Les dynasties de banquiers ont de tout temps intrigué pour accaparer et conserver le contrôle de la monnaie. Pourquoi et comment s’y prennent-ils ?
Montée en puissance des créanciers de la planète
Avidité des futurs créanciers. Sous l’ancien régime, la ferveur religieuse était considérable. Le pouvoir spirituel proscrivait les prêts d’argent soumis à intérêts. Les usuriers eurent du fil à retordre avec les moeurs d’alors. Ils réussirent peu à peu, à bâtir de vastes empires financiers. Parallèlement, les Etats européens se structurèrent et mirent en place les premières banques centrales nationales.S’en suit le coup d’arrêt révolutionnaire à l’ordre établi. Les privilèges de l’aristocratie sont abolis. La noblesse d’épée, de robe, est à terre. Cependant la nature à horreur du vide…et l’espace laissé vacant est rapidement comblé par une nouvelle oligarchie, une aristocratie financière. Simple coïncidence ?
Prise de contrôle de la monnaie. Dans les jours qui suivirent le putch de brumaire, Napoléon III fonde la banque de France, une société privée par actions (bien que l’appellation prête à confusion) qui disposera en 1803 du monopole de l’émission de la monnaie. A sa tête, quinze personnes issues des grandes familles de rentiers. (1)
Avec la même détermination, les banquiers prirent le contrôle de la monnaie de la fédération des Etats-Unis. Pour arriver à leurs fins, tous les moyens étaient bons. Thomas Jefferson, 3ème Président des Etats-Unis affirmait : « je crois sincèrement que des institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos privilèges (étatiques) que des armées institutionnelles. Déjà, ils ont élevé au sommet une riche aristocratie qui a défié le gouvernement. » (2)
Aigreur des rentiers de la planète
Cependant la lutte entre banquiers et homme d’Etats soucieux de l’intérêt général n’a pas toujours tourné à l’avantage des premiers. De 1861 à 1913, les organes représentatifs de l’Etat américain s’étaient réappropriés le contrôle de l’émission de la monnaie dans sa presque globalité. A ce propos, le Président Abraham Lincoln, mort assassiné avant le terme de son mandat dans des circonstances troubles, avait de grandes ambitions pour sa patrie. L’histoire a retenu la déclaration suivante : « Le gouvernement devrait créer, émettre, et faire circuler toutes les devises et tous les crédits nécessaires pour satisfaire les dépenses du gouvernement et le pouvoir d’achat des consommateurs. En adoptant ces principes, les contribuables économiseraient d’immenses sommes d’argent en intérêts. Le privilège de créer et d’émettre la monnaie n’est pas seulement la prérogative suprême du gouvernement, mais c’est aussi sa plus grande opportunité. »
Revanche des créanciers de la planète
En 1913, le Président Woodrow Wilson, à peine élu transféra durablement le contrôle de la réserve fédérale (chargée de l’émission monétaire), du Congrès aux grandes banques américaines. Abusé, il aurait confié un peu tard : « je suis un homme des plus malheureux ; j’ai inconsciemment ruiné mon pays, une grande nation industrielle est contrôlée par son système de crédit. Notre système de crédit est concentré dans le privé. La croissance de notre nation, en conséquence, ainsi que toutes nos activités, sont entre les mains de quelques hommes. » (3)
La France n’est pas en reste. Au sortir de la 2nde guerre mondiale, l’économie nationale a besoin d’oxygène, la classe dirigeante se saisit de l’aubaine pour nationaliser la banque de France, toujours détentrice de l’émission monétaire, la faisant glisser du même coup dans la coupe de l’Etat. Un revers pour les dynasties familiales de banquiers qui perdaient une partie de leurs privilèges. De surcroît, la maîtrise étatique des périodes de déflation et d’inflation était une perte sèche de profit pour les principaux actionnaires.
Ainsi, la ploutocratie ne s’embarrassa pas de questions étiques (conflits d’intérêts, collusion éventuelles) pour retourner la situation. Elle pouvait compter sur le soutien inconditionnel de George Pompidou, un homme d’affaire brillant, à l’ascension fulgurante, nommé directeur général de la banque Rothschild. Elu à la présidence de la République, il promulgue l’article 25 de la loi 73-7 le 3 janvier 1973 cosigné par Giscard D’Estaing qui dispose : « le trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la banque de France. »
A partir de ce moment, l’Etat français cède sciemment ses prérogatives aux banques. Le contrôle de la monnaie basculait de nouveau sous l’emprise directe des banques d’affaires.Cet événement mis fin aux trente glorieuses car, dès lors, la dette des collectivités territoriales, de l’Etat notamment, et les intérêts dus n’ont eu cesse de s’accroître au dépend des populations. Suprême garantie faite aux banques, l’emprunt Giscard du 18 janvier 1973 est indexé sur le cour de l’or, préservant la finance privée de toute dépréciation de la monnaie nationale. Effectivement, cette indexation ne permettra pas à nos collectivités publiques
de tirer profit de l’importante inflation de la décennie qui suivit. Dans la même veine, le gouvernement de Raymond Barre décrétera arbitrairement en 1976 que l’Etat règlerait sa dette au-delà du taux d’inflation. Pour sûr, la problématique du contrôle monétaire n’a pas de couleur politique, l’opposition artificielle pour les questions essentielles relève plus de la comédie théâtrale que d’une réalité tangible. Preuve s’il en fallait avec le traité de Maastricht défendu ardemment par la gauche au pouvoir sans qu’aucun débat public ne s’attarde sur l’article 104 du dit traité qui dessaisit tous les Etats membres de l’union européenne du pouvoir de battre monnaie. Le traité de Lisbonne enfonce le clou en l’inscrivant dans le marbre d’une « constitution » européenne.
Rien d’étonnant dès lors que des banquiers ont suggéré : « Le capital doit assurer sa propre protection par tous les moyens possibles, grâce à la coalition et à la législation…. En divisant les votants grâce au système de parti politique, nous les manipulons afin qu’ils dépensent toute leur énergie pour des problèmes n’ayant aucune importance. C’est donc grâce à une action discrète que nous garantirons la pérennité de ce que nous avons si bien planifié et accompli. » (4)
Création monétaire au profit des créanciers de la planète
« Le processus par lequel les banquiers créent l’argent est si simple que l’esprit résiste à y croire » assurait John Kenneth Galbraith, conseiller économique auprès des Présidents J-F Kennedy et Lydon Baines Johnson. Alors d’où vient l’argent ?
Rappelons qu’avant 1971, un dollar papier était un reçu avec lequel on pouvait réclamer un poids fixe d’or ou argent. A l’heure actuelle il n’existe plus aucune monnaie gagée sur l’or.
Des idées reçues circulent dans l’opinion sur l’origine de la monnaie, cependant la conscience publique fait son chemin. Il se dit que l’argent prêtée serait de l’argent placée en banques,qu’il existerait une contrepartie en or, que ce serait les banques centrales nationale ou européenne qui créeraient la monnaie….En réalité il n’en est rien. D’après un opuscule publié par la banque de France (5), « les particuliers, même paraît-il certains banquiers ont du mal à comprendre que les banques aient le pouvoir de créer de la monnaie…, les dépôts permettraient les crédits. Or, cette vue n’est pas conforme à la réalité car ce sont les crédits qui font les dépôts. » Graham F. Towers, gouverneur de la banque du Canada au début des années cinquante l’affirme : « Chaque fois qu’une banque fait un prêt, un crédit bancaire est
créé, de l’argent tout neuf. ».
Quant à la banque centrale européenne, elle pourvoit exclusivement à la monnaie fiduciaire, dont elle confie aux banques centrales des Etats membres l’impression ; celles-ci émettent en outre, une monnaie scripturale pour les compensations entre banques commerciales (monnaie d’échange pour débiter des chèques notamment). Cependant, l’argent fiduciaire des distributeurs de billet représente à peine 5 à 8% de la masse monétaire en circulation.
C’est le motif pour lequel l’économiste français Maurice Allais, prix Nobel, s’insurge : « La création monétaire doit relever de l’Etat et de l’Etat seul. Toute création monétaire autre que la monnaie de base par la banque centrale doit être rendue impossible, de manière que disparaissent « les faux droits » résultant actuellement de la création de monnaie bancaire. » (6)
Les banques commerciales ont le monopole du crédit. Ces sociétés cotées en bourse ont entière prérogative pour faire crédit à un agent non financier, une collectivité, un organisme non lucratif ou un particulier. Quand un emprunteur offre des garanties apparemment suffisantes de solvabilité (salaires fixes, caution, assurance, hypothèque…), la banque crédite le compte du souscripteur par une simple opération comptable, une écriture informatique. Le pouvoir régalien de création monétaire appartient paradoxalement aux banques privées par
le biais du crédit, évalué à hauteur de 93% de la masse monétaire existante en France. C’est ce qui fit dire à Mariner S Eccles, gouverneur de la réserve fédérale : « Voilà ce qu’est notre système monétaire. S’il n’y avait pas de dettes dans notre système monétaire, il n’y aurait pas d’argent. »
Impuissance flagrante des institutions publiques
La banque centrale européenne tente de maitriser l’accroissement de la masse monétaire car les banques ont un intérêt certain à octroyer toujours plus de crédits pour maximiser les profits. Mais l’institution européenne et ses homologues nationaux n’ont pas les outils suffisants pour contrôler un marché devenu opaque. Pour freiner l’inflation ou contrer une déflation, la BCE peut jouer sur le taux directeur. Quand il est orienté à la baisse les offres de crédits sont à la hausse et inversement. On s’aperçoit que la BCE a le pouvoir de fixer le taux de refinancement entre les banques mais ne peut décider de la quantité de monnaie produite. On constate qu’avant l’union monétaire, les pouvoirs publics tablaient sur une augmentation de la masse monétaire de 4,5% par an. En pratique la masse monétaire croit d’environ 11% par an pour une croissance moyenne de 2% par an. Ca démontre clairement que les banques usent de la planche à billets, notamment pour prêter aux Etats. C’est paradoxal quand le prétexte invoqué à la confiscation monétaire des nations s’appuie sur ce postulat. C’est donc une vaste arnaque organisée à l’échelle des nations. L’économiste primé Maurice Allais ne mâche pas ses mots. Selon lui « dans son essence, la création monétaire ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique, je n’hésite pas à le dire pour bien faire comprendre ce qui est réellement en cause, à la création de monnaie par des faux-monnayeurs, si justement condamnée par la loi. Concrètement elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents. » (7)
Certes, la BCE a su contrôler l’inflation des produits de consommation courante grâce à des règles strictes d’émission de la monnaie fiduciaire. Pour autant, le montant des actifs immobiliers notamment, a fait un bon phénoménal dans les grandes villes en une dizaine d’années, empêchant bien des primo accédants de devenir propriétaire d’un bien immobilier.
Un paradigme économique esclave de la croissance « infinie »
« De la croissance, encore de la croissance, toujours de la croissance » est le syndrome d’un système économique destructeur pour l’environnement planétaire et les populations humaines, appauvrissant cadre de vie, qualité de vie et niveau de vie des peuples. Quand l’économiste Kenneth Boulding fit cette boutade pertinente : « toute personne croyant qu’une croissance exponentielle peut continuer à jamais (infini) dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste », il aurait pu ajouter économiste ou ploutocrate mégalomane.
Une spirale infernale sans fond pour les finances publiques
Le service de la dette est constitué du capital et des intérêts des emprunts souscrits par la France. La charge des seuls intérêts de la dette a dépassé les 50 milliard d’euros depuis 2007, absorbant la totalité de l’impôt sur le revenu. En hausse exponentielle, la charge des intérêts est dorénavant équivalente au déficit public ! Le remboursement du capital de la dette, représente pour l’Etat environ 80 milliards d’euros, absorbant toutes les autres recettes fiscales directes. On le voit bien, si comme le dit le macroéconomiste Robert Barro, un déficit élevé est « l’impôt de demain »(8), alors l’argent des contribuables, la dette publique ne sert plus à investir dans la recherche et le développement réduits à peau de chagrin, mais à financer les dépenses courantes.
De toute évidence, les décisions importantes ne se prennent pas à l’’Elysée. Les vieilles familles de banquiers aux commandes ne se comportent pas comme les nouveaux riches de l’aristocratie politique. Ces dynasties familiales n’étaient pas présentes au Fouquet’s. Et bien leur a pris car elles n’ont pas attiré l’attention à leur dépens ! "Pour vivre heureux vivons cachés" est leur meilleure garantie pour prospérer sur le dos de la grande masse des populations actives, toutes classes confondues.
Conjoncture économique et politiques publiques - Les questions
Que se cache-t-il derrière la dette publique ?
Qui a intérêt à proroger le paradigme économique en vigueur ?
N’est-ce pas les créanciers des nations qui auraient beaucoup à perdre en cas d’effondrement systémique ?
Que se cache-t-il derrière le débat sur le financement des retraites ?
Qui a intérêt à repousser régulièrement la durée de cotisation des salariés ouvrant droit à une retraite à taux plein ? Pourquoi devrons-nous trimer d’avantage sans hausse de niveau de vie ?
N’est-ce pas les créanciers des nations qui ont un intérêt certain à compresser les services publics, à augmenter les impôts des salariés, restreindre les aides sociales aux actifs …. ?
Notes :
- (1) -La belle époque du capitalisme, éd. Historia, 1995, n° 37
- (2) -Les écrits de Thomas Jefferson, New York, GP Putman’s Sons, 10 vol.
- (3) -The Money Master : How international bankers gained control of America, Cormack
- Patrick S. J., 2007
- (4) -La monnaie et la politique monétaire, éd. par banque de France, 1971
- (5) -le fascicule de the American Bankers Association, 1924, parution mensuelle
- (6) -La Crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions
- financières et monétaires. éd. Clément Juglar, 1999, p. 95
- (7) -La Crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions
- financières et monétaires. éd. Clément Juglar, 1999, p. 110
- (8) -La dette publique dans l’histoire, La documentation française, 2006