Investisseur - symptômes - diagnostic
La chute des indicateurs avancés ne produit donc pas la chute des marchés. Au contraire, les marchés d’actions sont en hausse de plus de 20 % en 2019. Puisque l’économie est malade, mais que la finance se sent bien, auscultons l’investisseur.
« Ce n’est pas parce qu’on ferme les yeux, que les choses n’arrivent pas » (anonyme). Autrement dit, ce n’est pas parce que les marchés d’actions continuent de monter, que les indicateurs avancés de l’économie ont arrêté de chuter. Il y a donc 2 messages contradictoires.
Il est vrai qu’à entendre chinois et américains (guerre commerciale), européens et anglais (Brexit), annoncer enfin un accord, on pourrait penser que tout va s’arranger. Mais à trop longtemps espérer, les marchés en ont oublié leur fondamentaux : des bénéfices des entreprises en croissance quasi-nulle pour cette année et l’année prochaine. Certes, les marchés ne sont pas obligés d’attendre des bénéfices pour monter, ils peuvent anticiper. Mais là quand même, force est de constater qu’ils ont pris beaucoup plus d’avance que d’habitude : plus de 20 % depuis 2019.
Alors comment expliquer cet indécrottable optimisme des investisseurs ? Passons en revue la liste des causes possibles, des plus communes aux plus farfelues.
- La tarte à la crème : l’investisseur est-il rationnel ou pas ?
- Les hirondelles ne font plus le printemps : les limites de l’induction
- Le marché ne peut pas baisser : la force de la déduction
- Analgésie : l’investisseur ne ressent pas la douleur que lui fait l’indicateur avancé
- Synesthésie : quand les sons « QE » et « deals » se transforment en couleur chaude
- Capgras : le vrai indicateur avancé a été remplacé par un espion
- Strabisme : l’indicateur avancé n’est plus dans le champ de vision de l’investisseur
- Anosognosie : l’investisseur n’a plus conscience de ce qu’il voit
La tarte à la crème : rationnel ou pas ?
L’investisseur est rationnel ou irrationnel, on ne sort pas de là. Et s’il était un peu rationnel mais pas trop ? Nous dirons alors qu’il est irrationnel, puisqu’il n’est pas rationnel : logique classique, si ce n’est pas « A » c’est que c’est « non A ». Mais une fois dit cela, on-a pas beaucoup avancé. D’ailleurs, on a pas avancé du tout puisqu’il faut toujours rappeler qu’il est impossible de prouver que le marché est rationnel ou irrationnel : pour prouver l’un ou l’autre, il faudrait être certain que nous utilisons le même modèle de valorisation des actifs que celui à l’œuvre dans la tête de l’investisseur dit représentatif. Puisque nous n’en savons rien, deux conclusions sont alors possibles : soit le marché a tords de ne pas suivre le modèle ; soit le chercheur a tords de choisir ce modèle.
Les hirondelles ne font plus le printemps
La chute des indicateurs avancés de l’économie est sans équivoque : la crise arrive et elle sera sévère. Pourquoi ? Un mélange de maturité du cycle économique, de tensions géopolitiques (Brexit, Italie,…), mais surtout une guerre commerciale déclarée il y a deux ans par Donald Trump à l’encontre de son ennemi chinois. Fin de l’histoire pour la globalisation, place au pragmatisme du régionalisme : on consomme ce que l’on produit, local plutôt que global. Les investisseurs ne sont ni sourds ni aveugles, et pourtant les marchés d’actions sont bien en hausse de près de 20 %. Alors ? Alors il faut se dire que la seule chute des indicateurs avancés n’est plus suffisante pour résumer le cycle économique. Puisque cette chute a surtout été provoquée par les tensions commerciales, peut-être qu’il suffirait d’un accord pour anticiper un rebond des indicateurs avancés ? Il suffisait de demander : vendredi dernier, américains et chinois annonçaient qu’ils « s’étaient mis d’accord »…
Le marché ne peut pas baisser : la preuve par l’absurde
Les investisseurs n’ont pas laissé le choix aux autorités : il fallait un accord sinon ils ne répondraient plus de rien. D’ailleurs, la pression a monté crescendo quelques jours avant l’accord de vendredi… En effet, quelques jours après la publication d’indicateurs avancés de nouveau très inquiétants, les marchés décidaient de forcer le destin et repartaient à la hausse, convaincus qu’un accord était la seule issue possible. En termes logique, on appelle cela une preuve par l’absurde : on imagine que la proposition « un accord est réalisé » n’est pas vraie, on déroule les conséquences et l’on aboutit à une contradiction : sans accord, le monde s’écroule, ce qui est contradictoire avec les intérêts des uns et des autres… Donc, puisque l’hypothèse « un accord est réalisé » ne peut pas être fausse, c’est qu’elle est vraie. Pour être précis, cette pirouette technique suppose un axiome supplémentaire que l’on appelle le tiers exclu : soit A est vrai, soit non-A est vrai, mais il n’y a pas de troisième possibilité.
Analgésie : insensibilité à la douleur
Comment expliquer que les marchés soient restés insensibles à cette « agression » des indicateurs avancés ? En effet, tous les êtres vivants ont une particularité : ils n’aiment pas la douleur, car cela fait mal ! Toute douleur supportée représente un point en moins sur la durée de vie. Ainsi, vous ne laisserez pas votre main sur le feu en train de la voir brûler, car votre cerveau agira sans vous demander votre avis pour ordonner à la main de fuir. A moins que… A moins que vous soyez frappés d’analgésie, cette maladie qui vous rend insensible à la douleur. Cette maladie pourrait passer pour un superpouvoir, mais il n’en est rien : le dos tourné à un feu en train de vous consumer, et vous ne réagiriez pas ? Peut-être alors nos investisseurs sont-ils devenus eux aussi insensibles à la douleur des indicateurs avancés.
Synesthésie : entendre des couleurs
Il y a des sons qui peuvent avoir un effet sur ce que l’on voit. En fait, c’est plutôt rare, mais cela arrive et a un nom : la synesthésie. Dans notre cas, les sons « QE » (BCE) ou « Deals » (Brexit, US – Chine) auraient peut-être transformé le gris des indicateurs avancés en couleur chaude plus rassurante. Effectivement, chaque nouvelle publiée ou intervention annonçant l’imminence d’un deal ou d’un QE se ponctuait quasi-systématiquement par une accélération à la hausse des marchés d’actions ; et inversement lorsque ces mots n’étaient prononcés de la manière attendue (« no deal » par exemple). On pourrait appeler cela l’effet du bol de croquette vide , où le chat déboule au seul son du sac de croquette que l’on remue. A peine plus sérieux, on parlera de finance cratylienne : « qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes », où l’on devine le sifflement du serpent grâce au « s ».
Capgras : l’indicateur avancé a été remplacé un espion
Bien curieux syndrome que celui-là : et si votre conjoint avait été remplacé par quelqu’un d’autre qui lui ressemble, et qui peut être travaille pour les services secrets étrangers… Ce type de paranoïa extrêmement rare est très invalidant puisque du jour au lendemain, vous ne faites plus confiance du tout à des personnes dont vous ne doutiez pas. Peut être nos investisseurs ont-ils été frappés du même mal envers les indicateurs avancés ? Ils ne croient plus les messages alarmistes avancés par ces indicateurs, requalifiés de « fake news » à la solde de puissances obscures.
Strabisme : l’indicateur avancé n’est plus dans le champ de vision
Dans la plus-part des cas, le strabisme constitue surtout une gêne esthétique. Mais il arrive parfois qu’il s’accompagne réellement d’une gêne visuelle : on ne voit pas là où il faudrait. Plus tordu, il semblerait que l’investisseur soit parfois victime d’un strabisme « téléguidé » : il va porter son attention sur un fait singulier (Deal US-Chine), occultant tous les autres, voire les plus importants (indicateurs avancés). En termes de rhétorique, on dira alors que l’investisseur pratique l’art de la synecdoque, cette capacité à prendre une partie pour le tout, le singulier pour le pluriel, le Deal US – Chine pour l’ensemble des indicateurs avancés.
Anosognosie : l’investisseur n’a pas conscience de ce qu’il voit
Enfin, nous arrivons au cas le plus désespérant, celui où l’investisseur voit bien l’indicateur avancé qui chute, mais n’en a pas conscience. Par exemple, « Un patient ne fera plus attention aux parties gauches des objets de son environnement ou de lui-même. Il ne chaussera que son pied droit, ne mangera que la partie droite de son assiette… Il cognera régulièrement son côté gauche aux embrasures de porte, sans pour autant en prendre conscience ». Dans ce cas, inutile d’espérer un sursaut rationnel de l’investisseur : l’indicateur avancé pourra chuter encore, rien n’arrêtera la hausse du marché, sauf à attendre que les entreprises ne puissent plus verser de dividendes le jour où elles ne feront plus de bénéfices.
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