Faut-il lever le tabou de l’euro ?
Alors que la BCE vient une nouvelle fois de hausser ses taux d’intérêt, au grand dam de Thierry Breton qui n’a rien pu y faire, le débat sur l’avenir de l’euro rebondit.
Il est des sujets dont il n’est curieusement pas permis de discuter en France, et l’euro en fait partie. L’importance de la monnaie dans les mécanismes économiques est pourtant telle qu’on pourrait légitimement espérer un débat sur la meilleure manière de conduire la politique monétaire de notre pays.
Cette absence de débat est d’autant plus paradoxale que l’euro ne fait plus l’unanimité. Beaucoup en effet s’accordent désormais pour dire qu’il n’a pas été à la hauteur des espérances qui étaient placées en lui. Aucune des promesses de ses concepteurs, dont la plupart croyaient certainement de bonne foi à ce qu’ils disaient, n’a été tenue. On nous annonçait la croissance, la zone euro traverse une période de marasme généralisée depuis l’arrivée de la monnaie unique. On nous promettait le plein emploi, il n’est pas là. On nous faisait miroiter une monnaie capable de faire jeu égal avec le dollar au plan international, jamais il n’y a eu autant de billets verts dans les coffres des banques centrales du monde (1).
Bref, le compte manifestement n’y est pas. Et la déception est d’autant plus amère que les pays européens qui ont fait le choix de rester en dehors de la zone euro alignent à tous points de vue des performances supérieures aux nôtres. Le chômage est y est 3 points inférieur à ce que nous connaissons dans la zone, la croissance y est double, les déficits moins élevés et même l’inflation, pourtant considérée par la BCE comme la mère de toutes les batailles, est moins forte dans ces pays.
Comment expliquer alors qu’on ne puisse pas sereinement débattre de la question de l’euro ? Pourquoi la classe politique française dans son écrasante majorité se refuse à poser ce problème, et pourquoi dès qu’un ministre allemand ou italien réfléchit publiquement à l’avenir de la monnaie unique, il se fait immédiatement tancer par la Commission de Bruxelles, qui se fend d’un rédhibitoire : « L’euro, c’est pour toujours » (2).
Pour comprendre cette situation, il faut avoir à l’esprit que la monnaie unique européenne représente l’achèvement de 20 ans de combat, entamé en 1979 avec la création du Système Monétaire Européen (sans remonter à 1970 et au rapport Werner qui préconisait déjà la création d’une monnaie unique). Durant toutes les années 1980, la Commission Delors n’aura de cesse de préparer le terrain à l’arrivée d’une monnaie pour l’Europe, monnaie alors baptisée « écu ». La France de François Mitterrand acceptera que l’Allemagne fasse sa réunification au prix de l’abandon du Deutsch Mark et de l’adoption de l’euro. Il faut aussi comprendre que pour beaucoup de concepteurs de la monnaie européenne, la paix justifiait in fine ce projet plus politique qu’économique.
Dans ces conditions, difficile de remettre en cause le fruit d’une époque, investi par nombre de dirigeants européens d’une charge émotionnelle intense.
Mais la réalité a rattrapé cette belle histoire. Comme la théorie économique nous le prédisait, une seule monnaie pour 12 pays aussi différents dans leurs structures économiques, financières et démographiques n’avait que peu de chances de faire des miracles (3). Au contraire, elle risquait de rendre le pilotage de leur politique monétaire moins précis, et donc moins performant. L’actualité de ces derniers jours vient nous en donner une preuve éclatante. Quand l’Espagne a toutes les raisons de se réjouir de la dernière hausse d’intérêt décidée par la BCE du fait de sa croissance qui repose de trop sur le crédit, la France et l’Allemagne craignent légitimement cette décision qui n’est pas adaptée à leur situation, et les protestations esseulées de Monsieur Breton n’ont rien pu changer.
Il faut donc évacuer du débat de l’euro les scories émotionnels et idéologiques d’une époque révolue. Nous ne sommes plus dans les années 1970/80, l’Europe a changé, et le monde aussi. Un projet n’est pas forcément bon parce qu’il fut un temps le moteur d’une construction qui cherchait sa nouvelle frontière.
Il convient de regarder sereinement le bilan de l’euro. Alors que nous célébrerons les 5 ans de la monnaie unique le 1er janvier prochain, nous aurons le recul nécessaire pour faire un premier point. A l’heure où tous les pays du monde usent de leur monnaie comme d’une arme stratégique (cf la Chine et son yuan sous-évalué cause de son incroyable essor commercial, même chose au Japon ou aux Etats-Unis), les pays d’Europe, qui sont aussi de très grands acteurs du commerce mondial (l’Allemagne est le premier exportateur de la planète, la France le 5ème), ne peuvent se permettre de retarder l’ouverture d’un débat aussi crucial pour l’avenir. L’euro est peut-être une bonne chose pour l’Europe, mais peut-être pas, et nos dirigeants doivent être capables d’admettre cette évidence simple. Pour l’heure, les indices qui s’accumulent nous laissent plutôt penser qu’il ne l’est pas. Discutons-en, écoutons tous les économistes. Parmi les plus brillants d’entre eux défendent la monnaie unique, mais d’autres tout aussi prestigieux, et de plus en plus nombreux, ont une opinion contraire (4). Le débat permettra de trancher cette question, d’une façon digne d’une démocratie.
(1) source FMI
(2) communiqué de la Commission européenne en juillet 2005 après les déclarations de ministres italiens et allemands sur la viabilité de l’euro
(3) on pense notamment à la théorie des zones monétaires optimales, originellement développée par Mundell. Selon ses critères, la zone euro n’en est pas une ; une seule monnaie ne serait donc pas une solution économique optimale
(4) cf la remarquable analyse de Jacques Sapir publiée en octobre 2006 sur l’avenir de l’euro
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