Voici un extrait du livre ‘Le nouvel ordre du pétrole’ (page 52-55) :
« AVB :...Ensuite, j’aimerais que vous expliquiez pourquoi ces réserves peuvent être produites à des coûts supportables. Il faudra bien sûr examiner les défis environnementaux posés par l’exploitation de ces nouvelles réserves non conventionnelles. Donc quelles sont les raisons de croire que les réserves sont disponibles et qu’il y aura une production à coût économique sans causer des dommages disproportionnés à l’environnement ? Pouvez-vous démontrer qu’il y a assez de pétrole en utilisant les chiffres récents ?
PMW : Le centre de gravité géographique des ressources et de la production s’éloigne du Golfe Persique. Ce déplacement est une conséquence de l’émergence de technologies qui permettent l’exploitation des ressources non conventionnelles, en particulier les sables et schistes bitumineux.
La meilleure illustration de ce changement est la province de l’Alberta dans l’Ouest du Canada. Fin 2003, l’Alberta avait 5 milliards de barils de réserves de pétrole. Puis, ses réserves de sables bitumineux ont été certifiées et auditées à hauteur de 174 milliards de barils. Il y a donc eu une augmentation de 5 à 179 milliards de barils du jour au lendemain des réserves de l’Alberta. Cette province s’est trouvée catapultée au rang de « premier détenteur de réserves auditées du monde ». A comparer avec la première place traditionnelle de l’Arabie Saoudite dont les 262 milliards de barils revendiqués n’ont pas fait l’objet d’une vérification indépendante. Voici un changement tangible du centre de gravité. Un changement qui résulte de l’évolution de technologies innovantes dont le public, les politiciens, les officiels des gouvernements et les media ne savent pas grand-chose, du fait de l’échec de l’industrie pétrolière à promouvoir le développement et l’application de ces technologies, dont certaines peuvent être qualifiées de percées technologiques.
Ce déplacement symbolise le passage de l’ancien au nouvel ordre du pétrole. Décembre 2003, date à laquelle l’Alberta a considéré comme prouvées ses réserves de sables bitumineux, marque la naissance de cette nouvelle ère.
Le pivot géographique en est le bassin sédimentaire Ouest Canadien qui couvre 1,4 million de kilomètres carrés. Il est situé à cheval sur l’Alberta et le Saskatchewan. Et le pivot quantitatif en est la montée des ressources non conventionnelles : sables bitumineux, schistes bitumineux, GNL, méthane issu des couches charbonneuses.
De façon similaire, au Venezuela vous verrez des réserves qui seront certifiées à 236 milliards de barils en 2010. En ajoutant les réserves de pétrole extra lourd de la ceinture de l’Orénoque au Venezuela, qui est légèrement moins épais que les sables bitumineux de l’Alberta, à celles de cette province canadienne, vous obtenez 400 milliards de barils prouvés, certifiés, audités, tous situés dans l’hémisphère Nord. Ces 400 milliards de barils équivalent à 6o % des réserves que le Golfe persique prétend avoir. Soit la somme des réserves de l’Iran, de l’Irak, du Koweït et des Emirats Arabes Unis. La grande différence étant que ces 400 milliards sont audités, transparents. Ces nouvelles réserves ont un impact sur les décisions prises par les grands investisseurs. En prenant par ailleurs en compte la sécurité et un environnement politique sans risque au Canada, on comprend que des sociétés européennes comme Total, Shell, Statoil et BP aient investi massivement au cours des deux dernières années en Alberta et bientôt dans la province voisine du Saskatchewan. Et ceci au fur et à mesure qu’elles quittent des pays moins prometteurs et à haut risque.
L’Alberta Economic Forum qui se tiendra à Genève en mai 2009 avec la participation du Premier d’Alberta Ed Stelmach sera l’occasion de réaffirmer le potentiel et les opportunités d’investissement de l’Alberta.
SR : Mais ces technologies sont-elles suffisamment matures ?
PMW : Ces technologies très sophistiquées doivent être conformes à certaines réglementations environnementales et cette évolution prend du temps. Elles n’ont commencé à être appliquées que depuis 10 ou 15 ans. Mais au cours de la prochaine décennie, elles deviendront standard. Et naturellement, elles permettront d’accroître le volume et la qualité de la production. Le Ministère américain de l’Energie a documenté en détail ces technologies émergentes. Nous savons donc qu’il y a une nouvelle offre pétrolière, qui n’est donc pas du brut conventionnel léger, qui arrive. Ce à quoi nous sommes en train d’assister, c’est à une révolution qui modifiera profondément le marché global du pétrole, mais une révolution qui n’a pas encore été pleinement reconnue par Washington. Il n’y a pas eu de compréhension de la façon dont le marché est en train de changer ni de la façon dont ces nouvelles offres arrivent sur le marché et ou de la façon dont elles vont avoir un effet sur les prix. Ces nouvelles offres vont pouvoir satisfaire toute la demande de pétrole projetée au cours du XXIe siècle.
Les Américains ont d’importantes réserves de schistes bitumineux à l’Ouest des Etats-Unis, que le Ministère de l’Energie estime à 1200 milliards de barils. Ily a 32 milliards de barils de sables bitumineux, principalement en Utah. Le domaine de la Green River, d’une surface de 16000 miles carrés, à cheval sur l’Utah, le Colorado et le Wyoming, contient le plus grand gisement de schistes bitumineux au monde. Le Ministère de l’Energie estime qu’il y en a 750 milliards de barils à l’Ouest des Etats-Unis avec une densité de 25 gallons ou plus par tonne, qui peuvent être produits avec la technologie actuellement disponible (15 gallons par tonne est le minimum requis pour que l’extraction soit rentable). Selon le Ministère, un effort coordonné de l’industrie et du gouvernement permettrait de lancer une nouvelle vague d’exploitation dès 2011 qui permettrait de produire 2 mbpj en 2020 avec une capacité de production maximale de 10 mbpj (donc dépassant le niveau de production de l’Arabie Saoudite et égal à 50 % de la consommation américaine journalière). Le secteur privé est très intéressé à exploiter cette ressource. Les schistes bitumineux peuvent être produits avec un minimum d’impact sur l’environnement grâce aux nouvelles technologies. Par exemple, Raytheon, un fournisseur américain dans le domaine de la défense, et CF Technologies, ont développé une méthode d’extraction à partir de micro ondes de fréquence radio utilisée pour les missiles intercontinentaux pendant la Guerre Froide. Cette méthode consiste à chauffer la couche, à faire fondre les schistes et à en extraire le pétrole liquide. Les avantages sont : moins de consommation d’électricité, moins de dommages en surface et une meilleure protection des eaux souterraines. Selon Raytheon, cette technologie permet de récupérer 4 à 5 barils de pétrole pour chaque baril consommé au lieu de 1,5à 3 barils dans d’autres procédés in situ. Le délai de production pourrait n’être que de 4 mois alors que les technologies avancées d’extraction prennent un à deux ans pour chauffer et extraire la matière. Cette nouvelle technologie est révolutionnaire. Début 2008, Raytheon a annoncé avoir vendu cette technologie à Schlumberger.
La révolution dont je parle ne se limite pas aux pétroles non conventionnels. De nouvelles sources massives de pétroles conventionnels arriveront sur le marché dans un avenir proche.
Un exemple : le Golfe de Guinée. Le Nigeria, selon des estimations internes, détient jusqu’à 160 milliards de barils de réserves conventionnelles (soit plus que les réserves prouvées additionnées du Venezuela et du Koweït) alors que les estimations officielles sont aujourd’hui de 35 à 36 milliards de barils. Et ces réserves sont probablement de la meilleure des qualités de brut du monde. Aujourd’hui, le Nigeria est en train de rénover et de restructurer son secteur énergétique en créant une nouvelle compagnie pétrolière nationale et en établissant des méthodes transparentes. Les institutions financières auront confiance dans les investissements au Nigeria et permettront aux opérateurs locaux - par opposition aux grandes multinationales -d’opérer sur le continent. L’essentiel de ces réserves ne sont pas offshore mais situées à l’intérieur des terres, dans le delta du Niger et ses environs, où le pétrole est très facile et peu coûteux à exploiter. Pour l’heure, les conditions de sécurité ne sont pas suffisantes, des problèmes de financement subsistent et les Nigérians doivent encore moderniser leur compagnie nationale. »