, elle dilapiderait ses biens sous la pression de parasites sans scrupule. Du coup, un manifestant joue la farce de la mendicité en brandissant une pancarte : il feint de croire qu’il peut lui aussi venir faire la manche auprès de la milliardaire, appelée par son prénom et tutoyée comme une camarade : « Eh ! Liliane ! demande-t-il. Tu nous paies notre retraite ? (merci)  ».
 
Un jeu de mots ravageur
 
La découverte de relations étroites entre Mme Bettencourt et le ministre Woerth en charge du dossier des retraites ne pouvait pas ne pas être exploitée : elle permet d’établir facilement la relation entre grandes fortunes épargnées et retraites maltraitées. Un slogan l’exprime dans un jeu de mots ravageur : « 60 ans : parce qu’on le WOERTH Bien ». Non seulement y est reconnu le leurre de la flatterie dont joue le célèbre slogan de L’Oréal, l’entreprise de Mme Bettencourt - « Parce que je le vaux bien » -, mais le nom du ministre Woerth remplace avantageusement le verbe « vaux » à deux sons près (r et t), d’autant qu’il est proche du mot anglais « to be worth  » qui signifie aussi « valoir » ! La quasi équation de sons est ainsi donnée pour équation de sens pour montrer du doigt une identification prédestinée du ministre avec une des plus grandes fortunes de France. En outre, soumis à ce lifting, le slogan flagorneur de l’Oréal retrouve ici avec l’âge de la retraite à 60 ans un sens autrement plus approprié.
 
La métaphore du billet de banque et de la monnaie de singe
 
Cette même identification des gouvernants aux forces de l’argent était dénoncée par une métaphore encore plus cruelle sur une affiche du parti NPA : le ministre Woerth et le président Sarkozy figurent en gros plan, la mine réjouie, sur un billet de 500 euros, comme le font les effigies des princes depuis que l’humanité frappe monnaie. Et un slogan de proscription détourne celui de l’Oréal presque son pour son (le/ne – bien/rien) : « DEHORS, « parce qu’ils ne valent rien »  ». Un jeu de mots, au surplus, fait se chevaucher deux sens différents du verbe « valoir », l’un monétaire et l’autre moral : président et ministre sont assimilés à une monnaie de singe et à des… vauriens !
 
La métonymie et le paradoxe d’une paire de lunettes
 
Prévoyant enfin une nouvelle chicanerie sur le nombre des manifestants, une pancarte interpellait le président. Une paire de lunettes lui était offerte comme métonymie de sa myopie : « Prends-les, disait le slogan, tu pourras nous compter !  ». Un paradoxe s’y ajoutait : les verres badigeonnés d’un autre slogan, « Réforme injuste », ne risquaient-ils pas de lui troubler la vision ? La solution de cette contradiction apparente n’en était pas moins transparente : il importe moins de savoir combien de manifestants protestent que de prendre conscience que la réforme est injuste, quand bien même un seul manifestant la dénoncerait !
 
1968 prétendait découvrir « sous les pavés, la plage ». Sous le sourire de l’humour, il ne faut pas s’y tromper, c’est une colère puissante qui bout. L’opposition à une réforme injuste des retraites appelle la dénonciation d’une ploutocratie qui protège jalousement ses privilèges. Le ministre Woerth, Mme Bettencourt, le Cac 40 et le président Sarkozy en sont ici les figures symboliques brocardées. Au-delà des retraites, c’est un ordre social qui est désormais contesté. Paul Villach 

Documents joints à cet article

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10 réactions à cet article    


  • carnac carnac 18 octobre 2010 10:21

    A Lyon il y avait aussi ce 16 octobre de jolies pancartes
    http://picasaweb.google.fr/siteuricfdtra/LYONManifestationRetraites19OCTOBR E2010?feat=flashalbum#5528950416452791602

    une photo sur deux dans ce diaporama est une photo des pancartes - j’ai adoré le « LOL » des lycéens venus un samedi et bien identifiés dans le cortège pour montrer qu’ils n’étaient NI manipulés NI fainéants : LOL = Lycéens Osant Lutter
    http://picasaweb.google.fr/siteuricfdtra/LYONManifestationRetraites19OCTOBR E2010?feat=flashalbum#5528948514649159458


    • Vipère Vipère 18 octobre 2010 14:05

      Bonjour à Carnac et à Paul Willach

      Merci à vous deux, d’ avoir posté des pancartes rigolotes.

      De vraies perles !

      L’humour et la colère canalisées dans la forme de slogans personnalisés rendent compte du degré d’exaspération des français, du « ras le bol » des manifestants face au pouvoir qu’ils contestent sous toutes ses facettes.

      Et les manifestants se révèlent, preuve à l’appui, très imaginatifs et créatifs pour dénoncer les injustices et les abus de leurs dirigeants.

      Ma préférée ? le dessin, genre B.D. le ma
       


      • ZEN ZEN 18 octobre 2010 14:11

        Bon billet
        Au-delà des retraites, c’est un ordre social qui est désormais contesté

        Tout à fait ! La colère vient de loin...


        • Vipère Vipère 18 octobre 2010 14:21

          Bonjour à Carnac et à Paul Willach

          L’humour et la colère canalisée sous la forme de slogans dénonçant l’injustice d’une réforme ou les divers abus et incompétences d’un pouvoir devenu très impopulaire.

          Une présidence très contestée par les manifestants dont « les têtes de turc », sont SARKOZY et WOERTH ornant massivement les pancartes rigolotes ou incendiaires.

          J’ai adoré celle  : d’un salarié secouant un élu par les pieds, et de ses poches tombaient des billets de banque pour financer les retraites.


          • BA 18 octobre 2010 16:06

            Sur 4.800 stations gérées par Casino, Carrefour, Auchan, Cora, Leclerc et Intermarché, « il y en a quelque 1.500 en rupture d’un produit ou totalement à sec », a déclaré à l’AFP Alexandre de Benoist, délégué général de l’Union des importateurs indépendants pétroliers (UIP, grande distribution).

            http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5i7CgRkZVAlpPg9xdmN_81Qad -uOg?docId=CNG.c7e0d96e7c1f04e60dc126431d0655d4.a1

            Autrement dit :

            Casino, Carrefour, Auchan, Cora, Leclerc et Intermarché ont 1.500 stations-service en rupture de stock.

            Mais ça, ça ne concerne que 4.800 stations-service gérées par Casino, Carrefour, Auchan, Cora, Leclerc et Intermarché, sur un total de 13.000 stations-service.

            Il en manque 8.200 sur lesquelles nous n’avons aucune information.

            Et les stations-service Total ?

            Et les stations-service Esso ?

            Et les stations-service BP ?

            Combien de milliers de stations-service sont en rupture de stock EN TOUT ?


            • biendeschoses 18 octobre 2010 19:24

              Grand merci à M. Villach pour ses analyses des slogans que nous n’aurions jamais compris sans ses lumières.


              • BA 18 octobre 2010 21:26

                Pénurie de carburants : plus de 2.600 stations à sec, l’Ouest le plus touché.

                En agrégeant les chiffres de Total, des indépendants et des grandes surfaces, le nombre de stations touchées par un manque de carburant dépasse les 2.600 stations.

                http://www.lepoint.fr/societe/penurie-de-carburants-plus-de-2-500-stations-a-sec-l-ouest-le-plus-touche-18-10-2010-1251172_23.php


                • Peachy Carnehan Peachy Carnehan 18 octobre 2010 22:40

                  Mieux :

                  « Selon la CGT les convoyeurs de fonds envisagent d’entrer en grève, ce qui pourrait entraver l’approvisionnement des distributeurs bancaires et provoquer une pénurie de monnaie. » Lien.


                • Michel DROUET Michel DROUET 24 octobre 2010 09:18

                  Dans le genre ironique, j’ai bien aimé la parodie de la salsa du démon, transformée en salsa du Fillon (horreur ! malheur !) par les cheminots de Rennes et reprise par les manifestants dans le cortège de Rennes
                  La vidééo est visible sur Youtube


                  • BA 24 octobre 2010 14:05

                    Nicolas Sarkozy bat son record d’impopularité selon notre baromètre Ifop-JDD. La loi sur les retraites va être votée mercredi et pourtant le mouvement continue.

                    Sept français sur dix sont mécontents de Nicolas Sarkozy.

                    Selon le baromètre Ifop-Journal du Dimanche , jamais le président de la République n’a été aussi impopulaire depuis le début de son quinquennat.

                    Il égale même le record historique d’impopularité depuis 1958.

                    Avant lui, seul Jacques Chirac avait atteint un tel niveau.

                    A dix-huit mois de la prochaine élection présidentielle, Nicolas Sarkozy va devoir se transformer en magicien pour retourner un pays qui a basculé dans un antisarkozysme de plus en plus virulent.

                    http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/Le-conflit-se-concentre-sur-le-president-228977/

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