Violences scolaires et dommages collatéraux
Les graves incidents qui se sont produits au cours des dernières semaines dans des établissements scolaires, dont l’agression d’une professeur au couteau par un élève à Étampes, en décembre dernier, ne peuvent se comprendre que si l’on connaît certaines coulisses de l’Éducation nationale que la plupart des gens ignorent, et que l’administration et ses supporters savent dissimuler.
Deux informations sur la violence scolaire ont été diffusées en boucle par les médias, mardi 17 janvier 2006, sans que nul n’ait souligné leur relation étroite. 1- L’enquête des inspecteurs généraux lave l’administration de tout soupçon de faute dans l’agression d’une professeure du lycée Blériot à Étampes..2- À la suite d’une nouvelle agression d’un professeur, à Vitry, le ministre annonce la publication d’une circulaire pour préciser aux professeurs la procédure à suivre en cas d’agression. Quelle relation y a-t-il entre ces deux faits ? Ils sont accablants pour les trois acteurs en présence : l’administration, les professeurs avec leurs syndicats, et les médias.
1- C’est la faute à « pas de chance ! », ont conclu les généraux inspecteurs. La malchance a bon dos ! Ils n’ont relevé, disent-ils, aucune trace d’un commencement de procédure contre la violence dont la professeure, Mme Montet-Toutain, était prétendument victime. Pourquoi ? 1- Tout simplement parce qu’elle ignorait la loi et la procédure qui la met en œuvre face à une agression . Quand on est injuriée comme elle l’était, on ne fait pas un petit mot au conseiller principal d’éducation, ni un courriel à l’inspecteur, lesquels n’ont aucune qualité pour donner suite, mais directement au recteur d’académie, sous couvert du chef d’établissement, pour lui demander la protection statutaire prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. L’administration, qui ne connaît que ce qui est écrit, a beau jeu de rétorquer qu’elle n’était au courant de rien ! On reconnaît là l’extraordinaire pouvoir d’une autorité sans contre-pouvoir de reconfigurer à sa guise la réalité conformément à ses intérêts. 2- Mais pourquoi donc la professeure n’était-elle pas au courant de ce B. A.-BA juridique ? Pour trois raisons : a- l’administration fait tout ce qu’elle peut pour que cet article de loi reste ignoré : elle s’emploie d’abord à ne presque jamais l’appliquer quand un professeur attaqué demande la protection statutaire. En 15 ans, le REGARD, une association de défense des professeurs, n’a que rarement vu cet article 11 appliqué en faveur d’un agent exécutant ; en revanche, il l’est systématiquement pour un fonctionnaire d’autorité, y compris en position d’agresseur ! Mais cela n’empêche pas l’administration de sortir des statistiques dont on ne sait à quoi elle correspondent. En tout cas, pas à ce que vivent les professeurs... b- En second lieu, les syndicats, qui ont déserté depuis une vingtaine d’années le terrain de la défense des droits de la personne, ont fini par oublier la loi au profit de la faveur : avec l’administration , on cherche des arrangements, on ne veut pas faire de peine à la main qui vous lâche des grands et petits avantages -des détachements au paiement des jours de grève, par exemple, en passant par un emploi du temps sur mesure ! c- Enfin, une tradition pernicieuse de la gauche communiste et socialiste accorde moins d’importance au Droit qu’au rapport de forces ! Qu’est-ce que le Droit, répètent-ils à l’envi ? La sanction d’un rapport de forces ! Celui qui engage une procédure est... un procédurier !
2- Dans ce contexte, l’annonce par le ministre de la publication très prochaine d’une circulaire pour dire aux professeurs la marche à suivre en cas d’agression mérite applaudissements et éclats de rire. 1- Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Le REGARD, à longueur de colonnes de son journal, depuis 1990, n’a cessé de répertorier et d’analyser ces agressions de professeurs abandonnés à eux-mêmes par une institution dont le devoir légal est pourtant de les protéger en cas d’attaques « à l’occasion de leurs fonctions ». Mais on a cessé de rêver : c’est sous la pression des faits que le ministre est obligé de lâcher du lest à ces profs à qui il n’est pas bon de rappeler qu’ils n’ont pas seulement des devoirs mais des droits. Des fois qu’ils ne voudraient plus vivre à genoux ! 2- Mais on ne peut s’empêcher de pouffer de rire, en même temps, car c’est un joli tour de passe-passe que de faire croire qu’on vole au secours des pauvres professeurs avec un mode d’emploi contre l’agression, quand, depuis 1983, il existe un article de loi instituant la protection statutaire « à l’occasion des fonctions », que le ministère a presque toujours violé : les nombreux jugements de tribunaux administratifs sont là pour en témoigner. Condamnée régulièrement, l’administration s’en est toujours moquée !
Mais le rire devient vite jaune, si l’on ne veut pas céder au cynisme. Voir un ministère de l’Éducation jouer les défenseurs des professeurs à la face du pays, en lieu et place des syndicats dont c’est la vocation première de le faire, conduit à se demander ce que sont ces syndicats devenus... De même, voir des médias en choeur relayer pieusement la parole évangélique du pouvoir, sans la replacer dans son contexte historique qui la dément, permet de mesurer le degré où est tombée la liberté d’expression en France. Paul Villach (1) (2)
(1) Président du REGARD (Réseau d’entraide pour la garantie, l’approfondissement et le respect des droits) - 609, rue Cante-Cigale, 30310 VERGÈZE.
Auteur en particulier de
(2)
- (sous le nom de Pierre-Yves CHEREUL)
* Le Code de l’information, Éditions Chronique sociale, Lyon, 1989 -
* Construire la démocratie, idem.1993
- sous le pseudonyme de Paul VILLACH
* Les infortunes du Savoir sous la cravache du Pouvoir : une tragicomédie jouée et mise en scène par l’Éducation nationale, Éditions Lacour, Nîmes, 2003.
Cet essai traite en profondeur du problème évoqué dans cet article, avec de nombreux exemples à l’appui, validés le plus souvent par des jugements de tribunaux administratifs.
* Cagoule noire et carte blanche, Éditions Lacour, 2005, un roman sur la qualité de l’information disponible aujourd’hui, à partir d’un fait divers, une prise d’otages dans une école maternelle.
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