Vers un ordre mondial renouvelé
En décidant d’intervenir en Ukraine, Vladimir Poutine a rompu le pacte scellé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale quand les puissants se sont interdit de recourir à la force des armes pour s’affirmer afin d’éviter toute montée aux extrêmes (Clausewitz) qui mettrait l’humanité en péril. C’est la règle de l’intangibilité des frontières qui bannit la guerre de conquête. Suivant ce principe, la communauté internationale, c'est-à-dire, pour une grande part, l’Occident, a mis au ban la Russie et a répondu à l’agression militaire de l’Ukraine par l’arme économique, la seule qui permette d’éviter l’engrenage fatal et qui, pense-t-on, soit adaptée à la nouvelle ère.
Possible que cela s’avère payant, mais rien n’est certain. En revanche, le résultat de cette rupture de pacte par la Russie de Vladimir Poutine a pour effet de ramener une part de réel perdu dans l’illusion d’une paix éternelle imposée par le droit international. Ce n'est pas le droit qui garantit notre survie, mais la Bombe. Aussi, tout sera fait par les belligérants de l’OTAN de l’Ukraine et de la Russie pour éviter la montée aux extrêmes dont personne ne pourrait rendre compte si elle devait avoir lieu ; ce serait alors la fin absurde et prématurée de l’aventure humaine, une aventure qui, d’ailleurs, étant vouée, tôt ou tard, à disparaître dans le vide, n’en est pas moins bordée par l’absurdité, sauf à rétablir l’existence d’un Dieu soucieux de Sa création (1).
S’il n’est pas question de mettre en œuvre le suicide collectif de l’humanité, des vents mauvais venus de l’Est soufflent sur le monde et sur l’Europe en particulier. Ces effets se font déjà sentir et ils ne manqueront pas de s’accentuer. Sans nul doute, quand la bise sera venue, ne pourra que s’aggraver l’état de délabrement de nos sociétés occidentales gagnées par la désolation et le chaos que toutes les techniques de communication, toutes les contre-vérités, tous les artifices politiques, tous les mensonges et recours aux narratifs les plus élaborés ne parviendront plus à masquer ou à taire.
Le réel fera alors un retour remarqué, bouleversant l’échelle dénaturée de nos valeurs. Espérons que ce retour nous obligera à fendre la gangue politique et médiatique qui nous enserre, nous aveugle et nous paralyse. Espérons que ce retour nous ouvrira les yeux et que nous aurons le courage d’affronter la réalité, aussi déplaisante soit-elle.
Entre 1989 et 1991, le monde bipolaire de la guerre froide s’est effondré comme un château de cartes et sans qu’un coup de feu ne soit tiré. La planète s’est ouverte alors au capitalisme débridé et arrogant de l’hyperpuissance américaine (Hubert Védrine) et de ses alliés occidentaux pour atteindre son acmé au début des années 2000. Aujourd’hui, l’Empire américain est sur le déclin comme le montre la crispation de Washington et de ses alliés Occidentaux ; le système capitaliste tel qu’il a évolué en solo est éculé et cherche à se renouveler ; le modèle socio-économique et culturel imposé par l’Amérique et l’Occident est contesté par d’autres issus de puissances régionales montantes en Russie, en Chine, en Inde et ailleurs, regroupées dans des ensembles concurrents comme le BRICS.
L’ère post-guerrière née en 1944 a connu une première transition avec la fin de la guerre froide imposant le nouvel ordre mondial conçu à la Libération ; une autre transition est en cours et, cette fois, contrairement à ce qui s’est passé entre 1989 et 1991, elle vire à la confrontation armée entre grandes puissances, indirecte certes - les Américains et leurs alliés menant ce combat par l’intermédiaire des Ukrainiens -, mais bien réelle. Le principe fondateur de notre nouvelle ère a été violé - le bannissement de la guerre de conquête porté par le caractère intangible des frontières - sur la base d'un autre principe invoqué par la Russie à propos des population russes de Crimée et des régions russophones de l'Ukraine, celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; c’est un tournant décisif qui s’opère en cette ère qui peine à trouver son équilibre, un tournant d’une tout autre nature que celui envisagé par le Great Reset et qui pourrait obliger le capitalisme, dans sa forme actuelle, à en rabattre pour s’adapter à la concurrence.
Un monde multipolaire, politique mais également culturel, émergerait de cette crise, battant en brèche l’insupportable et délétère occidentalisation intégrale pour renouer avec l’indispensable coalition des cultures chère à Claude Lévi-Strauss, une coalition mondiale qui se pose en contrepoint du choc des civilisations qui gangrène nos sociétés multiculturelles aux fondements artificiels. Cette évolution ne pourrait alors qu’amener les nations, ou les groupes régionaux, à composer avec la pluralité dans les domaines politiques et économiques, mais aussi sociaux et culturels. En introduisant une diversité réelle, in situ, qui ne soit pas importée et composée d’individus acculturés ou en voie d’acculturation, ce mouvement mondial permettrait aux peuples de recouvrer l’espace de liberté et d’expression perdu dans l’idéologie universaliste et la pensée unique.
J’aspire à pareil changement et, si cette crise intervenue entre l’Occident et la Russie devait nous être douloureuse – elle le sera probablement -, je ne regretterai pas la disparition du monde unipolaire né de la chute de l’empire du Mal (l’URSS selon Ronald Reagan) quand le prétendu empire du Bien qu’est l’Occident, à la faveur de phénomènes aux conséquences majorées (COVID, réchauffement climatique), verse dans le totalitarisme au sens donné par Hannah Arendt.
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