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Un délinquant sympathique (La part des anges)

Ce film est une expression supplémentaire du renoncement à l’action politique qui est une des caractéristiques de notre société (ou nos sociétés). Ce renoncement s’accompagne d’un maintien du discours politique, dans une forme répétitive, sclérosée, générale et, de ce fait, sans ouverture ni remédiation possible.

Ken Loach nous donne à voir un film avec des moments très contrastés, mêlant des domaines souvent considérés comme séparés. Une des scènes les plus étonnantes, impossible dans le réel, passons… est celle où le jeune agresseur entend les conséquences de son agression dites par sa victime : un jeune homme lambda, dans le bonheur ou le chagrin ordinaire comme on veut, a perdu tout goût à la vie, après le tabassage sans but ni cause dont il a été l’objet. Il n’y a rien à dire, qu’à écouter, avec l’espoir incertain que cet échange répare quelque chose chez le « blessé », psychiquement blessé à mort. L’agresseur ne dit rien, écoute et pleure. Cette scène devrait être un climax. Cette scène est la seule création de ce film. Et quelle création ! Superbe ! Une tentative de recréation pour les deux antagonistes de hasard. On ne saura rien de ce qu’il en a été pour l’agressé, si la réparation a commencé pour lui, ou non. On suit l’agresseur, notre héros, qui veut « s’en sortir »… Il a un enfant avec une femme extraordinaire d’amour et de sérieux, de compréhension, de patience, d’empathie… une femme dont personne ne parle.
A l’occasion d’un travail d’intérêt général, un éducateur sort du cadre institutionnel de son métier pour entrer dans une relation personnelle avec certains justiciables (?), délinquants (?) je ne sais pas comment on dit. Il veut leur faire partager dans sa passion : les grands whiskys. Il les emmène dans une distillerie… Robbie, notre héros, va accomplir sa conversion. Il va exploiter merveilleusement sa chance, ce qui lui arrive de l’extérieur sans qu’il n’ait rien fait pour la faire advenir. Il a un talent dans ce domaine, oh miracle ! Il est un nez, il flaire le whisky et le reconnait au parfum…
Une petite bande de bras cassés réunie par Robbie autour de lui, va voler quelques bouteilles hors de prix, quasiment vendues, oh miracle ! avant même que le « prélèvement » du whisky soit fait… et Robbie s’en est sorti ! Hourra !
Tout cela est dans un monde sans contradiction véritable, bisounours, on pourrait dire… Au moment du vol, une voiture arrive. Panique. Mais non ! Robbie aura le temps de ranger ses affaires, de se cacher derrière les fûts de whisky et même, en prime, entendra une conversation privée très utile pour la tractation financière qu’il a besoin de faire.
On rit souvent, et franchement, ce qui est rare en général au cinéma et encore plus pour ce cinéaste. On rit aussi de blagues de conscrits sur les couilles écrasées, mais il est beaucoup pardonné à un cinéaste politique comme Ken Loach.
En général, les discours sur ce film le scindent en deux parties : un tableau de la vie sociale désastreuse de certains jeunes et de certaines catégories : pas d’argent, pas de situation, partant pas d’avenir, pas de projet… Ken Loach est du côté des laissés-pour-compte, des petits, des sans-grades, de la révolution potentielle… puis, deuxième partie, l’humour pieds-nickelés où l’exclu de banlieue se montre plus malin que le système qui l’exploite… Ce qui est jouissif, et d’une certaine façon, continue l’esprit révolutionnaire.
Il fut un temps où Roland Barthes écrivait dans l’Observateur un article Un ouvrier sympathique pour rétablir le sens véritable de Quai des brumes et dire que c’était non pas l’éloge de la grève ouvrière mais l’éloge de la remise en ordre à la fin de la grève… Ce type d’analyse n’a plus court. On ne peut plus s’exprimer que dans le flux, le courant commun.
Il y a quelque temps, Guédiguian nous disait que la lutte des classes restait le moteur de la société et nous racontait une autre histoire d’agression, où un ouvrier en volait un autre, ce qui constitue une lutte entre ouvriers, me semble-t-il.
Cette absence de correspondance entre les causes, narrées dans les écrits ou les paroles (le système économique mondial), et les « solutions » individuelles et individualistes montrées dans les scenarios eux-mêmes me paraît un signe des temps, me paraît le lieu où ces films parlent de l’état actuel de la société.
Ken Loach nous raconte l’histoire d’un chanceux malin qui s’appuie sur la valeur économique au sens bourgeois du terme pour se rapprocher du mode de vie bourgeoise. Parce que la valeur du whisky, c’est vraiment du délire capitaliste ! Ken Loach tient un discours sur les causes : le système, le capitalisme mondial, l’avidité de quelques uns... discours connu, classique mais dans son film, il ne tape pas sur le système pardonnez-moi ce jeu de mots ; il exalte la débrouillardise personnelle, liée à un talent exceptionnel, et à une succession de coups de chance plutôt incroyable.

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1 réactions à cet article    


  • loco 3 juillet 2012 00:36

       Bonsoir,


       le cinéma, qu’est ce que le cinéma peut nous dire de la vie, maintenant que la vie elle-même n’est plus qu’un cinéma ?  
        Oui, on peut imaginer un ciné qui prône des valeurs de partage, (d’égalité et de fraternité, pour parler français), mais connement, comme au foot, le second rôle gagne moins que la vedette, et l’utilité comme le figurant sont rémunérés d’un os jeté comme à un chien. ça limite.....

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