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Les prémices d’une insurrection

Le mouvement des gilets jaunes, pour aussi disparate qu’il soit, est lié par un dénominateur commun qui présente ce mouvement comme une insurrection plutôt que comme une révolte, ou une jacquerie fiscale poujadiste selon les termes médiatiques à la mode.

Les « gilets jaunes », largement soutenus, s’insurgent contre une politique fiscale avant tout confiscatoire, car elle ne parvient plus à justifier son coût exorbitant. La France, championne d’Europe des prélèvements, bon cancre du jour de libération fiscale, ne propose à ses usagers a contrario qu’un service discutable au regard du coût. Qui a déjà sollicité ses instances de proximité pour des questions fiscales, de réalisation de document administratif ou pour des déclarations en tout genre doute fréquemment de la notion de « service » public. La question de la taxation vexatoire des hydrocarbures particuliers travestie en lutte pour le climat, n’est finalement que le catalyseur d’une politique plus large qui ne convainc plus. Et dans différents domaines, il y a force de similitudes.

L’écologie comme point de départ

Ce domaine, au périmètre toujours plus large, a largement contribué à l’inflation fiscale, les taxes sur le carburant ou le fioul domestique en étant une illustration emblématique. Les chiffres sont d’ailleurs cinglants : surcoût de 150% pour l’essence et le gasoil, 90% pour le fioul domestique. Une taxation future du bois de chauffage n’est pas farfelue, les articles l’accusant d’un mauvais bilan carbone naissent, et mêmes accusations, mêmes effets. S’ajoute le malus écologique qui alourdit jusqu’à 10 000€ le coût d’une carte grise. Concernant ce dernier point, il faut rappeler que d’un côté les petits véhicules ne sont pas épargnés, représentant donc un surcoût pour les familles notamment, et que de l’autre les gros véhicules qui auraient pu constituer un véhicule à utilisation limitée au titre du plaisir ou du besoin ponctuel pour les gens modestes (le « plaisir du pauvre » en partie) deviennent inaccessibles, même si vous aviez prévu de rouler 3000km/an avec. Quid encore de la vignette Crit’air, qui de quelques euros aujourd’hui pourraient bondir et nous ramener dans les années 80, sans fantasme.

Au problème du coût des taxes s’ajoute celui de leurs justifications. Par exemple, un véhicule qui consomme beaucoup paye déjà directement beaucoup de taxes par le biais du carburant, ce qui réduit la pertinence du malus écologique. Les mesures présentées comme une incitation à l’achat de véhicules dits propres ne prennent pas en compte l’impossibilité matérielle pour nombre de ménage de sauter le pas, que la location de batterie pousse à une dépense qui n’est pas toujours au bénéfice de l’utilisateur et/ou que lesdits véhicules ne répondent pas toujours aux besoins des usagers. À l’absence d’alternative n’est objectée qu’une rhétorique accusatrice : votre situation est un choix donc vous payez, point. De plus, les véhicules en question n’ont de propre que le nom : les batteries sont un trou noir écologique, de l’extraction des ressources jusqu’au recyclage. Les énergies propres sont sur un portage similaire d’ailleurs, éolien et solaire en tête. Et enfin, la cause anthropique de l’évolution du climat n’étant que lourdement conjecturée, le discours culpabilisateur n’a pas une portée universelle ; donc préserver la nature ne conduit plus nécessairement à adhérer à une doctrine eschatologique.

Échaudés par ce constat, les « gilets jaunes » portent un œil attentif à d’autres champs : et si l’illégitimité et l’excès de taxes était une constante ? La sécurité, la Justice, l’éducation nationale sont sans cesse pointées du doigt et finalement une large part des politiques publiques. Alors pourquoi paye-t-on, et si cher en plus ? Et si les politiques menées sont illégitimes, les taxes indues, alors toute la caste politique et ce qu’elle fait apparaissent comme injustifiés et ces mêmes taxes comme du vol, peu ou prou.

 

Le minoritarisme s’efface et renvoie les dirigeants à leur incompétence

Pour comprendre plus avant la situation actuelle, il faut analyser quel profil constitue le mouvement. Il n’y en a pas de type. On y voit des gens de tous âges, de toutes origines sociales. Sur les points de blocage, la Clio côtoie sans heurt le X5. Des avocats, des médecins se mêlent aux ouvriers, aux agriculteurs, aux chauffeurs ; fonctionnaires et employés privés se lient. Aucun parti politique n’est surreprésenté. C’est un mouvement hétérogène donc mais qui rassemble la France qui travaille, celle qui vit de son travail passé (retraités), celle qui aimerait en vivre aussi ; en synthèse des Français qui se sentent de plus en plus pauvres en ce sens qu’ils ne jouissent plus convenablement du fruit de leur travail. Mais à l’inverse il y a des lacunes usuellement comblées. Pas de drapeau exotique, peu de diversité, pas de syndicat, les banlieues si promptes à se mobiliser semblent être aux abonnés absents. Sans verser dans le stéréotype, il apparaît que les gilets jaunes sont constitués de ce qui usuellement est une majorité silencieuse et c’est là tout la difficulté à laquelle est confronté le gouvernement.

Car les sociétés actuelles, dont la française, sont tiraillées par ce qui pourrait être appelé le minoritarisme : la revendication par une minorité de son existence – ce qui n’est pas un mal – mais surtout de sa volonté de puissance. Plus que sa reconnaissance, elle cherche avant tout sa prééminence, à infléchir la société selon ses préceptes. On retrouve ici donc les luttes dévoyées : l’antiracisme qui se meut sans honte en racisme, le décolonialisme qui joue au révisionnisme décomplexé, le véganisme qui commence à verser dans la violence, le nouveau féminisme qui prêche la culpabilité masculine a priori et la femme victime par principe. Il ne faut pas oublier alors sur ce modèle ce dont il est question ici, le « politisme », qui, se présentant en ardent défenseur du peuple et du bien commun, œuvre in fine pour son propre intérêt et parfois contre l’avis même du peuple qui l’a élu, qui se fait entendre massivement ou qui a été consulté par les urnes, comme le montrent par exemple la ratification du traité de Lisbonne, ou le passage en force du mariage pour tous. La spoliation y est même envisageable : loi sur le traitement de l’information, transfert du siège au conseil de sécurité à l’ONU et de la souveraineté nationale à l’UE, ratification du traité de Marrakech sont de bonnes pistes de réflexion, auxquelles il faut ajouter les affaires de détournements en tout genre, de frais de fonctionnement à faire pâlir la bourgeoisie ou d’augmentation de salaires arbitraire aux frais du contribuable.

À ce minoritarisme vociférant qui alimente depuis des décennies la politique générale, est appliqué une recette qui a fait ses preuves. À chaque problème, une mesurette est prise sous couvert d’avoir « entendu la colère » des plaignants (et de s’être assuré leur vote à la prochaine échéance). Tantôt taxatoire, tantôt liberticide, cette mesurette est doctement annoncée, les bras écartés et le verbe haut en guise d’apaisement. Au besoin, les Droits de l’Homme sont invoqués, un Haut-commissariat (et son lot de fonctionnaires associé) est créé, un observatoire est subventionné. Mais ici, fait nouveau, ce n’est plus la minorité braillarde qu’il faut apaiser par mesurette, c’est la majorité qui consciente de sa masse déferle et demande à reprendre les fondations. Rien de surprenant à ce que le gouvernement soit submergé doublement, quantitativement et qualitativement. L’annonce de l’annulation de la seule hausse de taxe sur le carburant, pour 2019 uniquement, montre encore que le gouvernement n’a pas compris ce qui était le nœud du problème et répond par mesurette : il est incompétent.

Qui sert qui ?

À ce stade, ce qui constitue donc déjà un kyste politique considérable, n’en finit pas de grossir par le troisième et dernier fait : l’inversion des valeurs. Car en effet, il faut se souvenir de la raison d’être de l’État : œuvrer par le peuple, pour le peuple. Or la déconnexion soulignée supra montre que non seulement le peuple constate que l’on n’œuvre plus pour lui, mais de surcroît, par le langage employé à son encontre constate la césure entre les gouvernants et les gouvernés. Cette hiérarchie s’illustre d’abord dans les propos moralisateurs du Président de la République, ses critiques envers les Français, son refus d’enfiler le costume de premier Français de France par ses négligences envers les symboles de la République et l’Histoire de son pays (14 juillet, Saint-Martin, Amiens). Elle s’enracine aussi profondément dans les incantations des ministres, qui se targuent à demi-mots de prendre des décisions pour les Français contre leur volonté mais pour leur bien (dans le domaine de l’écologie par exemple). Elle brille enfin dans les propos de Madame le Ministre Schiappa qui, en annonçant que « Matignon n’est pas un self-service, quand on y est convié on y va », trahit son for intérieur : pour ses gens-là, les instances qui convient, en réalité convoquent un peuple qui doit obéir sans ciller. De là dresser un parallèle avec la colonisation, il n'y a qu'un pas.

Les gilets jaunes ne font, finalement, qu’éduquer ce petit monde et le ramener à la réalité : on aime les choses pour ce qu’elles sont avant de les aimer pour ce qu’elles pourraient être, personne ne demande l'intervention d'un tiers quasi autoproclamé pour le sauver contre ses aspirations de liberté, le peuple n’obéit qu’à lui-même puisque ces instances déifiées par les édiles sont à leur service et non l’inverse.

 

Ainsi donc, la préemption du pouvoir par une caste politique, minoritaire, sourde aux doléances du peuple, incompétente, s’arrogeant le fruit de la production des richesses pour en jouir à sa guise et en en redistribuant qu’une petite partie aux méritants, rend légitime ce sentiment de colonisation du peuple par ses propres édiles. Dès lors, cette révolte contre cette autorité imbue d’elle-même, spoliatrice et condescendante n'est plus une manifestation, elle est une insurrection d’un peuple colonisé, qui aspire à jouir de sa liberté comme il l’entend. Tout semble indiquer que nous rentrons dans une autre ère, celle des peuples qui entendent bien « disposer d’eux-mêmes » selon la formule consacrée. L’Italie, le Brésil, le Brexit, la Hongrie étaient des coups de semonce électoraux, la France toujours novatrice semble ne pas avoir envie d’attendre l'arrivée des urnes. Il serait de bon ton que nos caciques de l'ENS, de l'ENA et autres docteurs de tous bords, si haut placés, entendent cette gronde, car n'importe quel regard en direction de l'Histoire ne leur prédit pas une fin glorieuse en cas d'opposition frontale.

 


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4 réactions à cet article    


  • Tzecoatl Claude Simon 7 décembre 2018 20:25

    @Aéroclette

    Si, j’ai un contre-modèle économique. Mais bon, faire du système, c’est compliqué. Mais ça peut s’inscrire dans une tendance écologique sans surcoût.


  • zygzornifle zygzornifle 8 décembre 2018 10:41

    Dire que c’est grâce au gouvernement précédent qui a rendu obligatoire le gilet jaune dans les voitures .....

    Bientôt la manif en alcootest ....

    et ensuite celle des boites d’ampoules ....


    • Tzecoatl Claude Simon 8 décembre 2018 15:40

      @zygzornifle

      Je vais attendre la révolte pour la propulsion à muon tauïque.


    • Désintox Désintox 8 décembre 2018 17:57

      Il doit certainement exister une différence entre « vandalisme » et « insurrection » et il me semble peu probable que le premier soit une prémice de la seconde.

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