Un mot pour un autre

En 1928 paraissait un livre étonnant : « le petit dictionnaire des mots retrouvés ».
Réédité et complété en 1956, il est l’œuvre de linguistes non dénués d’humour, qui ont tenté, et parfois réussi, à nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Ils avaient pour nom Maurice Darcy, Pierre de Lanux, Jacques Lecasble, Robert de Mareuil et Pierre Rousseau…la réédition de 1956 a été complétée par d’autres dignes linguistes dont Amboise Bierce, Jacques Yonnet, Pierre Chaumeil, Bob Giraud, William Fallet et d’autres…
La réédition s’appelait « à la recherche des mots perdus. » (ce qui n’a rien à voir avec l’aphasie)
En nous faisant croire que le sens originel de certains mots avait été dévoyé au fil du temps qui passait, ils ont en fait monté de toute pièce un authentique canular, très réussi.
Celui-ci a seulement été un prétexte à inventer d’autres définitions à des mots bien connus.
L’entrée en matière est à elle seule un petit chef d’œuvre :
« Il nous est apparu que les mots français, forgés par le peuple dans la riche matière grecque et latine, et consacrés par un emploi séculaire, étaient trop fréquemment et surtout trop rapidement détournés de leur sens originel et cela pour le plus grand dommage de notre langue.
Or, le français, langue à la fois divine et diplomatique, ne saurait tolérer longtemps, sans réagir, une semblable défiguration.
L’œuvre que nous entreprenons, nous ne craignons pas de l’affirmer, est une œuvre de réaction ; réaction contre l’interprétation fantaisiste des mots, réaction contre les corrupteurs de notre langue qui ne sont pas tous, hélas ! Des étrangers ou des illettrés ».
Le plaidoyer continue sur quelques lignes savoureuses, et crédibles, et vous pouvez en découvrir l’intégralité sur ce lien.
Pour mieux convaincre le lecteur de l’authenticité des définitions proposées, les rédacteurs donnaient pour chaque mot une citation, un proverbe, un extrait de livre.
Mais allons au cœur du sujet, et découvrons la définition retrouvée pour des mots que nous croyions pourtant bien connaître.
Voici donc un florilège de quelques un de ces mots.
Adultère : maladie sexuellement transmissible pouvant provoquer le divorce. Expression médicale désignant une inflammation de certaines muqueuses. « Il mourut d’un adultère géant. » (Esculape)
Ailloli : gracieux petit oiseau très combatif ; tue les mouches à distance.
Ballerine : Matelas de plume très doux, utilisé en Orient pour la confection des sofas. « Il s’étendit de tout son long sur la ballerine » (Serge Lifar-mémoires d’un entrechat.)
Bordel : petit berceau à roulettes en usage dans le Bordelais, d’où son nom. « Elle mit sa fille au bordel » (Marguerite)
Cataclysme : appareil de lavement intestinal, à haute pression, en usage dans les cas désespérés.
Duodénum : chant liturgique des Moines du Mont Athos. Entonner le duodénum ; certaines partitions anciennes furent écrites pour deux voix, d’où son nom.
Endimancher : accabler d’injures. « Je me suis fait endimancher de belle façon. » (Octave Mirbeau : journal d’une femme de chambre.)
Falzar : vaste caravansérail arménien servant principalement aux pèlerins de La Mecque. « Le falzar du juste est ouvert à tous. » (Coran III v.517.)
Goguette : terme d’architecture. Petite lucarne genre œil de bœuf, permettant d’observer les galipettes en toute discrétion.
Humus : nom donné à une race d’hommes préhistoriques remarquables par leurs très petites tailles. (Le président Sarközy en serait donc issu ?).
Jargon : gaz rare, nauséabond et à fort pouvoir éclairant. « Vous m’incommodez avec votre jargon » (Anne de Gonzague, princesse Palatine. Lettres, Vol. II)
Zouave : fleuve de Transylvanie qui, périodiquement, sort de son lit pour répandre aux alentours un limon fertilisateur. « Le delta du Zouave est le grenier de l’Europe. » (Elysée Reclus.)
La totalité de l’ouvrage est sur ce lien.
Cet ouvrage a inspiré un jeu de famille, assez drôle, bien pratique pour agrémenter les longues soirées d’hiver.
Ce jeu (et bien d’autres comme « cadavres exquis, le jeu du si, question réponse…) était pratiqué régulièrement par André Breton et ses comparses surréalistes sous l’appellation « jeu des définitions », (ou jeu du dictionnaire) avec beaucoup de variantes. lien
Il s’agit de choisir dans un dictionnaire un mot dont chaque participant affirme de ne pas en connaitre le sens.
Par exemple, qui connait le sens des mots : éphélydes ? Marcassite ? Retercer ?
Chaque page d’un dictionnaire contient au moins un mot si peu utilisé que peu en connaissent le sens.
Chaque participant doit inventer une définition susceptible de séduire les autres participants, et à la lecture de toutes les propositions (hilarité garantie), chacun donne sa voix à la proposition qui lui parait la plus convaincante.
Chaque participant choisit un mot à tour de rôle et quand le tour de table est finit, on peut compter les points et désigner le gagnant.
On peut aussi découvrir le jeu de carte surréaliste, appelé le Jeu de Marseille. lien
Pour ceux qui seraient tentés d’approfondir les jeux surréalistes, il y a ce lien.
Les surréalistes n’ont pas fini de nous inspirer.
On peut ainsi découvrir le jeu de l’Oie d’Yves Tanguy, ou ces jeux sur les mots.
Raymond Devos, célèbre artisan des mots, nous a proposé de jouer avec les mots. vidéo
Mais il y a aussi des mots qui dérangent aujourd’hui : ce bois dont on fait les langues.
On a choisi de les abandonner afin de les remplacer par d’autres qui disent la même chose d’une façon « politiquement correcte ».
Georges Lebouc en a même fait un dictionnaire : « parlez vous le politiquement correct » (édition Racine eds/ octobre 2007)
Il s’agit donc de positiver.
L’argument utilisé est d’éviter les discriminations raciales, sexuelles, sociales.
Le jardinier a disparu, il a été remplacé par l’animateur d’espaces verts.
Le balayeur est devenu technicien de surface,
La caissière de grande surface est une « hôtesse de caisse »,
L’éboueur est un ingénieur sanitaire.
Mais si les dénominations ont changées, le salaire, lui, n’a pas bougé.
Il n’y a plus de guerres : celle d’Algérie était qualifiée « évènements », et aujourd’hui on évoque des « opérations militaires », « opérations de nettoyage »….
Il n’y a plus de bombardements, il n’y a que « des frappes chirurgicales ».
Ce qui ne change pas le nombre de morts.
Il n’y a d’ailleurs plus de morts, il y a seulement des « effets collatéraux ».
L’aveugle est un non voyant, le sourd est devenu un déficient auditif, l’homosexuel est devenu gay, l’handicapé est une personne à mobilité réduite, le vieux est devenu un sénior, le clochard n’est plus qu’un sdf, mais sa misère n’a pas changé.
L’obésité est devenue surcharge pondérale,
En matière de finances, il n’y a plus d’argent planqué en Suisse, ou ailleurs, il y a seulement des « exilés fiscaux ».
Les riches, sont seulement des personnes financièrement à l’aise.
Il n’y a plus de pays pauvres, ils sont seulement « en voie de développement ».
Sur cette vidéo, une démonstration sur le « travail des mots » façon Pierre Desproges.
En matière de politique, il n’y a plus de promesses non tenues, il y a seulement des difficultés de réalisation,
Il n’y a plus de dictateurs, ils refusent seulement le partage du pouvoir.
Il n’y a plus d’insultes, il y a seulement de regrettables dérapages, et les injures ont été remplacées par des noms d’oiseaux.
En matière sociale, il n’y a plus de prostitué/es, il a des travailleurs/euses du sexe, il n’y a plus de misère, il a seulement des « exclus de la vie »,
Il n’y a plus de « chômeurs », ils sont des « demandeurs d’emplois », ou en disponibilité d’emploi, ils n’en ont pas de travail pour autant,
Il n’y a plus de racisme, il y a un patriotisme exacerbé, et les Roms ne sont pas stigmatisés, ils sont seulement reconduits à la frontière.
Et lorsque on veut construire la phrase : « il faut toujours savoir où est le ballon », il faudra dire bientôt « il faut toujours garder en cohérence le système de coordonnées personnelles avec le référentiel bondissant ».
Exemple donné par Claude Allègre, cet étrange scientifique, dans son livre « toute vérité est bonne à dire ». lien
Par contre, il y a un mot qui ne changera pas : la connerie.
Car comme disait mon vieil ami africain :
« On se repent plus d’avoir parlé que d’avoir gardé le silence ».
L’Image illustrant l’article tirée de « homme-economique.com »
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