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Accueil du site > Tribune Libre > Yémen : l’héritage de la misère

Yémen : l’héritage de la misère

Ali Abdullah Saleh a été tué à Sanaa le lundi 4 décembre dernier. Son histoire est emblématique de la faillite des espoirs fondés sur les variantes successives de « nationalismes arabes laïcs ».

Il avait joué un rôle important dans le passage de la monarchie théocratique à la république moderne du Yémen servant de référence à la vague d’émancipations nationales qui a accompagné la « décolonisation ». Puis, à partir des années 1990, il avait fait allégeance à Washington et à l'Arabie Saoudite. Contraint de quitter le pouvoir début 2012, il avait tenté un rapprochement avec les rebelles de Zaydi Houthi. 

Président du Yémen de 1978 jusqu'au début de 2012, Saleh était issu d'une petite tribu chiite zaydi vivant près de la capitale de Sanaa. Quand il est né, en 1942, le pays était gouverné par un imam, un monarque chiite zaydi, opposant farouche au « modernisme ». Il s’était engagé dans l’armée et avait participé au coup d'État militaire de 1962 qui avait déposé le successeur de cet imam et aligné le Yémen sur les positions de l’Egypte de Nasser, une forme de nationalisme teinté de « socialisme » prosoviétique. En 1967, les sunnites et les soufis du sud du Yémen se sont brutalement séparés à la suite d'un coup d'état « communiste ». Enfin, en 1978, Saleh a fait son propre coup d’état dans le nord du Yémen.

Le Yémen est le pays arabe le plus pauvre et manque cruellement de ressources, à la différence des pays pétroliers arabes comme l'Arabie saoudite voisine et l'Irak voisin qui sont devenus fabuleusement riches et puissants après le « choc pétrolier » des années 1970. Dans la première guerre du Golfe en 1990-91, Saleh avait soutenu Saddam Hussein au grand dam des petites monarchies du Golfe. La défaite de l'Irak et les sanctions de l'ONU et des États-Unis qui lui avaient été imposées avait conduit Saleh à rechercher une aide extérieure. Il s'était alors tourné vers… les États-Unis et l'Arabie saoudite. Il avait même soutenu l'invasion et l'occupation de l'Irak en 2003 par l'administration Bush.

Saleh avait eu un faux espoir avec la découverte dans les années 1980 de petits gisements de pétrole et de gaz. Au début des années 2000, le Yémen produisait 500 000 barils par jour (ce qui est insignifiant au vu des 80 millions de barils de production mondiale). Les années suivantes, la production a été réduite de moitié. Pourtant, le pétrole et le gaz représentaient la majeure partie de l'économie du pays avec les fonds envoyés à leurs familles par les travailleurs expatriés.

La moitié des Yéménites vivent encore d’une agriculture de subsistance, ou de l'artisanat traditionnel à Sanaa et à Taëz. Saleh n'a accordé d'attention ni au système éducatif (la moitié du pays reste analphabète) ni à la possibilité d’investir la manne pétrolière dans des industries modernes. Son régime n’était pas exempt de corruption. Une grande partie des ressources ont été utilisées pour acheter des tribus rebelles et maintenir la paix sociale au milieu de querelles, en utilisant la vieille recette du « diviser pour régner ». Il a également mis sur pied une armée qu'il a déployée contre des clans rebelles moins faciles à soudoyer, comme ceux menés par les frères Houthi à Saada dans le nord de Zaydi. Les forces de Saleh ont d’ailleurs tué le fondateur Hussain al-Houthi en 2004, ce qui a eu our effet de renforcer le mouvement.

L'arrivée d'une nouvelle génération de Yéménites influencés par les soulèvements de Tunisie et du Caire en 2011 a conduit à une confrontation avec les militants qui s’étaient rassemblés dans la "Place du Changement", au centre-ville de Sanaa, qui s’est soldée par quelque 2.000 morts et 20.000 blessés. Pourtant, début 2012, Saleh avait été contraint par la population de renoncer à sa position de « président à vie ». Son vice-président, Abdu Rabbu Mansour Hadi, avait été élu pour lui succéder lors d'un référendum auquel avaient participé environ 80% des électeurs. Mais Saleh restait une force dont il fallait tenir compte et présidait son parti politique, le « Congrès Général du Peuple ».

Le Yémen s'acheminait lentement vers une nouvelle Constitution et de nouvelles élections en 2014, lorsque, en septembre de la même année, les Houthis ont mené un coup d'État dans la capitale de Sanaa avec le soutien occulte de Saleh et d'éléments de l'armée qui lui restaient fidèles. Au début de l'année 2015, le président Mansour Hadi avait fui et la règle Houthi avait été établie dans la plupart des régions peuplées de l'ouest du pays. 

Alors que dans les années 60 et 70, Saleh était un nationaliste panarabe et laïc, il était devenu le serviteur d'un groupe religieux et politique de Zaydi, et contribuait à établir le genre de théocratie contre laquelle il avait contribué à organiser le coup d'état de 1962.

Ce coup d'Etat du militant Zaydis s'est avéré inacceptable pour le ministre saoudien de la défense, Mohammed bin Salman (aujourd'hui le prince héritier), qui a lancé une guerre aérienne pour tenter de renverser les Houthis et leur allié, Saleh, mais les guerres aériennes contre les groupes de guérilla, en l'absence de forces terrestres importantes, n'ont jamais eu beaucoup de succès dans l'histoire récente, et cet épisode n’a pas fait exception. 

L'impasse qui a duré trois ans a transformé le Yémen dont l’économie n’avait jamais été florissante en immense terrain vague, avec 3 millions de personnes déplacées, 7 millions de personnes souffrant de faim et 800 000 victimes du choléra. 40% des ménages ont perdu leur principale source de revenu et le produit intérieur brut a chuté de 37%.

Saleh et son parti politique craignaient de plus en plus d'être rayés de la carte par les Houthis. Le week-end de son assassinat, Saleh avait exhorté ses troupes à les combattre, et avait déclaré qu'il se félicitait d'une nouvelle relation avec l'Arabie saoudite. Le lundi suivant, il était mort.

Les loyalistes de Mansour Hadi dans l'armée yéménite, aidés par les Saoudiens et les Emirats Arabes Unis, ont profité du désarroi dans le camp de Houthi pour prendre une ville près du port principal de Hodeida (toujours aux mains des Houthis). Les Saoudiens et leurs partenaires de la coalition ont lancé une vaste campagne de bombardement qui a fait des centaines de morts à Sanaa la semaine dernière. Plutôt qu'une fin rapide de la guerre, la défection et la mort de Saleh ont probablement provoqué d'autres divisions au Yémen, en aggravant encore la misère de son peuple.

Saleh n’aura laissé au peuple Yéménite aucun héritage si ce n’est une accumulation de misère nationale.


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6 réactions à cet article    


  • Jean 12 décembre 2017 17:57

    pffff , le yemen, le pays le plus régressif du monde.... à Aden on ne pouvait approcher dans la limite de tir sans se faire allumer, même l’hélicoptère qui apportait le courrier de « la valise diplomatique » était visé, le pire endroit de ma vie


    • Gabriel Gabriel 12 décembre 2017 18:59

      Excellent article. Merci, j’en ai appris un peu plus sur la politique de ce pays.

      Cordialement

      • Pauline pas Bismutée 12 décembre 2017 20:29

        @ l’auteur

        Merci de parler de ce pays, dont l’histoire et les récents conflits sont compliqués.

        Le pays était en effet divisé en deux (Yémen du nord ‘Yemen Arab Republic’ et Yémen du sud ‘People’s democratic Republic of Yemen‘), jusqu’en 1990 ; la réunification du Yémen est une des rares initiatives positives attribuées (à tort ou à raison) au Président Saleh (très soutenu dans la capitale, Sana ’a, au moins jusqu’en 2011, quand une guerre civile a éclaté là-bas, entre ses partisans et les partisans de « l’ université » - mouvement étudiant « printemps arabe »). Saleh avait d’ailleurs pris soin de mettre en place ses partisans aux postes clés, et bien que chef des armées, était toujours photographié en vêtements civils.

        On peut ajouter les tribus s’estimant délaissées par le pouvoir central (pas faux) et qui se rebellaient a leur manière (enlèvements, abattage de relais électriques ..) et les extrémistes pour lesquels il était facile de vivre au Yémen (état « failli » donc manque de contrôles) .. plus les partisans d’une nouvelle partition nord/sud ...

        Le pays a en effet peu de ressources, mais a de l’eau, malheureusement employée principalement a la culture du ’Qat’ (genre d’herbe euphorique qu’on mâche, très prisée)

        Je ne peux que témoigner de l’extraordinaire gentillesse de ce peuple, de leur résilience et de leur courage ; j’ai vécu là-bas et me trouvais a Sana’a lorsque la guerre civile a éclaté en 2011 (missiles sols-sols, combats de kalash, ni eau ni d’électricité, etc…) et je ne me suis jamais sentie en danger direct grâce à la population elle-même, toujours prête à aider (évidemment il faut faire attention, les conditions sont difficiles…)

        En plus de la guerre, de la famine et du choléra, il y a maintenant des cas de diphtérie a Sana’a (le choléra se propage par eau ou/et aliments contaminés  et la diphtérie, qui affecte généralement les voies respiratoires par voie aérienne…..) et il manque évidemment de vaccins (préventifs) et de sérum antidiphtérique (pour soigner les cas déclarés), car le port d’Aden (et sans doute Mukallah) est sous blocus. Sans parler du système de santé (qui n’était pas formidable, mais fonctionnait, avec souvent d’excellent médecins) qui ne peut suivre.

        C’est un pays d’une beauté époustouflante, avec ses habitants profondément attachés a leur pays, qu’on est en train d’assassiner ...

        PS très fard et fatiguée, pas le temps de chercher des liens ...



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