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Une publicité Leclerc suscite deux jugements contradictoires en justice

L’enseigne de grande distribution Leclerc s’est souvent signalée par des campagnes publicitaires originales. Elle se présente, en effet, quasiment comme un syndicat de défense du pouvoir d’achat des consommateurs. Le paradoxe est un peu fort de café, mais il faut croire que les cibles visées sont touchées au cœur, puisque l’enseigne ne change pas de stratégie.

 Une parodie des affiches de mai 68
 
 Il n’y a pas si longtemps, l’enseigne Leclerc est allée ainsi jusqu’à détourner des affiches de Mai 68 en parodiant les slogans illuminés de l’époque pour revendiquer le blocage des prix : « La croissance oui, sauf celle des prix !  » lisait-on. « Il est interdit d’interdire de vendre moins cher. » « La hausse des prix oppresse votre pouvoir d’achat  » (voir photo ci-dessous).
 
On sait comment, à cet effet, l’enseigne opère depuis l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles qui a confirmé le 29 octobre 2009 un jugement du tribunal de Nanterre condamnant le Groupement d’achats des centres Leclerc (Galec) à restituer 23,3 millions d’euros à 28 fournisseurs (dont Yoplait et Fleury-Michon) : il s’agit du seul remboursement « des marges arrière indues », c’est-à-dire des sommes perçues sans contrepartie commerciale durant les années 1999-2001. 
 
Le paradoxe d’une parure de comprimés, pilules et gélules
 
Mais 14 jours plus tôt, c’est l’enseigne qui a gagné contre la société Univers Pharmacie, sise à Colmar, Direct Labo et les syndicats de pharmaciens USPO et UNPF. Elle avait été assignée en référé pour une campagne publicitaire perçue comme un dénigrement des officines de pharmacie.
 
Enfourchant comme d’habitude son cheval de bataille de chevalier blanc en guerre contre la hausse des prix, l’enseigne s’attaquait au coût des médicaments. Une affiche, en particulier, (voir photo ci-contre) présentait une curieuse parure de luxe ornant un présentoir d’orfèvre en forme de gorge féminine accompagné du slogan suivant : « Avec l’augmentation du prix des médicaments, soigner un rhume sera bientôt un luxe  ».
 
Pour capter l’attention, le paradoxe est saisissant : mis hors-contexte comme tout présentoir en vitrine pour concentrer le regard sur lui, le collier de luxe que l’on prend d’abord, par intericonicité, pour une parure de perles et de pierres précieuses, est en fait composé de vulgaires comprimés, de pilules et de gélules où le blanc uniforme de l’asepsie contraste avec deux rangs de couleur sur la chair de la gorge. La contradiction apparente vient évidemment de ce qu’on en use pas ainsi avec les médicaments : ce ne sont pas des parures de prix qu’on expose sur soi pour séduire ; leur grande valeur est de soigner des maladies. Et à y bien réfléchir, pourvu qu’ils soient absorbés selon une prescription médicale, ils sont même infiniment plus précieux que des perles, puisqu’ils peuvent aider à sauver une vie.
 
L’ironie jusqu’au sarcasme
 
 La solution est donc à rechercher dans une métonymie qui, ici, présente l’effet pour la cause : si les médicaments rivalisent avec un collier de perles, au point de mériter d’orner un cou féminin, c’est qu’ils les concurrencent désormais en prix et sont donc devenus aussi précieux. On ne les avale plus pour se soigner puisqu’ils sont hors de prix ; il est même devenu de bon ton pour une femme de les exhiber sur sa gorge à l’instar d’une rivière de diamants.
 
L’hyperbole de l’image offerte est tout de même passablement outrancière. Elle ne devient recevable que si on voit dans cette exagération un indice d’ironie poussée jusqu’au sarcasme  : il convient de comprendre, en effet, que l’enseigne Leclerc dit le contraire de ce qu’elle pense. Loin de vouloir faire des médicaments les rivaux des perles et pierres précieuses, elle entend seulement stigmatiser le coût jugé exorbitant des médicaments.
 
Ainsi doit être stimulé un réflexe de révolte et de condamnation de cette situation, et par voie de conséquence, de ses responsables : sont évidemment visés les laboratoires et les officines de pharmacie, accusés implicitement de cynisme pour pratiquer des prix exagérés. Est-ce à tort ? Simultanément, le chevalier Leclerc doit s’attirer, par un réflexe inverse, la sympathie chez les victimes au secours desquelles il court.
 
Le désaccord des instances judiciaires
 
Il est intéressant d’observer que la justice saisie a émis sur cette campagne un avis contradictoire selon les instances. Le tribunal de grande instance de Colmar l’a d’abord interdite le 21 avril 2008, y voyant une « pratique commerciale déloyale  », nuisant « nécessairement et évidemment aux pharmaciens d’officine » tout en faisant la promotion des « parapharmacies Leclerc  ».
 
La cour d’appel, le 7 mai suivant, a, au contraire, infirmé le jugement. Et le 13 octobre dernier, la cour de cassation a confirmé l’arrêt, ne voyant pas dans cette campagne de « trouble manifestement illicite » : « L’image d’une parure faite de pilules et de gélules, dit-elle, est sans doute d’une ironie un peu agressive, mais elle ne dépasse pas les limites de ce qui est permis en matière d’expression humoristique. » (1) La liberté de création publicitaire y gagne et peut-être un peu aussi la Sécurité sociale. Du moins faut-il l’espérer. Paul Villach
 
(1) Le Monde fr. 15.10.2009
 

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12 réactions à cet article    


  • Fergus Fergus 13 novembre 2009 13:31

    Bonjour, Paul.

    Article très intéressant et très fouillé comme d’habitude.

    Cela dit, je suis en accord total avec les attendus de la Cour de cassation dans cette nouvelle « affaire du collier ». Les campagnes Leclerc usant du détournement de slogans politiques ou de la mise en scène agressive (ex : le CRS) étaient infiniment plus choquantes que ce collier de gélules et de comprimés !


    • Lisa SION 2 Lisa SION 2 13 novembre 2009 14:31

      " Et à y bien réfléchir, pourvu qu’ils soient absorbés selon une prescription médicale, ils sont même infiniment plus précieux que des perles, puisqu’ils peuvent aider à sauver une vie. "

      Excusez moi, Paul, mais, tous les esclaves du monde entier qui participent pour un euro par jour à enrichir les coffres de toutes les banques en creusant le sol à mains nues, peuvent acheter une boite de médocs frelatés en vente sur le trottoir, contre une pépite trouvée le matin même. Il faut vous rendre à l’évidence :

      La valeur de ces deux objets diffère selon l’endroit géographique et se recoupe par endroits.

      Leclerc est l’un des derniers maillons breton, enfin, français qui n’a pas encore changé de main et fait donc l’objet des pressions de la part des puissants opportunistes markets.

      Ils sont les seuls à prendre le risque de pratiquer la pub comparative http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/liberalite-legalite-ringardite-60295

      Leurs pubs sont judicieuses et audacieuses et leurs produits souvent meilleurs.

      Ils contribuent à faire tomber certains monopoles comme ceux liés aux obsèques et les officines pharmaceutiques qui continuent de vendre leur vieilles molécules un million d’euro le kilo et plus...

      Dites vous un truc, pour survivre comme ils le font face à la concurrence prédatrice, ils se doivent de conserver une réelle valeur marchande, une puissance financière sans laquelle ils auraient été mangés depuis longtemps. C’est sa pub si fortement personnalisée qui a permis à Citroën d’être encore là bien vivant et presque tous ses concurrents se sont mis depuis, à la traction avant.

      La métonymie, l’intericonicité ( bien que recopié, mon correcteur n’en veut pas et ne me propose rien du genre...), ni l’hyperbole ne vous sauveront sur ce coup là.


      • Paul Villach Paul Villach 13 novembre 2009 15:44

        @ Lisa Sion 2

        Je ne vois pas ce que vous me reprocher... Paul Villach


      • Lisa SION 2 Lisa SION 2 14 novembre 2009 01:25

        @ Paul,

        Je veux dire par là que Leclerc est le seul à user d’une loi très complexe qui a mis longtemps à germer, qui a été votée en assemblée, mais qu’encore personne d’autre n’ose appliquer. La publicité comparative ne peut pas s’appuyer sur des opinions et appréciations individuelles ou collectives. Il n’est effectivement pas question de critiquer les opinions, mais principalement de comparer et, elle doit concerner des produits identiques vendus dans les mêmes conditions et indiquer la durée pendant laquelle sont maintenus les prix mentionnés comme siens par l’annonceur. Et curieusement, les seuls qui osent pratiquer cette publicité sur le net, sont très nettement critiqués et particulièrement par les plus connus de animateurs sur les plus grandes télés officielles, y compris, à cinq heures du matin aux « infos » de la première radio de France où j’ai entendu : « Edouard Leclerc se contrefout de la loi française ».

        L’on peut donc déjà exonérer ce commerçant qui applique une loi qu’il a peut-être participé à développer auprès du député qui s’est battu pour la promulguer. On se doute comment, sans un solide cabinet d’avocats aucune pme même de taille moyenne n’est prête à assurer ses arrières en cas de procès, car la frontière est vous vous en doutez assez floue et tangible, ce qui vous pardonne de vous être insinué dans la brèche, surtout en matière de taille entre les candidats en liste.

        Vous pouvez tout dire en matière de publicité, mais prenez des gants quand vous abordez la publicité comparative, c’est un maillon essentiel qui mériterait d’être généralisé et qui devrait finir par faire jurisprudence. Mais pour cela, il faut encourager le seul acteur suffisamment solide pour l’appliquer.

        Cordialement. L.S.


      • G.BORDES 13 novembre 2009 23:40

        Démonstration implacable, peut être trop « scolaire » mais bon, c’est une main tendue aux plus septiques !

        A noter que l’enseigne Leclerc est coutumière des campagnes de promotions dites agressives. Pour s’en convaincre, se reporter aux précédents litiges notamment concernant la mise en place du site quiestlemoinscher.com qui avait été largement attaqué par Carrefour. Je suis désolé, je n’ai pas les références mais là encore, les juges ont estimé que le comparateur mis en place était licite.

        Une chose est sure, Leclerc maitrise bien la communication et parvient à jouer les funambules pour provoquer ses concurrents sans se faire rappeler à l’ordre. Et quelle meilleur promotion qu’un concurrent débouté de son attaque pour pratique commerciale déloyale ?


        • docdory docdory 13 novembre 2009 23:53

          Cher Paul Villach


          Je voudrais m’attarder sur votre dernière phrase : est-ce que la sécu y gagne un peu ?
          Il faut savoir qu’en pharmacie sont vendus quatre sortes de produits :
          - Les médicaments remboursés par la sécurité sociale
          - les médicaments qui ne sont plus remboursés par la sécurité sociale
          - les médicaments grands publics qui n’ont jamais été remboursés par la sécurité sociale, mais qui ont parfois la même composition que des médicaments qui, bien que remboursés par la sécurité sociale, sont délivrables sans ordonnance.
          - et enfin divers cosmétiques , produits d’hygiène, pansements, produits pour les cors aux pieds, « repas amincissants » , barres énergétiques , vitamines et autres poudres de perlimpimpin.
          En parapharmacie ne peuvent en théorie être vendus,dans l’état actuel de la législation, que la quatrième catégorie de produits, suffisamment inoffensifs pour qu’une utilisation inappropriée ne fasse pas courir de dangers, autrement dit , des produits qui n’ont pas besoin d’un pharmacien pour être vendus .
          Ce qu’il y aurait en fait de mensonger dans la publicité de Leclerc, c’est le fait d’argumenter sur le prix des pilules ou des gélules, dont la vente est pour l’instant réservée aux pharmaciens ( y compris les médicaments pour les rhumes, et même des produits quasiment inactifs comme l’homéopathie ! )
          En cela , Leclerc anticipe sur une probable évolution de la législation : nul doute que la satrapie ploutocratique Bruxelloise et autres lobbys commerciaux voient d’un mauvais oeil la vente exclusive en pharmacie de médicaments pour les rhumes ( ce qui n’est pas le cas en Grande Bretagne, alors qu’un mésusage de ces médicaments peut être dangereux ) .
          Evidemment , la sécu n’a pas d’intérêt financier à la prolifération des parapharmacies , elle pourrait même en subir à l’avenir des préjudices si des véritables médicaments y étaient vendus et venaient , par un mésusage , provoquer des effets secondaires coûteux pour la sécu !

          A noter que le dogme de la « concurrence libre et non faussée qui fait baisser les prix » est particulièrement mis à mal par l’industrie pharmaceutique : en effet , lorsqu’un médicament est déremboursé par la sécu pour divers motifs , immédiatement son prix se trouve multiplié par trois ou quatre. Aux USA, pays ou le prix des médicaments est fixé par les règles de la concurrence libre et non faussée, et non pas par les autorités de santé, les médicaments , même remboursés , sont bien plus chers qu’en France ( cf l’excellent film « sicko » de Michaël Moore , ou l’on voyait de braves citoyens américains se procurer à Cuba les mêmes médicaments pour cent fois moins cher qu’aux USA !!! )

          • ptipat 14 novembre 2009 10:03

            DOCDORY,

            Ce que vous indiquez au sujet de la fixation du prix par la loi du marché est exactement ce que nous vivons actuellement avec l’alimentaire, aprticulièrement en France et dont Monsieur Leclerc est l’un des principaux artisans.
            L’asséchement de nos contrès en petit commerce de toute sortes, produit une emmergence de ces méga/hyper/super marchés qui (bien évidemment s’entendent entre eux) qui fixent désormais les prix des différents aliments proposés dans leur officines !
            Ils ont déréglés la distribution des aliments au sein de notre pays.
            Inutilité aujourd’hui du marche de Rungis (ils ont des pseudo platforme de regroupement de marchandise....mais font toujours livrer une partie de leur fournisseur en direct....)

            Bref, aujourd’hui plus de réelle concurence puisque ces géant détiennent le marché de l’alimentaire en France et que nous sommes obligés de nous nourrir !
            Pourquoi baisser les prix puisque ces consommteurs sont obligés de venir chez nous ? !!!

            En Espagne, persiste (y compris sur des lieux touristiques) des petites épiceries (liées ou non à des enseignes locales) qui pratique des prix plus bas que l’hypermarché du coin !
            (de plus avec des produits frais « locaux » => fruits et légumes en particulier)

            Donc quand la vrai concurrence exsite cela fonctionne !

            Pour revenir au sujet des médicaments, il est nécessaire de garder nos Pharmacies et nos Pharmaciens tels que nous les connaissons à ce jour.
            Sinon gare à la déréglementation ! une fois que MM Leclers est Consort auront fagocité ce marché....ils régneront en Maitre comme aujourd"hui dans l’alimentaire !


          • french_car 16 novembre 2009 10:31

             Docdory, parce-que vous croyez que quand je demande une boite comprimés contre le rhume ou de pilules contre les allergies au pharmacien il se préoccupe de l’usage que je vais en faire ? Et me met en garde contre un quelconque mésusage ?
            Et pensez-vous que Leclerc prendrait le risque de les vendre sans la présence d’un pharmacien diplômé en ses murs si la loi l’imposait ?
            Leclerc n’est pas philantrope je vous le concède mais n’oublions pas qu’il a eu la peau de la règlementation du prix des carburants qui a conduit à une chute phénoménale du prix à la pompe, et qu’en de nombreuses circonstances il a oeuvré pour l’augmentation du pouvoir d’achat en cassant les monopoles.


          • french_car 16 novembre 2009 10:36

            Ptipat Leclerc ne pèse pas grand-chose vis à vis des puissants groupes pharmaceutiques, ne vous méprenez pas il ne règnera pas en maitre mais disons qu’il pourra au moins réduire les marges astronomiques octroyées aux pharmaciens.
            Docdory vous avez raison : dès qu’un médicament n’est plus remboursé son prix quadruple. Mais c’est parce-que la concurrence ne joue pas, si le médicament est génériqué il ne quadruple pas, son prix au contraire se voit plutôt divisé par quatre.
            Pour en revenir aux médicaments contre le rhume, il en existe 4 ou 5 sur le marché, en jouant sur les volumes Leclerc pourrait très bien les mettre en concurrence et faire chuter les prix.


          • docdory docdory 13 novembre 2009 23:58

            PS : à noter que l’avocat qui a défendu les intérêts des pharmaciens s’est bizarrement débrouillé : je pense qu’il aurait peut-être pu faire condamner Leclerc pour publicité mensongère , puisque Leclerc ne peut pour l’instant pas vendre de comprimés pour les rhumes ! Au lieu de quoi il a bêtement plaidé la concurrence déloyale ...


            • Avalon_Girl 14 novembre 2009 00:11

              Il serait cependant bon k les gens apprennent à se passer des médicaments frelatés, aux effets secondaires pires k le mal qu’ils sont censés résoudre, dont ils se gavent comme si de pralines ... !


              • pilou 17 novembre 2009 18:23

                @french_car :

                - « les marges astronomiques octroyées aux pharmaciens ». Pouvez vous me dire à combien se montent ses marges ? Ou à combien vous pensez qu’elles se montent ?

                -"dès qu’un médicament n’est plus remboursé son prix quadruple. Mais c’est parce-que la concurrence ne joue pas, si le médicament est génériqué" Je ne comprend pas le fond de votre propos. S’il n’y a pas de concurrence sur les médicaments non génériques, comment la grande distribution pourrait en réduire les prix ? En les retirant des rayons par mesure de rétorsion (ce qu’a fait Lidl avec Coca Cola par exemple) ?

                - il n’en reste pas moins que dans les pays où il y a une concurrence complète (ceux dont je suis sûr : USA, Canada, Afrique du Sud) : les médicaments sont plus chers que dans les pays avec des prix administrés.

                Merci de répondre à mes interrogations.

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