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Accueil du site > Actualités > Citoyenneté > « Wattstax » de Guy Darol : la fierté noire en concerts et révoltes (...)

« Wattstax » de Guy Darol : la fierté noire en concerts et révoltes constantes !

Une nouvelle fois, Guy Darol s’intéresse aux mouvements sociaux et musicaux des Etats Unis. Il nous éclaire sur l’événement musical majeur des années 70 du côté de Los Angeles. Wattstax, le 20 août 1972, la fierté noire a rendu un hommage aux révoltes de Watts de 1965. Sept ans après, on est passés de « Brûle mec, brûle », à « Apprends mec, apprends ». Guy Darol nous conte le Black Power dans tous ses états en musiques et révoltes, de la soul au jazz et toutes ses ramifications à travers aussi le label Stax. Bon voyage !

On ne présente plus Guy Darol, spécialiste de Zappa en France mais aussi homme foncièrement curieux à toutes les musicalités vivantes et hors normes : du rock, à la soul, au funk au jazz et tous leurs joyeux cocktails dérivés. Ses chroniques pour Jazz Magazine défraient aux accents enrichissants les esgourdes assoiffées ainsi que les esprits alertes et vifs sans aucune œillère.

Cette fois pour la collection (la bien nommée) « a day in the life » du Castor Astral, il nous narre dans le détail la journée de concert Wattstax du 20 août 1972, qui célébra la fierté noire et les émeutes de Watts en 1965, avec son pendant, son avant et son après.

Wattstax est un mot valise qui dérive de Watts et de Stax, « le rapprochement d’une révolte furieuse (à Watts le ghetto de Los Angeles rentré en guerre contre la société d’abondance sept ans plus tôt durant l’été 1965) et d’un label enraciné à Memphis, dans le Sud profond longtemps ostracisé ». (p 12)

Etonnant comment un stade de rencontres de football américain reçut en son sein sur les gradins pas moins de 100 000 personnes payant un dollar pour assister aux concerts, six heures durant. Un public uni sous la bannière du Black Power venu fêter le mariage coloré de la politique et du blues, rhythm’n’blues, gospel, soul, jazz et funk.

« Les visiteurs s’acquitteraient d’un dollar et l’argent collecté serait redistribué à Tommy Jacquette pour soutenir son Festival, également à l’hôpital Martin Luther King, à la Sickle Cell Anemia Fondation qui œuvrait à améliorer la vie des malades atteints de drépanocytose, ainsi qu’au Watts Labor Community Action Committee, un organisme qui apportait son aide aux habitants de Watts en grande difficulté ». p. 92 / 93)

 

Aux jours d’aujourd’hui, on aurait pu penser et espérer que l’époque des décennies d’oppression radicale à l’égard des noirs et des minorités aux Etats-Unis aurait rendu son tablier pour s’établir dans la fraternité et l’égalité. Il n’en est hélas rien. Puisque lors des années 2013 fusa la naissance du mouvement Black Lives Matter (les vies des Noirs comptent) sur une base artistique assistée de tous les moyens de communications actuels, pour clamer les injustices criantes toujours présentes. Comme un ardent écho au Wattstax, près d’un demi-siècle plus tôt qui rafraichit nos mémoires.

L’assassinat de George Floyd par étouffement des souliers à clous yankees et celui des frères Traoré en France illustrent les motifs des manifs récentes qui en ont découlé. Elles sont plus que jamais hélas toujours d’une vigilante actualité !

 

Selon l’orientation politique des médias à la ramasse du pouvoir en place à la Roger Gicquel (1976). Lequel grimaçait : « La France a peur » d’un air inspiré devant les caméras du journal télévisé du soir.

 

 

Les quartiers déshérités de tous les pays du monde où règnent les misères en partage tant sociales que culturelles et économiques, quand les opprimés se réveillent de leur mort annoncée, ils sont taxés d’émeutiers. Comme à l’été 1965 à Watts où la répression d’une violence inouïe à l’égard des ghettos noirs de ce quartier de la cité des anges gravita au son des fusils qui parlent avec des balles à tir réel, au lieu de s’intéresser aux véritables causes du mal et des souffrances de ses habitant.e.s.

Lors des pillages que Guy apparente aussi à la reprise individuelle annoncée par Proudhon et mise en acte un temps par le courant anarchiste individualiste. Les insurgés des ghettos noirs s’attaquaient à la propagande de l’abondance ventée par la publicité agressive, dans la course effrénée du travail aliéné.

Guy relate dans le chapitre « Watts », tous les composantes des mouvements et approches de révoltes légitimes contre les crimes dont étaient victimes les noirs américains depuis la naissance des Etats Unis. Le mouvement pacifique des droits civiques du King Martin Luther dans une de ses envolées lyriques, dont il avait le talent, réclamait que « le désert étouffant d’injustice et d’oppression soit transformé en une oasis de liberté et de justice ». (p 25)

En réponse active et violente, Malcom X dénonçait l’amour de l’adversaire prêché par le gentil pasteur : « Tout noir qui apprend aux autres à tendre l’autre joue les désarme  ». (p 27)

Comme de bien entendu, la rythmique binaire et les fausses notes entre les frères et sœurs ennemi.e.s s’exposaient et se posaient selon différentes théories qui s’affrontaient de façon particulièrement violentes ou non-violentes, au point d’ailleurs que leurs leaders seront assassinés. 

En face, les mouvements de suprématie blanche sont encouragés et soutenus par certains présidents du pays, au sein des ramifications autour du Ku Klux Klan et ses dérivés, issus des états du Sud. Ils ne sont jamais entièrement remis d’avoir perdu la guerre de Sécession. Ils ont dressé l’étendard de l’apartheid. Ils ont fait et continuent de faire entendre leurs voix, leurs poings et résonner le tocsin de la mort à crédit au profit du racisme ambiant ordinaire et du pouvoir blanc. Au nom du règne de la terreur pour anéantir les noirs, qu’ils considèrent ni plus ni moins comme des sous-hommes.

 

Guy, lors de son récit haletant entre ses pages entraine ses lectrices et ses lecteurs dans le feu de l’action et les vibrations de ses protagonistes. Il déchaine les passions, le palpitant au vibrato d’un « En avant la zizique » prôné par le père Boris Vian en chroniques musicales. La richesse de ses propos fuse à l’unisson, à partir d’une documentation, biographie, discographie et filmographie fouillées. Son travail de très grande qualité comme toujours relève d’un travail de recherche de longue haleine sur la durée digne d’un journaliste d’investigation ou d’un universitaire. Puisque Guy, homme-orchestre, revête toutes ses casquettes comme toujours avec brio, Quand il s’attaque de façon pacifique et empathique à un sujet qui peut fâcher, il le distille sous toutes ses dimensions.

 

 

Certains ont vu dans Wattstax, une référence à un Woodstock noir ! Il n’en est rien, les hippies hourra raillées avec finesse et justesse par Zappa étaient des veaux bien gentils, qu’on aurait pu mener à l’abattoir en chantant à la gloire du peace and love. Alors que le public de Wattstax trépidait dans ses tripes aux accords de la dénonciation des principes sociaux qui les reléguaient à des citoyens de seconde zone, corvéables à merci, à exploiter et à massacrer sans vergogne aucune, du fait de leur couleur de peau. C’étaient encore eux qui se situaient en première ligne du front, lors de la guerre coloniale du Vietnam !

 

Venons-en à la musique, aux musiques, sortes de vecteurs rassembleurs des combats au sein de la communauté Afro-Américaine.

Un chapitre est consacré aux tribulations convulsives du label Stax et toutes ses démêlées, avec l’âpre réalité du grand guignol commercial qui aime ferrailler pour dénicher des pépites pour renflouer ses caisses. Fondé en 1957 par Jim Stewart et Estelle Axton, le label Stax associe les deux premières lettres du patronyme des créateurs pour donner son blaze.

Un autre épisode raconte le concert proprement dit, avec comme toujours, un souffle chargé d’histoire. Al Bel le boss du label Stax dut convaincre pour obtenir le stade du Los Angeles Memorial Coliseum, à troquer les jeux de ballon contre une procession de musiciens. La Sécurité relevait du mot clé. Il s’adjoint le soutien de trois organisations noires « spécialistes de l’intimidation diplomatique ». (p.95). De plus pour être conforme et respectueux du public, « le LAPD, la police de Los Angeles, fut régulée par un contingent d’hommes noirs non armés ». (p.96)

C’était un pari risqué sans doute impossible à tenir, d’autant plus que pesait l’interdiction formelle d’envahir le gazon du stade. Alors, sitôt que Rufus Thomas tout de rose vêtu monta sur scène, ce fut la débandade enthousiaste par-dessus les barrières d’accès à la pelouse. En gardien du temple il martela le sermon qui fut suivi par l’obéissance du public à respecter les normes en vigueur. « Attendez une minute. On est ici pour s’amuser. Mais vous n’êtes pas censés vous amuser sur le terrain. Vous êtes censés rester sur les gradins  ». (p. 120)

Autre obstacle de taille et pas des moindres dans la gestion du temps, la soirée du 19 août était verrouillée par un match qui opposait deux équipes et débutait à 18 heures !

 

Il me serait impossible de citer la pléthore d’artistes qui se produisirent sur scène durant ce concert mémorable. J’en ai retenu quelques-uns et forcément j’en oublie : Albert King, Johnnie Taylor, Rufus Thomas, les Staple Singers, Isa Hayes…

 

 

Sur les 6 heures du concert, un film de 104 minutes lui a été consacré, réalisé par Mel Stuart. On peut se jeter dans l’ambiance effervescente des concerts, guincher aux rythmes riches et hétéroclites de ses artistes et vibrer aux voix qui depuis se sont tues. Même si pour des raisons de gestion du temps, certain.e.s sont passé.e.s à la trappe de sa caméra. Outre les séquences musicales, l’intérêt majeur de ce film réside dans la parole donnée aux premiers intéressés, comme un instantané de l’époque. « Le réalisateur alternait les moments musicaux avec des séquences sur les résidents du quartier, femmes et hommes, jeunes et vieux. Quelques-uns avaient participé à la révolte de Watts, disant au passage que c’était une « révolution » à refaire. Un autre déplorait : « Il n’y a pas de différence entre aujourd’hui et le Watts de 1965 ». Dans un salon de coiffure ou au pied d’un immeuble, toutes les questions étaient abordées. Elles concernaient la place de l’homme et de la femme dans le couple, et l’on passait du chagrin d’amour à la politique, de la coupe de cheveux au hérissement de poil quand le Blanc était évoqué. C’est lui qui avait le pouvoir. Le pouvoir et souvent la fortune ». (p. 142 / 143)

De plus, le film est émaillé de documents historiques. De la cargaison d’esclaves avec un captif qui s’écrie : « Notre peine est si lourde qu’on ne peut plus la porter ». (p. 143) A la publication commerciale « A vendre. Nègres fraichement arrivés  ». Les « strange-fruit » en pendus du Klan, les bancs prétendument destinés aux noirs, la jeune bouille explosive d’Angela Davis et d’autres encore enrichissaient les images du film.

 

 

L’humour y est aussi présent en la figure de Richard Pryor, humoriste pas tenté de talent. « Ce fils spirituel de Lenny Bruce, humoriste disait-on mais l’humour n’est peut-être que l’autre nom du désespoir, accompagnait quatre épisodes du film comme un crieur de vérités ». (p. 144)

Pour vous donner un aperçu de son mordant talent : « La Californie est un état bizarre, ils ont des lois pour les piétons. Quand on traverse la rue, il y a des lois pour les piétons, mais il n’y en a aucune pour les gens. La nuit, quand les flics tirent dessus par erreur. Ici, on tue des nérés accidentellement plus que partout ailleurs. Chaque fois que vous lisez le journal, vous découvrez qu’un nègre s’est fait plomber le cul par accident. Mais comment peut-on tirer six fois dans la poitrine d’un nègre par accident ?  ». (p. 144)

 

Guy, en amoureux fou des musiques qui pulsent des accents de révolte, a rendu un hommage de très grande qualité aux artistes de l’époque de Wattstax. Qui aurait pu penser en écoutant l’œuvre de Magma autour de son batteur et créateur légendaire Christian Vander, que celui-ci se réfère souvent à Otis Redding et John Coltrane ? Etonnant non en effet !

Et pourtant, il n’existe aucune frontière entre les musiques pour qui veut s’ouvrir les quinquets à de nouveaux univers.

Guy Darol, en passeur musical, nous donne le la et l’époque et dresse le portrait avec retenu et empathie des musiciens qui écrivent l’histoire de leur époque sur scène et en mouvements politiques. A croire que les deux ne sont jamais très éloignés. Il n’y a qu’à entendre la voix en écho de Frank Zappa avec son humour mordant de circonstance sous le règne de Reagan, dont Guy connait les palpations et les palpitations dans les moindres détails. Que demander de plus ?

Encore du grand œuvre pour cet ouvrage qui vous fera voyager de l’autre côté de l’Atlantique jusqu’à nos zones urbaines en périphérie de chez vous. Où la zizique ramasse les pavés et de temps à autre se rappelle à notre bon souvenir. Histoire encore de ne pas oublier que la misère règne encore dans ces quartiers délaissés et est la cause des révoltes légitimes des minorités culturelles.

Les émeutes de Watts et les révoltes actuelles par chez nous en retour de bâton des répressions policières, on connait la chanson. Rien n’est immuable et constant. C’est à nous les tenants de toutes les cultures de reprendre notre avenir en main et fiche une bonne claque au No Futur des punks et leur idéologie nihiliste mortifère et si triste. Qui s’accompagne par trop souvent des tromblons barbus des cités, qui veulent enchiffonner nos chères frangines aux cheveux de feu pour annihiler toute leurs formes de penser et d’être des femmes libres et vivantes de corps et d’esprit.

 

A lire dans l’urgence de la situation actuelle en vibrato des dérivés de la soul au sein des années 70, qui en dit long des pulsions de vie du Black Power ! De ses quatre cents ans de combats acharnés pour obtenir des droits d’exister en citoyen.n.e.s libres et égaux, à toutes les autres communautés des Etats-Unis, le poing levé et en musiques comme à Wattstax.

 

Guy Darol, Wattstax 20 août 1972, une fierté noire, éditions le Castor Astral, collection a Day in the Life, mars 2020,189 pages, 15,90 euros


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