1. Re-fusionner EDF et GDF : pourquoi pas ? Les deux groupes ont été séparés pour permettre la libéralisation du marché de l’énergie, ils ont été mis en Bourse séparément. On peut évidemment revenir à la case départ, mais il faudra passer via les fourches caudines des autorités "anti-trust" de Bruxelles et ça me paraîtrait logique que ça coince un peu beaucoup...
De plus, il faudra savoir expliquer aux minoritaires de GDF pourquoi l’offre éventuelle d’EDF est inférieure à celle de Suez ou, au contraire, aux minoritaires d’EDF pourquoi EDF devrait payer plus cher... Je l’ai déjà dit (cf. post Les privatisations...) : être minoritaire aux côtés de l’Etat en situation de contrôle n’est pas une sinécure patrimoniale...
2. Faire absorber Suez par GDF avec l’Etat comme actionnaire majoritaire de l’ensemble : c’est là que je m’étrangle un peu, car on est dans la pure démagogie, le mensonge par omission et par manipulation (Fabulius mérite sans doute son Pinocchio d’or !). Regardons en effet ce que voudrait dire tout cela...
Premièrement, sur la question de "qui absorbe qui ?", il est peut-être bon de rappeler que, dans un "deal" par échange d’actions (en l’occurrence 1 action Suez pour 1 action GDF et un chouïa de dividende pour les actionnaires de Suez), la fusion peut se faire dans un sens ou dans un autre, le pourcentage de détention de chaque actionnaire de l’une ou l’autre des entités dans l’entité combinée sera le même. Fabulius nous croit-il assez stupides pour croire que si GDF absorbe Suez, alors l’Etat aurait une position plus forte dans l’entité fusionnée ? Si les termes du "deal" restent les mêmes, l’Etat qui détient 80% de GDF détiendra à peu près 35% de l’ensemble (soit une perte de contrôle mais une minorité de blocage) et ceci quel que soit le sens de la fusion.
Toujours sur cette question du sens de la fusion, on notera que la valeur d’entreprise de Suez (72 milliards d’euros) et celle de GDF (42 milliards d’euros) rendent assez logique le fait de considérer que Suez fait l’acquisition de GDF. Chacun aurait le sentiment naturel qu’un GDF faisant l’acquisition d’un groupe presque deux fois plus gros que lui jouerait à la grenouille qui veut se faire...
Ceci étant dit, pour des raisons de faisabilité technique, une fusion dans laquelle GDF absorbe Suez aurait pu être préférée. Ce n’est pas le cas, et c’est fort compréhensible : si Suez propose une offre d’échange aux actionnaires de GDF, il a à convaincre l’Etat (qui détient 80%) et ensuite à récolter le maximum au sein des 20% restants (facilement identifiables puisque l’introduction en Bourse est récente) : l’atteinte des 95% permettant de retirer GDF de la Bourse et de fusionner les deux groupes est, dans ce scénario, très probable. A l’inverse, le plus gros actionnaire de Suez étant le groupe Albert Frère avec 8% du capital, faire une offre d’échange aux actionnaires de Suez et récolter 95% d’adhésion est promis à être long chemin de croix... Même pas sûr d’obtenir 50%...
Deuxièmement, si on fait l’hypothèse que l’on veut que l’Etat garde la majorité dans l’ensemble combiné, il faut changer le "deal", proposer un mixed d’actions GDF et de "cash" et apporter au minimum 14 milliards d’euros de "cash" aux actionnaires de Suez. A noter d’ailleurs que si Albert Frere et les autres actionnaires de Suez raisonnent comme moi et ne souhaitent pas être minoritaires aux côtés d’un Etat en situation de contrôle, il faut faire une offre pur "cash", soit environ 28 milliards d’euros.
Pour apporter du "cash" à une entreprise, il y a deux moyens :
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soit les actionnaires souscrivent à une augmentation de capital, et il faudrait que l’Etat amène entre 11 et 22 milliards d’euros, et je ne sais pas bien où Fabulius compte les trouver (les privatisations récentes des autoroutières ont rapporté environ 15 milliards et sont censées permettre un léger désendettement...)
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soit on s’endette et on amènerait, avant fusion, GDF à un niveau d’endettement financier supérieur à celui de Suez qui déjà paraît élevé (plus de 8 fois le résultat d’exploitation). Monsieur Cirelli nous a expliqué qu’il faudrait des marges de manoeuvre pour faire des investissements ou des acquisitions : si le groupe GDF-Suez se retrouve "day one" avec 56 milliards d’euros de dette, ça ne va pas être facile !... et ça ressemblerait assez vite à la situation de quasi-faillite de France Telecom connue fin 2002.
Enfin, si le scénario numéro 2 de Fabulius était retenu, on serait dans un cadre de nationalisation de Suez ce qui, je le comprends bien, peut plaire à nos syndicats et aux électeurs de la gauche traditionnelle, mais paraît vraiment à contre-courant de l’histoire, et surtout des activités de privatisation menées par notre ami Fabulius lorsqu’il était à Bercy : il faut dire que ce ne serait pas la première fois que, dans une vision électoraliste et démagogique, notre ex-jeune premier retournerait sa veste !
Bref, Fabulius ment par omission, nous prend pour des c... et je ne voulais pas rester sans réaction à cela. Quant au journaliste intervieweur de BFM (radio que j’aime bien par ailleurs), il aurait pu quand même poser une question sur "comment on finance les 11 à 22 milliards" !
Vigilamment vôtre.