Un Iroquois, entre réchauffement et variation climatique
La sauvegarde de la planète fait partie de ces idéaux incontestables qui animent les éléments les plus conscients de la société de consommation. Repus de leur richesse et atteints par les nausées de l’excès, ils érigent leurs conviction en dogme et pourfendent l’incroyant. La question que l’on peut se poser est de savoir si la croyance est utile à l’action dans ce domaine, ou bien s’il ne serait pas préférable d’avoir recours au pragmatisme et à la confrontation positive des données contradictoires.
Un Iroquois plongé sans préambule dans la tourmente du débat sur le réchauffement climatique aurait de fortes chances d’être frappé d’une profonde consternation. Le déferlement d’arguments ne serait pas sans lui rappeler les querelles stériles des sorciers de sa tribu. Néanmoins, homme de bien et curieux de nature, il accepterait, n’en doutons pas, de nous livrer son analyse. Amateur d’air pur, il aurait d’abord tendance à sentir ses bronches s’irriter des émanations toxiques produites par une multitude d’engins pétaradants censés incarner la technique moderne. Mais doué du bon sens propre à ceux que la société citadine occidentale hyperstressée n’a pas encore pollués, il mesurerait sans doute l’apport qualitatif que représente un véhicule automobile, un aéronef ou l’éclairage électrique.
Quant à savoir s’il s’agit là de la source de dégradation de la planète, il serait sans doute amené, après mûre réflexion, à faire un double constat. D’un côté, la pollution visuelle autant qu’olfactive liée à la société industrielle lui apparaîtrait comme une évidence. Un pèlerinage, à cheval sur son apaloosa, dans les entrées de ville ne le rassurerait pas sur les effets dégradants du culte frénétique de la consommation. Une visite complémentaire dans les friches industrielles et les dépotoirs en tous genres renforcerait sa nostalgie des forêts inviolées et des effluves d’humus juste après la pluie. Son jugement serait à ce sujet sans appel. Mais d’un autre côté, curieux de comprendre les enjeux du débat, il passerait en revue les coupures de presse, les rapports scientifiques, visionnerait les débats télévisés, surferait sur le Net, podcasterait les émissions de France Culture, assisterait à trois projections consécutives d’ Une vérité qui dérange, se passerait en boucle les émissions de Nicolas Hulot et méditerait sur le tout en attendant l’inspiration. Atterré par les images et les sons qui résonneraient en lui comme une mise en garde divine, il invoquerait Ataensic, la déesse tutélaire de son clan, pour qu’elle l’aide à faire le tri entre les paramètres de Milankovitć (excentricité, obliquité et précession de la planète), l’effet de serre, les cycles solaires et les conclusions du groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat. Cela ne manquerait pas de réveiller en lui le souvenir de ce qu’un exégète de l’Ancien testament lui aurait confié sur le Déluge, les fléaux qui avaient frappé l’Egypte de Pharaon, et le conduirait à se demander s’il n’y aurait pas derrière tout cela une punition proportionnelle aux crimes perpétrés contre la nature, c’est-à-dire contre Dieu lui même.
A ce stade, il serait tenté de jouir de la joie simple qu’éprouve celui qui résout une énigme. Une faute, un coupable. L’équilibre simple et rassurant de la justice appliquée au niveau planétaire avec le tout-puissant comme président de la cour suprême.
Mais notre homme, formé à la dure école de la nature, celle qui inflige les plus cruelles leçons de modestie, trouverait aussitôt la chute trop facile. D’autant que son respect envers les dieux de ses ancêtres ne l’aurait pas pour autant aveuglé sur l’usage que son sorcier en faisait pour conforter son pouvoir. Il n’est pas avéré que l’Esprit souffle derrière les masques de bois, alors qu’il est patent qu’un sorcier veut régner sur l’esprit de ses fidèles.
Voyageur interséculaire, notre Iroquois se souviendrait également avec quel entrain la conscience civilisée avait tenté d’éclairer les masses sur les voies à suivre pour s’assurer un avenir radieux. La religion comme transcendance des peines subies ici-bas, l’idéologie comme réponse au besoin de justice ou de grandeur, l’économie comme création de richesses sans fin. Des hérétiques ou des salauds avaient bravé, en vain, les prêtres de l’évidence en contestant le géocentrisme ou les bienfaits du socialisme scientifique. Autant de victimes réhabilitées trop tard, lorsque les baudruches se dégonflèrent.
L’Iroquois, marqué par la pratique tribale des conseils d’anciens sans fin, au cours desquels les sages s’affrontent, sans haine, pour déboucher sur des compromis réalistes, serait finalement alerté par l’unanimisme régnant autour de cette immense question. D’autant plus, qu’à ses yeux, cette dernière relèverait davantage de la religion que de la science. L’excommunication, qui frappe les penseurs réticents à se couler dans le dogme établi, en serait la preuve.
Fort de ces réflexions, l’Iroquois, soucieux de mettre sa pensée au service de l’action, serait tenté de faire part au bobo ébahi balbutiant dans sa barbe de ses conclusions pratiques. « Vous vous laissez impressionner par vos sorciers, le mettrait-il en garde. Ils vous font peur avec leurs alarmes, mais ne sont-ce pas les mêmes ou leurs prédécesseurs qui vous ont enfumés avec l’industrie lourde et la chimie au nom d’un progrès que rien ne saurait arrêter ? Cette peur n’est-elle pas destinée à détourner votre regard ? Avec les sorciers, il faut toujours se méfier, affirmerait-il avec un solide bon sens. A votre place, après les avoir laissé s’agiter dans leurs danses conjuratoires, j’essayerais de convaincre les membres de votre tribu de prêcher par l’exemple, pour que vos eaux redeviennent claires et votre air respirable. Nous sommes tous responsables de nos forêts et de nos rivières. Pour le reste, le Conseil des sages finira bien par faire la part des choses entre ce qui relève des hommes et ce qui relève des dieux, pour peu que la parole y soit libre. Mais surtout, n’oubliez pas où vous ont menés vos certitudes d’antan, cela vous évitera probablement bien des erreurs pour l’avenir. »
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