Une sale petite affaire : l’expertise psychiatrique de Marine Le Pen
Une sale petite affaire : l’expertise psychiatrique de Marine Le Pen comme exemple de la tentative de justification juridico-médico-étatique de la punition d’altérités politiques déviantes.
Quis custodiet ipsos custodes ? Mais qui gardera ces gardiens ? Juvénal, Satires
C’est une sale petite affaire, une petite combinazione politicarde bien sordide et bien politico-franchouillarde dont le ressac de l’actualité est en train de rendre compte en « habillant » un personnage politique auquel l’on reproche simplement d’avoir dit, rappelé et montré ce dont il est interdit de parler et qu’il serait interdit de voir alors que l’actualité s’en fait quotidiennement l’écho, le porte-voix et la caisse de résonance par tous les moyens de communication, reproduction, diffusion désormais disponibles 24h/24 à l’échelle de la planète.
Comme l’explique simplement le communiqué publié par son conseil ici repris dans son entier :
« Lors même que dans le cadre d’une polémique strictement politique Madame Marine Le Pen a diffusé sur son compte twitter en décembre 2015, en réponse aux propos de Monsieur Jean-Jacques Bourdin mettant en cause le Front National, des photographies librement accessibles sur internet d’exactions commise par Daech, le Parquet de Nanterre, saisi directement par Monsieur Bernard Cazeneuve, n’a pas trouvé mieux, faute de fondement juridique sérieux, de poursuivre Madame Le Pen sur la base d’un texte visant la « mise en péril des mineurs ».
Cette poursuite absurde qui dénature la lettre et l’esprit d’un texte destiné à protéger les mineurs, notamment des pervers sexuels, aboutit aujourd’hui au résultat plus absurde encore de voir la dirigeante du premier parti politique d’opposition convoquée à une expertise psychiatrique obligatoire dans le cadre d’une procédure « applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes » (art.706-47 du Code de procédure pénale).
Il n’y a bien évidemment aucun lien entre les tweets politiques mis en ligne en décembre 2015 par Madame Le Pen et une procédure destinée à lutter contre la pédophilie, la maltraitance et la mise en péril des mineurs.
La notification de cette ordonnance, à la suite d’une demande exprès du Parquet de Nanterre, amenant l’expert à s’interroger sur l’opportunité d’une « injonction de soins » (sic) et son caractère supposément « obligatoire » montrent, si besoin était, le caractère parfaitement inadapté, artificiel et surtout partisan de cette procédure bâillon engagée contre Marine Le Pen.
A supposer d’ailleurs que les propos aient pu être poursuivis c’est à l’évidence sur le fondement de la loi sur la Presse du 29 juillet 1881, seule à même de fixer des limites à la liberté d’expression, qu’ils auraient dû l’être…
Madame Le Pen, dès lors, non seulement ne défèrera pas à la convocation mais elle demandera, en application de l’article 80-1-1 du code de procédure pénale, à bénéficier du statut de témoin assisté dans ce dossier. Me David DASSA – LE DEIST Avocat au Barreau de Paris. »
II- Nuances
Les graves dérives de la psychiatrie à la remorque de l’Etat et de son bras armé judiciaire lorsqu’il s’agit d’éliminer des adversaires politiques ne sont pas nouvelles. « Une personne dont le comportement permet de conclure qu’elle souffre d’un trouble mental et qu’elle perturbe l’ordre social ou viole les règles de la communauté socialiste et constitue un danger pour elle-même et pour son entourage, peut être soumise à un examen psychiatrique sans son consentement. » Enlevez le mot “socialiste” qui caractérise cet article qui figurait encore récemment dans la législation soviétique et vous débarquez de plain-pied dans un monde qui ressemblera très vite au retour de la psychiatrie punitive ou préventive, mode plus ou moins subtil d’élimination sociale ou politique, qui conduit par exemple le quotidien Libération a publier en toute simplicité un article intitulé “Pourquoi l'expertise psychiatrique de Marine Le Pen est parfaitement normale”. Et voilà que relayant l’interprétation convenue et pour le moins élastique de dispositions d’ordre légal on nous explique que dans le cadre spécifique « d’infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes », « les personnes poursuivies pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-47 doivent être soumises, avant tout jugement au fond, à une expertise médicale. L’expert est interrogé sur l’opportunité d’une injonction de soins dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire. »
L'article 706-47 du code de procédure pénale renvoie lui-même à l'article 227-24 du code pénal, où figurent les faits pour lesquels Marine Le Pen est poursuivie – ils peuvent lui valoir trois ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Ladite expertise a en effet été demandée par le parquet de Nanterre dans le cadre de la procédure pénale visant Marine Le Pen après qu’elle a posté, en décembre 2015, des clichés d’exécutions commises par l’Etat islamique sur son compte Twitter. Mise en examen (inculpée, pour reprendre un langage normal) pour « diffusion de message violent, pornographique ou contraire à la dignité accessible à un mineur », la mesure ainsi ordonnée vise notamment à vérifier si l’intéressée « est en mesure de comprendre les propos et de répondre aux questions » et si « l’infraction reprochée au sujet est en relation avec des éléments factuels ou biographiques de l’intéressé ». On portera la plus grande attention aux termes utilisés dans cette phrase.
Dénonçant "la main du politique" et "une inversion des valeurs", Marine Le Pen estime être une cible privilégiée de la justice. "Ceux qui dénoncent nos ennemis sont poursuivis et ceux qui les encensent ne le sont pas", a-t-elle déclaré. "Il y a des milliers de tweets, chaque jour, qui font la promotion de Daech, de sa barbarie, des tortures qu’ils mettent en œuvre, des morts qu’ils ont faits sur notre sol. (…) S’il s’agit de me faire taire, ils n’y arriveront pas."
Publiés le 16 décembre 2015, peu après l’attentat du Bataclan, les tweets dont il s’agit étaient alors censés répondre à la radio RMC que Marine Le Pen avait accusée d’établir un "parallèle ignoble" entre son parti et le groupe terroriste. Deux ans plus tard, la justice française obtenait du bureau de l’Assemblée nationale la levée de l’immunité parlementaire de la députée du Pas-de-Calais, ayant permis cette mise en examen.
La frénésie médiatique ne s’embarrassant pas de détail oublie toutefois, comme les magistrats concernés, qu’il existe malgré tout une juridiction qui, particulièrement attachée au respect des règles de droit et à leur usage exact, a clairement déjà invalidé le procédé utilisé pour faire trébucher Mme Le Pen. Il s’agit de la Cour de Cassation, qui, dans un arrêt rendu en matière criminelle le 24 Août 2016, pourrait bien enrayer la machine en montrant que contrairement à une idée reçue, en matière criminelle, l’expertise psychiatrique ou psychologique n’est pas obligatoire puisqu’aucun texte du Code de procédure pénale ne fait effectivement obligation au juge d’instruction de l’ordonner de facto. Cass. Crim, 24 Août 2016, N°16-83546
Comme l’explique l’avocat commentateur de cette décision, dans la logique de l’arrêt de la Cour de Cassation, il n’est pas vain de rappeler que l’article 81 alinéa 8 du Code de procédure pénale mentionne expressément que : « Le juge d’instruction peut prescrire un examen médical, un examen psychologique ou ordonner toutes mesures utiles ».
Ainsi, il s’agit d’une faculté et non d’une obligation faite pour le juge d’instruction, qui appréciera l’utilité d’ordonner toute expertise nécessaire. Il se trouve que tout dépend précisément du contexte et de la qualité de la personne concernée au regard des enjeux politiques de l’expertise psychiatrique qui n’est pas un outil anodin.
III- Justification juridico et médico- étatique de la punition d’altérités déviantes
Le chercheur Samuel Lézé écrit très judicieusement à propos des enjeux politiques de l’expertise psychiatrique : « Aux “principes de justice” des psychiatres peuvent être comparés les “principes de psychologie” des magistrats dans la compréhension de la personnalité de certains prévenus. Dans certaines initiatives locales, il convient aussi de s'intéresser à l'harmonie préétablie entre expert et magistrat au sein de dispositifs de socialisation réciproque. En analysant les cas d'expertise présentant une difficulté particulière, il s'agit de rendre intelligible la façon de construire une figure de l'altérité déviante au travers d'un savoir spécialisé. Dans ces cas, et comme certaines observations le montrent, il est nécessaire d'analyser la production de la légitimité psychiatrique et psychologique qui n'est jamais acquise par le rapport seul, mais à l'occasion de son usage lors du procès. »
Il est très clair que l’utilisation d’une expertise pré-sentencielle constitue en la matière un grave dévoiement des règles de droit utilisées dans un objectif clairement déterminé qui est celui de légitimer médicalement la prise en charge et l’élimination judiciaire et politique d’un supposé profil psychologique qui poserait problème.
La Russie soviétique avait mis en place avec une rare violence des hôpitaux psychiatriques, spéciaux appelés psikhouchka (психушка) pour régler les « cas déviants ». Nous n’en sommes pas là mais avec cette sale petite affaire dont un chef de l’Etat serait fort inspiré de surveiller les dérives au regard des Libertés Publiques, tout simplement, du Droit et des principes démocratiques dont il est lui aussi constitutionnellement le gardien, l’alerte est désormais manifeste en France et, quoique l’on puisse penser, il est évident que la première des libertés pour l’intéressée comme pour quiconque est bien évidemment de refuser de la manière la plus absolue qui soit de prêter le flanc à de pareilles pratiques indignes et exorbitantes d’un Etat de Droit.
On savait le Droit flexible, mais à ce point là…
Sources et notes :
Daech (acronyme français de la déclinaison en arabe de l’état islamique الدولة الاسلامية في العراق والشام, ad-dawla al-islāmiyya fi-l-ʿirāq wa-š-šām, littéralement « État islamique en Irak et dans le Cham, i.e. la Syrie)
Arrêt : https://www.mallem-avocat.com/actualites-juridiques-news/partie-9/
Samuel Lézé, « Les Politiques de l'expertise psychiatrique. Enjeux, démarches et terrains », Champ pénal/Penal field [En ligne], Séminaire du GERN "Longues peines et peines indéfinies. Punir la dangerosité" (2008-2009), mis en ligne le 06 novembre 2008, consulté le 20 septembre 2018.URL : http://journals.openedition.org/champpenal/6733 ; DOI : 10.4000/champpenal.6733
https://journals.openedition.org/champpenal/6733#tocto1n3
J. Carbonnier, Flexible droit, Paris, LGDJ, 10e édition, 2001
Sarfati Jean-Jacques, « Des limites de l'idée du droit flexible », Le Philosophoire, 2012/2 (n° 38), p. 207-228. DOI : 10.3917/phoir.038.0207. URL : https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2012-2-page-207.htm
Les limites s’entendent à la fois des contours et des failles d’une chose. Ces deux aspects sont d’ailleurs complémentaires : c’est parce qu’un outil, une idée a des frontières qu’elle a des manques. Si une chose est limitée, elle ne peut tout dire. Ainsi en est-il de cette idée qui considère que l’une des caractéristiques premières du droit serait sa flexibilité.
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