Viktor Bout et les USA, ou Mickey dans Fantasia (1) : la fausse surprise
Victor Bout enfin extradé apprend-on au début de cet été (à l’heure actuelle, ce n’est pas encore tout à fait le cas ) ! Voilà une nouvelle intéressante : s’il y a procès, on va apprendre des choses passionnantes, se dit-on (*). C’est compter sans les spécialistes de l’édification à la truelle de véritables barrages médiatiques. Un petit cochon qui construit vite une maison, face au loup qu’on vient de relâcher. Au premier rang de ses maçons-express d’un autre type, quelqu’un qui vient candidement de faire l’étonné en « découvrant », selon lui, les livraisons des avions de Victor Bout à l’armée américaine pendant le conflit Irakien : or, n’importe quel pékin moyen est aujourd’hui au courant de tout cela. Pourtant, celui qui affirme être « surpris » n’est pas n’importe qui.... il s’appelle Lee Wolosky. Ce nom ne vous dit peut-être rien, et pourtant... il en a des choses à nous dire ! Retour sur la carrière mémorable de Victor Bout, et révélations dérangeantes obligatoires à la clé. Et comme cela fait un petit bout de temps qu’on ne vous en a pas parlé, on va lui consacrer une bonne paire d’épisodes... le (très) vaste sujet méritant une étude approfondie... et quelques mises au point.
L’homme qui fait semblant de tomber de haut et qui vient nous jouer le coup du "je ne connais pas cet individu" n’est autre en effet que Lee Scott Wolosky, ancien membre du contre-terrorisme sous Clinton et Bush (père), responsable des "menaces trans-nationales" du "National Security Staff". Un organisme qui se charge depuis toujours, justement, de pister les marchands d’armes, jusqu’en dans leurs dépôt bancaires, et en ce sens... s’occupait activement du dossier Victor Bout ! L’homme qui vient nous faire croire à la surprise de découvrir les activités de Victor Bout est celui qui connaissait le mieux son dossier ! Cet homme, devenu avocat, ment, obligatoirement et nécessairement. Avec lui, les Etats-Unis s’enferment dans le déni. Et ressortent le vieux tiroir de la "dénégation plausible", une vieille recette de la CIA inventée par Allen Dulles, lorsque ça sentait trop fort le roussi dans un de ses dossiers. En fait de roussi, l’incendie que pourrait déclencher Victor Bout, en révélant toutes ces activités, n’est rien à côté de celui qui vient d’enflammer la Russie... il va falloir trouver une autre image que celle du petit cochon en ce cas pour venir le défendre.... chez Walt Disney, toujours, s’entend bien.
La déclaration est tout simplement scandaleuse, elle a été imprimée par le New-York Times du 29 août dernier : "M. Wolosky dit que lui et ses collègues ont été surpris d’apprendre dans les derniers bulletins d’informations que les sociétés de M. Bout ont été utilisées comme sous-traitants par l’armée américaine pour livrer des fourniture à l’Iraq en 2003 et 2004, y gagnant 60 millions de dollars, selon l’estimation de M. Farah. "J’ai lu ces rapports en état de choc", a déclaré M. Wolosky. "Personnellement, je l’attribue au désordre de l’ effort de guerre en Irak" ajoute-t-il. Il y a longtemps qu’un responsable américain n’avait pas menti autant, c’est clair ! Cette fameuse sous-traitance, tout le monde en a parlé, tout le monde la connait, tout le monde l’a vue, et tout le monde en a vu les effets. Sauf Lee Scott Wolosky ! "Choqué" se dit-il ? Mais c’est nous qui le sommes devant pareille dénégation ! Cet homme était obligatoirement au courant : cela fait plus de vingt ans qu’il s’occupe personnellement de Victor Bout !
Il devrait ne pas l’être, il ne peut pas l’être, en effet car il connaît parfaitement le sujet : "en 1999, Witney Schneidman, du département d’Etat, effectue la collecte d’informations sur les nombreuses guerres civiles et les conflits qui font rage en Afrique. Il remarque que le nom de Victor Bout, un Russie marchand d’armes, ne cesse d’apparaître dans de nombreux conflits. Parfois, Bout fournit même des deux côtés d’une guerre civile. Au début de l’été 1999, un fonctionnaire de la NSA fait à Schneidman un exposé sur Bout, du type "avis définitif" fondé principalement sur les communications interceptées par la NSA sur son cas. Les photos montrent des douzaines d’avions stationnés dans un aéroport de Sharjah, aux Emirats Arabes Unis, tous appartiennent à Bout. Schneidman commence alors à mobiliser d’autres fonctionnaires. Au début de 2000, lui et le conseiller Lee Wolosky du Conseil National de Sécurité créent une équipe chargée d’appréhender Bout. Tandis que Bout reste peu connu du grand public, pour de nombreux Etats-Unis fonctionnaires, il devient le plus criminel recherché dans le monde, en dehors d’Oussama Ben Laden et de ses proches collaborateurs" notent Farah et Brown dans leur livre "Marchands de mort". Dès 1999, donc, Wolosky est parfaitement au courant de ce qui se trame à Sharjah. C’est lui qui monte une équipe pour le capturer ! Et quant à le chercher comme Ben Laden... on sait ce que ça signifie d’emblée : "Laissons-le courir", plutôt.... un de plus !
L’année précédente déjà, pourtant, la CIA avait "découvert", paraît-il, l’activité illicite de Victor Bout, au même endroit, nous dit une presse complaisante. A Sharjah ! "En 1998, les analystes de la CIA se rendre compte que les équipes au sol du trafiquant d’armes clandestines Victor Bout effectuent des tâches de maintenance sur les avions d’ Ariana Airlines, pour des vols à destination et en provenance de l’Afghanistan. la flotte aérienne de Bout est basée à Sharjah, aux Émirats arabes unis (EAU), où en fait Bout travaille avec les Talibans depuis 1996 environ. La CIA a également collecté des renseignements selon lesquels les agents d’Al-Qaïda se déplacent fréquemment entre l’Afghanistan et les Émirats Arabes Unis. Ariana, la compagnie aérienne officielle de l’Afghanistan, est la seule compagnie aérienne qui effectue des vols entre le Moyen-Orient et en Afghanistan. Par conséquent, Michael Scheuer, a la tête de l"unité de Ben Laden à la CIA, conclut qu’ Ariana est utilisé comme un service de "taxis terroristes." Et Scheuer conclut que Bout aide al-Qaïda". Fin limier, le Scheuer !!!
Très bien, voilà clairement exposé les faits, indéniables. La thèse tout ce qu’il y a de plus officielle, qu’on s’empresse de croire. Le Los Angeles Times en rajoute 2001 une couche au trafic. Selon lui, "en 1996, Al-Qaïda prend le contrôle de la compagnie aérienne Ariana, compagnie aérienne nationale de l’Afghanistan, pour une utilisation dans son réseau de commerce illégal. Les vols passagers sont rares et irréguliers, car les avions sont utilisés pour faire voler des drogues, des armes, de l’or, et le personnel, surtout entre l’Afghanistan, les Emirats arabes unis (EAU), et le Pakistan. L’Emirat de Sharjah, aux Émirats arabes unis, devient une plaque tournante pour la drogue d’Al-Qaïda et la contrebande d’armes. En règle générale, "grandes quantités de drogues "sont emportées à partir de Kandahar, en Afghanistan, vers Sharjah, et de grandes quantités d’armes sont rapatriées en Afghanistan". La drogue en plus donc. Bien mais toujours pas d’implication américaine dans l’affaire... la thèse sert des intérêts uniques.
A part que la réalité est quelque peu différente, selon l’un des auteurs de l’ouvrage déjà cité : cela a démarré il y a plus longtemps que cela, mais les américains ne le diront jamais, car cela revient à accepter de reconnaître le rôle de Victor Bout chez eux bien avant, nous explique-t-il : "Bout, d’abord, a fait des livraisons d’armes pour l’Afghanistan et l’Alliance du Nord en 1992. Trois ans plus tard, un chasseur Mig, piloté par les talibans, a intercepté un avion cargo loué par Bout pour la livraison de plusieurs millions de munitions destiné au gouvernement de Kaboul. Les talibans se sont emparés de l’avion cargo et son équipage a été emprisonné. Bout a négocié avec les mollahs pendant des mois. Enfin, après un an, l’équipage a réussi ce qui semblait être une évasion miraculeuse, déjouant leurs ravisseurs et volant l’Ilyushin resté à l’extérieur de Kandahar (Ils seront restés détenus 368 jours). Mais les services de renseignement occidentaux et les rivaux de Bout sont restés sceptiques, et ont suggéré plus tard que la libération de l’équipage était liée à un contrat secret avec les mollahs. Juste après, en 1995, Sharjah a établi une zone de libre-échange qui est rapidement devenue réputée pour ses contrôles laxistes et des liens étroits avec des islamistes radicaux. Parce que les Emirats Arabes Unis ont été l’un des trois seuls pays (avec le Pakistan et l’Arabie Saoudite) à reconnaître le gouvernement des Talibans en Afghanistan, Sharjah est devenu le principal centre commercial du régime, où il a pu acheter tout ce qu’il désirait, des armes et aux téléphones par satellite aussi bien que les réfrigérateurs et les générateurs". Toute l’affaire a bien commencé avec des livraisons pour l’Alliance du Nord, payées alors par les USA ! Wolosky a vraiment la mémoire courte ! Et ça a même commencé avant encore, comme nous allons le découvrir... Viktor Bout n’est pas né d’une génération spontanée ! Loin de là !
L’avion intercepté par un MIG-21 taliban, je vous l’ai retrouvé, en Russie, dans un article paru cet été. C’est l’IL-76TD RA-76842. Dans un hangar, en train d’être remis à neuf et de devenir, repeint au pinceau (!) l’Aviacon Zitotrans RA-76842. Photographié ici en 2009 à... Cayenne. Mais aussi ici à l’atterrissage sur la base de Verona Villafranca, une base américaine. Ou à l’arrêt à Eindhoven Welschap, autre base US. L’avion a semble-t-il été restauré dès son échappée, et a depuis été repeint (au pinceau ?) plusieurs fois ; en 2006, on pouvait le voir immaculé à Vatry, en France. Alors qu’en 2001, déjà.... il se baladait à Ostende, le fief européen de Victor Bout, sous le nom d’Airstan Heavy Lift..(retenons ce nom !). au moment même où l’équipage et son leader, le "Captain Vladimir Sharpatov, échappés des mains des talibans" racontaient leur fable dans la presse mondiale, voilà qui tombait pile.... on l’avait pourtant déjà aperçu à Palma de Majorque, en 1998... à peine deux ans après avoir échappé aux talibans... En 2005, le revoilà chargeant des choses qui ne désiraient visiblement pas trop être vues, en Estonie. A ce moment là, Victor Bout est à peine soupçonné et ses avions font des norias journalières en Irak pour l’US Army. Ou interviennent au nom de l’ONU qui les loue lors des catastrophes comme les inondations ou les tremblements de terre. Si bien que parfois, certains appareils siglés ONU ont un tout autre chargement à bord...
Des livraisons d’armes dès 1992 de la part de Victor Bout, avec des avions déguisés au nom de l’ONU ? Oui, comme le confirment Farah et Brown dans leur livre ; mais pas uniquement vers l’Afghanistan. Dans les Balkans, d’abord : "Un véritable pipeline à armes secrètes en Bosnie, en violation de l’embargo de l’ONU sur les armes est découvert. De gros avions de transport arrivent une fois par semaine pendant quatre semaines, du Soudan à Maribor, en Slovénie. La cargaison est marqué comme l’aide humanitaire, mais en fait les avions transportent des tonnes d’armes, principalement de l’excédent les stocks de vieux armes soviétiques. Les avions sont gérés par une société appartenant à Victor Bout, un marchand notoire d’armes illégales qui plus tard travaillera en étroite collaboration avec les talibans en Afghanistan." Dès 1992, le système est donc en place : les avions portent les marques de l’ONU (parfois même pas, mais ils sont immatriculés UN, ce qui prête à confusion car c’est le symbole du Kazakhstan, là où Victor Bout enregistre ses avions !) et alimentent le conflit via un circuit assez sophistiqué (ici via le Soudan, où Bout fait effectivement dans l’humanitaire à l’aller et ramène des armes au retour !) et font à la fois dans l’humanitaire (à l’aller) et dans l’armement (au retour, ou l’inverse, c’est selon !).
Viktor Bout, avait effectivement commencé son activité non pas en Afghanistan, à apporter des armes aux Moudjahidines que soutenaient les Etats-Unis ; mais ailleurs en Europe, en plein milieu des Balkans. Il est en effet venu en livrer d’autres auparavant, eux aussi soutenus par les Etats-Unis... mais cela, nous le verrons plus tard si vous le voulez bien.
(*) à part si c’est comme à l’habitude, avec un plaider coupable pour tenter de réduire la peine : le jeune islamiste Faizal Shahzad n’a pas échappé à la règle. Résultat, nous n’avons rien su de son recrutement, et du rôle qu’à pu y jouer David Headley. A noter les "expériences" faites par le FBI sur l’équipement de la voiture de Faizal : évidemment, chez eux, ça marche et c’est dévastateur. Menée le 29 juin 2010 à Osceola Mills, en Pennsylvanie.
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