Un monde accessoire
Élucubration à partir de « Occuper la Vie » de Sergio Ghirardi.
Il ne s’agit pas d’une analyse scolaire de son travail, mais une mise en suite d’idées déjà conçues, puisque j’adhère, sauf à pinailler – ce que j’adore faire - sur des détails.
Un écrit, quel qu’il soit, n’est jamais une chose finale, mais un début : qui ouvre une porte, ou, la fermant fait réagir ; on réagit pour, on est content, on réagit contre, on devient intelligent.
Le capitalisme promu et imposé par l’empire occidental, a perverti tout ce qui avait été créé avant lui, et c’est une valeur forte car tous les gouvernements, locaux compris, et les individus pensent devoir faire table rase de ce qu’ils trouvent avant de poser leurs crottes.(1)
« Le nationalisme n’a rien à voir avec la nation anthropologique, la communauté humaine fraternelle Celle-ci ne peut exister qu’en harmonie avec ses racines locales et par une gestion horizontale du pouvoir exercé par des sujets qui s’aiment et non pas des troupeaux de médiocres frustrés, fédérés par la haine d’autrui, du différent. »
La perversion ici est une poupée russe puisqu’elle revêt l’aspect de la transmutation de la puissance en pouvoir, puis abus de pouvoir et domination puis exploitation.
Il faut bien comprendre qu’aucune perversion n’apporte de bonheur, ni à celui qui l’impose, ni à celui qui la subit. Il est tout de même incroyable que stagne en nos cerveaux abîmés, quasi l’évidence que celui qui se fait avoir est un faible dont on se fout, ou bien une victime que les bons cœurs impuissants plaignent, aident éventuellement et jusqu’à un certain point ; et que celui qui endoffe (2) est un modèle de réussite. À partir d’un certain stade, certes, il est traité de bourreau, de délinquant et n’est plus un modèle.
« Dans la civilisation occidentale qui a imposé son modèle à la planète, le capitalisme nous a éduqués au nationalisme avide d’appropriation privative, en faisant de la nation naturelle le véhicule ambigu d’une machine kafkaïenne au service de l’impérialisme des classes dominantes. »
L’éducation, oui, dans le sens de former aux usages imposés dans la société ; mais c’est presque un lavage de cerveau d’inculquer des choses tellement contraires à la nature. Une fois le premier niveau acquis, les suivants sont de la gnognotte ! On n’a plus notion du bon sens quand on n’en a jamais eu vent ! J’utilisais souvent cette expression naguère : on ne regrette pas le bon pain quand on n’en a jamais mangé !
Cela ne nous empêche pas d’avoir au fond de nous une mémoire ancienne où l’idée de gestion horizontale des cadres de notre vie, de confiance en la puissance, du savoir universel que fraternité est force, sont présents même si, et c’est normal, elle ne peut pas se décrire de manière précise, c’est la vie qui la réinvente, elle ne peut se figer en mots. C’est cette mémoire qu’il faut dépoussiérer, descendre des greniers et réactualiser. Il ne s’agit pas d’inventer un monde, mais de retrouver en soi celui auquel on aspire. Et si possible, en oubliant le spectacle des grimaces indifférenciées.
Nous sommes passés d’une ignorance généralisée, à une ignorance réservée au bas peuple, puis, récemment, à un savoir et une connaissance offerte à tous alors que nous sombrons dans une ignorance générale, mais nos dominants ne sont plus puissants, ni savants ; ils ne sont que formatés, le fruit des idéologies qu’ils défendent. Cependant il est possible qu’il n’y ait pas que les dominants qui soient ainsi formatés et, qu’à la longue, le petit peuple lui aussi soit convaincu que la seule voie naturelle est de poursuivre la chimère d’une réussite matérielle, aux dépends d’autrui. Il faut noter à cet endroit l’effet inouï de la délocalisation sur cette petite attache encore à notre âme : si l’on voit directement les effets néfastes, nuisibles ou catastrophiques de nos actes sur l’alentour, nous pouvons nous empêcher ; mais quand tout est délocalisé, et que les nuisances proches sont invisibles, il est facile d’occulter, et c’est tellement confortable que seuls quelques masos ou cinglés se privent. Qui sont moqués d’ailleurs.
C’est de cela qu’il s’agit.
J’avais idée que la mémoire collective enfouie n’était pas celle du vivant d’une organisation sociale première, mais celle des souffrances accumulées au cours des siècles d’exploitation, de famines, de misère et de guerres, presque toutes dues à l’accaparement des richesses par quelques-uns, le détournement des fruits du travail des autres. Il a fallu combien de siècles pour arriver à : la terre appartient à celui qui la travaille, et combien d’années plus tard pour revenir à la propriété seigneuriale ?
Il y aurait juste cette chose à changer, et c’est bouddhiste : tu ne t’approprieras pas le fruit du travail d’autrui. Qu’ajouter d’autre ?
Un peu d’humilité peut-être, cette humilité qui rend heureux de ce que l’on a parce qu’épanoui dans ce que l’on est. Cela commence à faire quelques décennies que des jeunes, de plus en plus nombreux, jouent perso et veulent grimper haut, à moins d’être dans un milieu particulièrement instruit, éclairé et aimant ! Ce n’est pas à tous les coins de rues. La facilité matérielle apportée comme par magie par des parents coupables de ne pas savoir aimer, de vouloir le mieux sans savoir lequel il est, n’a pas donné le goût de l’effort comme cheminement vers la satisfaction à toutes ces générations gâtées par des occupations futiles. Tout est addiction, toute addiction aliène dans la satisfaction recherchée jamais atteinte : exactement l’opposé du chemin qui mène à la plénitude. Et cela fait quelques années, que des jeunes jouent perso pour revenir à une vie sobre, à créer chaque jour, proche des élément : terre, air, eau.
Mais tous jouent perso.
L’expérience d’une génération qui se passait à l’autre et peu à peu s’accumulait en savoir, souvent oral, un savoir-faire, aujourd’hui moins que jamais ne se transmet ; je pense aux déboires rencontrés par ignorance, au gaspillage… le spectacle est ainsi arrivé à son comble que les images s’accumulent sans plus une minute pour les comprendre, et les analyser, sans plus un moment de vie qui ne soit pas vu comme digne d’être montré. Cette manière superficielle et artificielle d’appréhender la Vie – qui n’est évidemment pas inscrite exclusivement dans tous les esprits mais se partage avec des valeurs d’autres âges – est néanmoins le socle de la pensée dominante, a pour effet délétère et systématique la démission de soi. Il y a sans doute peu de personnes aujourd’hui qui ne se démettent pas d’elles-mêmes à un endroit ou à un autres des problématiques de la vie. Ce peut être la santé (il y a des spécialistes), ce peut être l’éducation ( il y a des spécialistes) et tous les savoirs-faire de spécialistes qui empêchent la débrouille et la créativité personnelle, et la paresse subséquente qui nous rive du lit au sofa, en passant par la voiture et l’ascenseur, tout ça sous climatisation à 20 degrés .
On attend de la science via les magazines, les conseils qui, soudain, nous disent que l’on est trop propres, qu’il est absurde de tout désinfecter… bref l’homme est coupé de ses racines, de son animalité, de son inconscient… et on (ne) s’étonne (plus), on (ne) s’étonne (pas) de la misère sociale, affective, créative, sanitaire… de notre civilisation à bout de souffle.
Personne n’a la solution pour réconcilier l’être et son inconscient, et ses racines et son animalité. Il nous faudra peut-être s’adapter, perdre l’ancrage pour toujours… mais si ces formes de distorsions, de disjonctions entre l’être et son avatar social sont différentes : par exemple, le féminisme qui libère la femme de la domesticité est, chez la pauvre ( pour ne pas dire la prolétaire puisque souvent la pauvre est domestique elle-même !) la bouffe industrielle réchauffée au micro onde, avec l’obésité et le diabète en prime, chez le bourgeoise aisée, le traiteur du quartier, chez la bobo libre, le même en bio, et chez l’élite, la domestique qui sait cuisiner, le fond du problème est le même, chez toutes !
Et ainsi...de suite !
Nous arrivons à un problème à résoudre qui a une multitude de tentacules, dans toutes les classes sociales : nous sortons ( et ce n’est pas une aide) d’un quadrillage rassurant de notre société.
Mais que ceux qui en eux ressentent cela, le captent, mettent toute leur énergie, spirituelle, intellectuelle, physique et sensible à ce retour… à la plénitude. Une plénitude qui n’est pas le paradis de la paresse, ni l’héroïsme de la difficulté, mais quelque chose en nous qui nous est dicté si on sait écouter.
Sergio Ghirardi, qui me pardonnera j’espère d’avoir pris un petit bout de son texte pour oser élucubrer comme j’en ai coutume, a publié ce livre aux Éditions chant libre. Sensible et proche en son temps du mouvement situationniste, il est ami de Raoul Vaneigem, et comme il y ajoute ses références reichiennes, il n’y a rien pour me déplaire !
sergio ghirardi - Recherche Google
1) La crotte est quelque chose qui n’a aucune valeur ; pas une merde qui est plus vulgaire comme mot et péjoratif comme objet !!
2) J’ai toujours adoré le vocabulaire régional, qui se fait comprendre sans qu’on l’ait appris ; mais pour les récalcitrants, « endoffer », dans le patois d’ici, veut dire, entuber, « avoir », tromper.
98 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON