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Accueil du site > Tribune Libre > Urbain Grandier et les possédées de Loudun : une affaire de sorcellerie (...)

Urbain Grandier et les possédées de Loudun : une affaire de sorcellerie sous Richelieu

Loudun, 1632. Une petite ville du Poitou, paisible en apparence, devient le théâtre d'un drame qui marquera l'histoire : l'affaire des possédées de Loudun. Au cœur de cette tempête, un homme, Urbain Grandier, prêtre libertin et figure controversée, accusé de sorcellerie et de possession. Entre hystérie collective, ambitions politiques et jalousies personnelles, la tragédie de Loudun s'écrit dans le sang et la folie.
 

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Un curé atypique dans une ville troublée

Né en 1590 à Rouvray, près de Chinon, Urbain Grandier est issu d'une famille bourgeoise. Il reçoit une éducation classique et poursuit des études de théologie, obtenant son doctorat en 1617. Nommé chanoine de la collégiale Sainte-Croix de Loudun, il se distingue par son éloquence et son charisme. Intelligent, ambitieux et doté d'un physique avantageux, Grandier ne tarde pas à attirer l'attention, et suscite autant d'admiration que de jalousie.

Urbain Grandier — Wikipédia

Or, le contexte religieux de Loudun est tendu. La ville, majoritairement catholique, abrite une importante communauté protestante. Grandier, malgré ses vœux, affiche une certaine tolérance envers les Huguenots, ce qui lui vaut l'hostilité d'une partie du clergé local. Ses frasques amoureuses, notoires dans la ville, contribuent également à ternir sa réputation. Il est notamment l'auteur d'un pamphlet virulent contre le célibat des prêtres, "Traité du célibat des prêtres", qui lui attire les foudres de l'Église catholique et notamment du très puissant cardinal de Richelieu.

 

 

C'est dans ce climat délétère que s'amorce le drame. En 1632, des religieuses du couvent des Ursulines de Loudun, dirigées par la mère supérieure Jeanne des Anges, sont prises de convulsions et de crises de démence. Elles affirment être possédées par des démons, et accusent Urbain Grandier d'en être responsable.

 

L'hystérie collective s'empare des Ursulines

Les manifestations des "possédées" sont spectaculaires et terrifiantes. Cris, blasphèmes, contorsions, lévitations, les religieuses semblent véritablement en proie à une force surnaturelle. Leurs corps se convulsent, leurs voix se transforment, elles vomissent des objets obscènes, profanent les symboles religieux et se livrent à des actes indécents. La nouvelle de ces événements extraordinaires se répand comme une traînée de poudre dans la ville et au-delà.

 

 

Jeanne des Anges, jeune femme ambitieuse et frustrée, joue un rôle central dans cette affaire. Atteinte d'une forme d'hystérie, elle est obsédée par Grandier, qu'elle accuse de l'avoir séduite et abandonnée. Ses crises de possession sont les plus violentes et les plus théâtrales. Elle décrit avec force détails les supplices que lui infligent les démons Asmodée, Zabulon et Isacaaron, envoyés par Grandier pour la tourmenter.

 

Observatoire de l'imaginaire contemporain

 

D'autres religieuses, influencées par Jeanne des Anges et l'atmosphère de peur qui règne au couvent, présentent à leur tour des symptômes de possession. Les sœurs Agnès, Claire, Louise et Marie-Madeleine sont parmi les plus touchées. Le couvent des Ursulines devient un lieu de spectacle macabre où se pressent curieux, médecins et exorcistes.

 

Un couvent hanté par le diable : Les possédées de Loudun | ici

 

Un procès en sorcellerie orchestré ?

Face à l'ampleur du phénomène, les autorités religieuses et politiques s'emparent de l'affaire. Le Père Mignon, capucin et exorciste renommé, est dépêché à Loudun pour enquêter sur les possessions. Persuadé de la culpabilité de Grandier, il multiplie les séances d'exorcisme, qui ne font qu'amplifier les crises des religieuses.

Le contexte politique joue également un rôle important dans la chute de Grandier. Le cardinal de Richelieu, principal ministre de Louis XIII, voit en lui un opposant gênant. Grandier a critiqué publiquement la politique du cardinal, et s'est opposé à la destruction des fortifications de Loudun, ordonnée par Richelieu pour affaiblir les protestants.

L'affaire des possédées offre donc une opportunité idéale pour se débarrasser de cet ennemi encombrant. Le cardinal de Richelieu ordonne l'arrestation de Grandier et charge le Père Joseph, son éminence grise, de superviser le procès.

 

Armand Jean du Plessis de Richelieu - Wikiwand

 

Torture et condamnation au bûcher

Accusé de sorcellerie, de pacte avec le diable et de possession, Urbain Grandier est emprisonné et soumis à la question. Malgré les tortures, il clame son innocence et dénonce un complot orchestré par ses ennemis. Les preuves contre lui sont pourtant accablantes : les témoignages des religieuses, les accusations du Père Mignon, et surtout des pactes diaboliques retrouvés dans sa cellule, signés de son sang et portant la marque de Satan.

 

Pacte fait par Urbain Grandier avec le Diable

 

Le procès de Grandier, qui se déroule en 1634, est une parodie de justice. Les juges, nommés par Richelieu, sont partiaux et déterminés à le condamner. Les témoignages des possédées sont considérés comme des preuves irréfutables, tandis que les arguments de la défense sont ignorés.

Le 18 août 1634, Urbain Grandier est reconnu coupable de sorcellerie et condamné au bûcher. Avant d'être exécuté, il est soumis à la torture "extraordinaire" des brodequins, qui lui brisent les jambes. Il est ensuite conduit sur la place publique, où un bûcher a été dressé. Devant une foule immense, il est étranglé puis brûlé vif. Ses cendres sont dispersées au vent, afin d'empêcher tout culte posthume.

 

Aucune description de photo disponible.

 

Ce n’est qu’en 1637 que prennent définitivement fin les cas de possession chez les Ursulines de Loudun.

 

L'affaire Grandier, une tragédie aux multiples facettes

L'affaire des possédées de Loudun est un événement complexe et fascinant, qui a inspiré de nombreux écrivains, historiens et artistes. Au-delà du drame humain, elle soulève des questions essentielles sur la nature de la possession, le rôle de la religion dans la société, et l'influence du pouvoir politique sur la justice.

L'affaire Grandier est-elle un cas authentique de possession démoniaque ? Ou bien s'agit-il d'une manifestation d'hystérie collective, manipulée par des individus avides de pouvoir et de vengeance ? Les historiens sont divisés sur la question. Certains, comme Michel de Certeau, y voient une forme de "théâtre politique" où les possédées jouent un rôle assigné par le pouvoir. D'autres, comme Robert Mandrou, privilégient l'hypothèse de la "possession diabolique", en s'appuyant sur les témoignages de l'époque et les symptômes présentés par les religieuses.

Quoi qu'il en soit, l'affaire des possédées de Loudun reste un épisode sombre de l'histoire de France, marqué par la violence, la superstition et l'intolérance. 


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28 réactions à cet article    


  • jocelyne 19 février 11:45

    Surement les premiers essais de haarp smiley


    • Fergus Fergus 19 février 13:26

      Bonjour, Giuseppe

      Merci pour ce rappel de l’une des affaires judiciaires les plus étonnantes de l’histoire de France.

      A toutes fins utiles, je vous informe que j’ai moi-même consacré un article à ce sujet en janvier 2017 :

      Jeanne des Anges vs Urbain Grandier


      • Bonjour @Fergus,

        Merci pour votre commentaire. J’ai beaucoup apprécié la lecture de votre article sur cette affaire judicaire étonnante de l’histoire de France mais, à mon avis, beaucoup trop méconnue. 

        Je conseille aux lecteurs de lire votre article car il apporte des éléments différents et complémentaires, historiquement fiables, sur cette affaire qui me passionne depuis très longtemps. 

        Je pense que les Ursulines de Loudun, les « vierges folles », étaient atteintes de folie et d’hystérie collective. Leur « possession » a continué après la mort d’Urbain Grandier, ce qui est assez inhabituel pour une « possession démoniaque ». Le cardinal de Richelieu, qui détestait les protestants, a joué un rôle déterminant dans cette affaire qui était devenue politique.

        La petite ville de Loudun a fut le théâtre de 2 affaires judiciares exceptionnelles : 

        • Urbain Grandier et la « possession » des « vierges folles » au XVIIe siècle ;
        • Marie Besnard, « l’empoisonneuse de Loudun » au XXe siècle.

      • Seth 19 février 13:54

        @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

        Les vierges folles sont opposées aux vierges sages. Faciles à reconnaître : elles portent une lanterne à l’envers à la différence des sages qui la portent à l’endroit et on peut les rencontrer sur les archivoltes des portails d’églises.  smiley


      • @Seth

        Quelle culture, Cher Ami ! Merci pour ce rappel Intéressant. On peut en trouver, en effet sur les archivoltes des portail d’églises et de cathédrales. On trouve également mention des vierges folles et des vierges sages dans le Nouveau Testament (Matthieu 25:1-13 LSG).


      • Seth 19 février 14:26

        @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

        Exact. C’est une parabole de Matthieu.

        Pour le reste ne me félicitez pas, c’est indispensable en Histoire de l’Art tout comme les vieillards de l’apocalypse et la reconnaissance des saints en fonction de leur symbole (eau, clef, parfum, tête, etc...) si on doit commenter une façade gothique.  smiley


      • Seth 19 février 13:50

        En lisant cela, une horrible pensée me traverse l’esprit :

        Se pourrait il que les moinillons et les nonnettes du monastère de l’Elysée soient possédés du démon par la seule intervention de leur confesseur politique, l’abbé Bayrou qui a sans aucun doute signé un pacte infrangible avec le diabolique Macron ?  smiley


        • @Seth

          N’ayez crainte, il n’y a plus aucune vierge à l’Elysée depuis belle lurette... smiley


        • Seth 19 février 14:29

          @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

          Et alors ? Il s’en trouve pour penser que Ste Thérèse d’Avila aurait vu le loup. Suffit de se repentir.  smiley


        • Seth 19 février 14:50

          @Seth @ Giuseppe

          Et avez vous écrit sur Thérèse d’Avila ? Elle est fascinante et son château de l’intérieur vaut le peine d’être lu.

          Tout comme les poèmes de son pote St Jean de la Croix d’ailleurs...


        • @Seth

          Je ne connais pas très bien Thérèse d’Avila. Je vais me renseigner un peu plus sur elle et lire son livre que vous m’avez conseillé. Je connais bien mieux Catherine de Sienne, qui a joué un rôle important dans l’histoire de l’Eglise catholique au Moyen Âge. 

          Par contre, je connais les poèmes de Jean de la Croix, un prêtre qui a eu de sérieux problèmes avec l’Inquisition espagnole.


        • Seth 20 février 13:53

          @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

          Thérèse d’Avila en bonne mystique a eu aussi des démêlés avec l’Inquisition avant d’être comme Catherine de Sienne nommée Docteur de l’Église.

          (Par la suite on a choisi cette pauvre petite de Lisieux. Les valeurs ne s’améliorent pas avec le temps et les dimensions ne sont plus les mêmes.)

          C’est général pour ce genre de personnages hors de l’orthodoxie religieuse, voyez les soufis. Pas en odeur de sainteté chez les talibans.


        • Seth 20 février 15:16

          @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

          Et ne ratez pas la lecture de « La Vie Passionnée de Thérèse d’Avila » de Brétecher.  smiley


        • rogal 19 février 14:03

          Les Protestants croient-ils au Diable ?


          • cevennevive cevennevive 19 février 14:08

            @rogal, bonjour,

            Mais non voyons !
            Pas de purgatoire. Peut-être des punissions divines (et encore)...


          • Seth 19 février 14:18

            @cevennevive

            Ça dépend. Ils font comme ils veulent et certains y croient...

            Voilà ce que c’est quand on n’a pas de Bergoglio. Tout part à vau l’eau.  smiley smiley


          • Bonjour @rogal et @cevennevive,

            En effet, nous ne croyons pas au diable, à l’enfer ou au purgatoire. Le protestantisme n’est pas la religion de la carotte et du bâton, comme le catholicisme (« Si tu es gentil tu vas au paradis, si tu es méchant tu vas en enfer »).

            D’ailleurs, il convient de noter qu’il existaIt les limbes dans l’Eglise catholique. C’était l’endroit où allaient les enfants non baptisés. Mais après 15 siècles de terreur pour les parents, le pape Benoît XVI a annoncé en 2007, après une enquête menée par des théologiens, qu’elles n’existaient pas et que les enfants non baptisés allaient directement au paradis.


          • @Seth

            Oui, il y a des protestants qui croient au diable, à l’enfer et au purgatoire. Ce sont surtout les évangéliques qui sont concernés et certaines Eglises protestantes américaines. Chez les évangéliques, des exorcismes sont pratiqués très souvent.


          • Seth 19 février 14:31

            @Giuseppe

            Normal : un possédé, Satan l’habite.  smiley



          • Jean 19 février 18:26

            cela me souvient : les folies de strasbourg


            • @Jean

              Bonsoir. Merci pour votre commentaire. Je ne connaissais pas du tout cette histoire qui est très intéressante et qui ressemble à celle des possédées de Loudun.


            • Seth 20 février 13:57

              @Jean

              On trouve encore ça au Crazy Horse.  smiley


            • Phil 19 février 20:20

               Bonsoir, Il y a un film de Ken Russel qui date de 1971, plutôt réussi de mon point de vue qui relate cette histoire : https://www.dvdclassik.com/critique/les-diables-russell


              • Bonsoir @Phil,

                Merci pour votre commentaire. Ce film a l’air d’être pas mal du tout, en effet. Je l’ai inscrit dans ma liste des prochains films à visionner. J’ai beaucoup de mal à trouver des films de qualité. Les films classiques sont très souvent des valeurs sûres, pas comme ceux qui sortent depuis une trentaine d’années...


              • Fergus Fergus 20 février 10:43

                Bonjour, Phil

                Je confirme que le film de Ken Russel est très réussi, bien qu’il ne soit pas totalement fidèle à la vérité historique et qu’il soit un peu trop complaisant en termes de sexe.


              • Rémy Rémy 20 février 13:52

                Aujourd’hui, les possédés ne sont plus à Loudun, ils sont rue du faubourg Saint Honoré.....( entre autres...)

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