L’échec du conclave sur les retraites : une occasion perdue
« Je proposerai aux représentants de chaque organisation de travailler autour de la même table, de s’installer dans les mêmes bureaux, ensemble, pendant trois mois, à dater du rapport de la Cour des Comptes. Si, au cours de ce conclave, c’est ce qu’on dit quand on ferme les portes, cette délégation trouve un accord d’équilibre et de meilleure justice, nous l’adopterons. Le Parlement en sera saisi lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, ou avant, et si nécessaire, par une loi. Je souhaite que cet accord soit trouvé, mais si les partenaires ne s’accordaient pas, c’est la réforme actuelle qui continuerait à s’appliquer. » (François Bayrou, le 14 janvier 2025 dans l'hémicycle).
Avant, on aurait parlé de Grenelle des retraites. La notion de conclave en politique est très novatrice. Cela signifie formellement "délégation paritaire permanente". L'idée provient du Premier Ministre François Bayrou qui en avait fait son assurance-vie au lendemain de sa nomination. Il avait réussi à négocier la bienveillante neutralité du groupe socialiste lors des motions de censure en échange d'une concertation sur la réforme des retraites réalisée par Élisabeth Borne, la loi n°2023-470 du 14 avril 2023. D'où ce conclave sur les retraites qui a commencé à travailler le 27 février 2025 et qui s'est achevé finalement sur un échec lors de sa dix-huitième et dernière séance ce lundi 23 juin 2025.
Avant de poursuivre sur ce sujet, retrouvons les mots exacts du Premier Ministre qu'il avait prononcés lors de sa déclaration de politique générale le 14 janvier 2025 devant les députés : « La réforme des retraites est vitale pour notre pays et notre modèle social : bien des gouvernements successifs s’y sont engagés, depuis Michel Rocard jusqu’aux efforts courageux du gouvernement d’Élisabeth Borne. Je note dans ce débat passionnel un progrès considérable : plus personne ne nie qu’il existe un lourd problème de financement de notre système de retraites. En même temps, nombre de participants à ces discussions, notamment les organisations du dialogue social et les organisations syndicales, ont affirmé qu’il existait des voies de progrès et qu’on pouvait obtenir le même résultat par une réforme plus juste. Je choisis donc de remettre ce sujet en chantier, avec les partenaires sociaux, pour un temps bref et dans des conditions transparentes, selon une méthode inédite et quelque peu radicale. La démarche s’appuiera sur un constat et des chiffres indiscutables. Je vais demander à la Cour des Comptes une mission flash de quelques semaines, afin de nous donner l’état actuel et précis du financement du système de retraites. Le gouvernement communiquera son résultat à tous les Français. La loi de 2023 a prévu que l’âge légal de départ passerait à 63 ans fin 2026. Une fenêtre de tir s’ouvre donc. Je souhaite fixer une échéance à plus court terme : celle de notre automne, où sera discutée la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. J’ai la conviction que nous pouvons rechercher une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem ni tabou, pas même l’âge de la retraite, à condition qu’elle réponde à l’exigence fixée : nous ne pouvons pas laisser dégrader l’équilibre financier que nous cherchons et sur lequel presque tout le monde s’accorde. Ce serait une faute impardonnable contre notre pays. Plusieurs partenaires sociaux ont indiqué qu’ils avaient identifié des pistes pour que la réforme soit socialement plus juste et cependant équilibrée. Ces pistes méritent toutes d’être explorées. Toutes les questions doivent pouvoir être posées. Chacun des partenaires sociaux aura le droit de faire inscrire à l’ordre du jour de ces discussions et négociations les questions qui le préoccupent : rien n’est fermé. Une délégation permanente sera donc créée. ».
C'est typiquement la méthode Bayrou. François Bayrou a toujours cru au dialogue social au contraire du Président de la République Emmanuel Macron, et c'est ce qui a le plus manqué à la réforme d'Élisabeth Borne, une légitimité sociale. Le pari était audacieux : remettre autour d'une table les partenaires sociaux, à savoir les représentants du patronat et des syndicats, pour améliorer la réforme qui a été si emblématiquement contestée depuis deux ans. La connotation religieuse du mot "conclave" n'a échappé bien sûr à personne et le hasard a voulu qu'un véritable conclave, celui pour désigner un nouveau pape, s'est tenu en même temps, en mai (beaucoup plus brièvement que pour les retraites !).
La démocratie sociale n'est pas une vaine expression chez François Bayrou qui fut d'abord président du Centre des démocrates sociaux (CDS) avant d'être celui de l'UDF. Ce parti, d'origine démocrate chrétienne, reprenait la tradition catholique sociale, celle de la doctrine sociale de l'Église, dont le mot d'ordre est qu'il n'y a pas d'efficacité économique sans solidarité sociale. Pour Emmanuel Macron, ces concertations sociales seraient une perte de temps, alors que François Bayrou, au contraire, a basé toutes ses convictions sur le faire-ensemble. Ne jamais imposer d'en-haut une réforme prête-à-l'emploi. Au contraire, la co-construire avec les forces vives du pays, les impliquer pour la pérenniser.
Ce conclave sur les retraites était aussi politiquement très important. Il était l'alibi des socialistes pour ne pas voter de motion de censure et leur neutralité s'est renouvelée six fois, malgré une période de pré-congrès du PS qui pouvait engendrer beaucoup de démagogie.
Parmi les partenaires sociaux, il est resté, à jouer le jeu, deux organisations patronales, le Medef et la CPME (la Confédération des PME), et trois organisations syndicales, la CFDT (le premier syndicat de France), la CFTC et la CFE-CGC. Sans négliger l'apport de toutes ces organisations, le dialogue social s'est principalement établi entre le Medef et la CFDT.
La règle du jeu énoncée par François Bayrou était claire : en cas d'accord, le Premier Ministre le traduirait par un projet de loi reprenant exactement les termes de l'accord pour le faire adopter par le Parlement. Politiquement, il y avait un risque : que la discussion parlementaire diverge vers l'âge légal de départ à la retraite qui, en principe, ne devait pas être remis en cause. Ou qu'elle s'enlise vers une censure.
Pour la CFDT, l'enjeu était important, car il y avait des points d'amélioration importants pour la réforme. L'enjeu se portait sur la carrière des femmes (revalorisation des pensions des femmes ayant eu des enfants) et sur la pénibilité de certains métiers. C'est sur ce dernier point que le désaccord est resté.
Il faut dire que pour le Medef, le statu quo lui allait et, au contraire, lui apportait le moins de risque possible puisque la réforme Borne lui convenait. Pourtant, c'est une faute politique importante que le Medef n'ait pas tenté coûte que coûte d'éviter un échec. Chacun se renverra certainement la responsabilité de l'échec, mais je pense que le Medef avait une carte à jouer, celle de la négociation heureuse.
Pourquoi ? Parce qu'un accord à l'issue de ce conclave aurait eu un retentissement politique et social énorme. Cela aurait validé l'âge légal de 64 ans dont la contestation serait beaucoup plus difficile et certainement anachronique. Et cela pour un coût économique relativement faible. La CFDT comptait faire des métiers pénibles un abaissement de cet âge légal tandis que le Medef n'y voyait que des mesures financières.
C'est le négociateur de la CFDT, Yvan Ricordeau, qui a annoncé ce lundi soir l'échec définitif des négociations : « Le patronat a fermé la porte aux syndicats, notamment sur la proposition que les salariés les plus exposés à la pénibilité n’aient pas le même effort à faire que les autres. ». La négociatrice de la CFTC Pascale Coton a aussi considéré que l'échec était de la responsabilité du patronat : « Cette négociation était jouable, si l’accord ne se fait pas, c’est à cause des organisations patronales. (…) C’était la première fois que nous avions du “plus” pour les femmes [propositions de pensions réévaluées pour les mères], c’est quelque chose qui me met très en colère. ». Quant à la secrétaire nationale de la CFE-CGC, Christelle Thieffinne, elle a regretté l'échec : « La négociation est terminée depuis la semaine dernière (…). Ils torpillent cette négociation. Et ils veulent ne pas porter la responsabilité d’un non-dialogue social. ».
Pourtant, le Medef et la CPME avaient fait une déclaration pleine de promesse juste avant le dernier round. Leurs représentants respectifs, Patrick Martin et Amir Reza-Tofighi avaient en effet tenu une conférence de presse pour expliquer qu'un accord pouvait être possible. Si la revalorisation des pensions des mères a obtenu un consensus, ce n'est pas le cas pour les travaux pénibles. Les syndicats voulaient un départ anticipé à la retraite, ce qu'on refusé les représentants du patronat. La négociatrice du Medef, Diane Milleron-Deperrois, était désolée : « Nous regrettons cet échec, c’est dommage pour la démocratie sociale. (…) Au Medef, on a gardé une ligne très claire, en étant constant dans une ligne responsable : on n’était pas en mesure d’augmenter les cotisations salariales et patronales. ».
Je persiste à penser que le Medef a perdu une belle occasion de montrer son sens des responsabilités. Pendant plusieurs jours, les proches du Premier Ministre ont demandé à cette organisation de ne pas faire échouer le conclave. Car il y aurait eu deux intérêts à faire réussir ce conclave-là : d'une part, cela aurait démontré l'intérêt du dialogue social et le retour aux négociations sociales paritaires sur les sujets nationaux importants ; d'autre part, cela aurait donné une image du Medef plus acceptable, plus diplomate, plus soucieuse de l'intérêt des salariés, tout en pérennisant politiquement la réforme Borne.
C'est ce qu'a confié Patrick Cohen, bien informé, le 23 juin 2025 sur France Inter : « Et c’est pour cela que l’exécutif multiplie les coups de fil en forme de coup de pression sur les dirigeants du patronat : vous n’allez tout de même pas provoquer une nouvelle crise politique, la chute du gouvernement Bayrou, qui ne ferait qu’aggraver la crise économique ? Et puis un échec vous serait forcément imputé, ce qui ne ferait que nourrir la défiance des Français à l’égard des entreprises et des patrons. ».
Sur le plan politique, l'avenir de François Bayrou est donc en pointillé. Le Premier Ministre devrait s'exprimer à 7 heures le mardi 24 juin 2025 à Matignon pour évoquer cet échec qui donne raison bien entendu à tous ceux qui n'y avaient pas cru, tant des personnalités comme Emmanuel Macron que les enragés de la gauche populiste que sont les insoumis. D'ailleurs, Jean-Luc Mélenchon a immédiatement tweeté un appel à voter la censure : « Le PS doit assumer cet échec et ses dégâts. Il doit montrer l’exemple pour voter au complet la censure. ».
En fait, contrairement à ce qu'a proclamé le groupe insoumis dans un communiqué, la méthode Bayrou n'est pas « un échec monumental » puisque, justement, il a laissé les partenaires sociaux s'entendre, ou pas, entre eux, sans interférence du gouvernement. "Le Point" a publié la confidence d'un proche de Matignon le 23 juin 2025, avant le début de la dernière journée de négociation : « S'il y a accord, on dira que c'est le pape de Matignon. Sinon, il pourra faire porter le chapeau aux partenaires sociaux, qui n'ont pas su se mettre d'accord. Pile, je gagne ; face, tu perds ! ».
L'hebdomadaire a cité aussi quelques avantages politiques de la méthode : « Qu'il y ait accord ou non, le Premier Ministre a atteint son objectif : s'acheter du temps. (…) Et si un accord était trouvé, il ne mettrait pas en péril l'un des piliers de la réforme Borne en 2023, le report de l'âge légal de départ à 64 ans, écarté dès le début des négociations. ».
Et les socialistes sont-ils prêts à de nouvelles élections législatives ? Certainement pas ! Ils ne sont même pas encore d'accord sur le nom du candidat à soutenir aux prochaines élections municipales à Paris. Une nouvelle dissolution dissoudrait sans aucun doute le groupe socialiste à l'Assemblée. Ce que ne souhaite absolument pas Olivier Faure qui compte préserver son autonomie avec cette bienveillante neutralité. Ce qui ne donnerait qu'un court répit à François Bayrou qui devrait annoncer le 15 ou 16 juillet 2025 des mesures budgétaires qui fâcheraient sérieusement pour suivre la trajectoire budgétaire de 3% de déficit en 2029.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 juin 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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