Alerte rouge à Strasbourg : la démocratie russe inquiète
Les lignes de l’inconcevable démocratiques sont franchies en Russie. Faut-il que Poutine reste un membre respecté de la famille du Conseil de l’Europe ? Sa médaille d’or aux JO doit nous rendre plus vigilants et plus exigeants envers lui et son régime... Quand la Douma prend démocratiquement des lois qui tuent la démocratie... où commence et où finit l’extrémisme ?
Alerte rouge à Strasbourg, chez les spécialistes des droits de l’homme, des libertés (de presse et d’opinions, notamment) et de la démocratie (pluraliste) du Conseil de l’Europe. Où s’arrêteront les amis russes qui appartiennent à cette organisation censée réunir la famille des démocraties plus ou moins parfaites (en ce domaine, la perfection n’existe pas) mais authentiques, donc perfectibles ? Peu de jours passent sans que des motifs d’inquiétude sur la Russie de Poutine s’accumulent... Aujourd’hui, c’est la Douma qui démocratiquement a pris des mesures antidémocratiques. Oubliée la Glasnost...
Les députés de la Douma (Chambre basse du Parlement russe) n’auront pas fait attendre le président Vladimir Poutine qui, lors de son dernier discours à la nation, devant les deux chambres réunies, le 26 avril, avait exhorté les parlementaires à se montrer inflexibles dans la lutte contre « l’extrémisme politique ». C’est chose faite depuis l’adoption, en troisième et dernière lecture, d’amendements destinés à durcir les poursuites pour crimes et délits commis pour « extrémisme ».
Où commence cet « extrémisme » ? Tout est là bien sûr... Ne sommes-nous pas tous plus ou moins les extrémistes de quelqu’un d’autre ? Cette notion, floue, pourrait s’appliquer aux actions menées par des organisations politiques jusqu’alors légalement reconnues. Il est clair qu’elle vise en particulier celles de l’opposition au Kremlin menée par l’ancien Premier ministre Mikhaïl Kassianov ou par l’ancien champion du monde d’échecs Garry Kasparov, dont l’évocation est déjà interdite dans les médias officiels.

Les droits de l’homme vus par Jean-Pol Grandmont (publiée par Wikipedia)
Selon les données du ministère de l’Intérieur, la quantité annuelle de crimes pour des motifs « extrémistes » a presque doublé de 2004 à 2006, passant de 139 à 263. Cette statistique pourrait être encourageante si les crimes racistes figuraient dans ce « bilan », mais ces vrais crimes-là sont très rarement reconnus comme tels, donc rarement sanctionnés et rarement recensés.
Avec cette nouvelle loi, ils ne le seront pas plus... Les députés ont élargi la notion d’ « activité extrémiste » à d’autres type d’activités... A moins d’un an de l’élection présidentielle de mars 2008, la « diffamation envers un représentant de l’Etat » est désormais considérée comme « extrémiste », et les « appels à l’extrémisme » deviennent passibles de peines passant de cinq à six ans de prison. Cet article me rendrait coupable d’un de ces délits. Pauvres journalistes russes : ils n’auront pas goûté longtemps aux joies (et aux devoirs) de la liberté d’expression.
La notion de crimes et délits commis pour « motifs de haine politique et idéologique » a été ajoutée au Code pénal. Les participants à des troubles massifs pourront être condamnés à douze ans de détention (contre dix ans aujourd’hui).
Cette loi vise aussi le financement et l’organisation des actes « extrémistes », « y compris par le biais d’imprimés (...), de liaisons téléphoniques ou autres moyens d’information » (Internautes, attention !). Ces amendements autorisent les forces de sécurité à écouter les conversations téléphoniques des personnes soupçonnées d’infractions, quelle qu’en soit la gravité (ici on ne fait que légaliser des pratiques bien courantes...
Cerise sur le gâteau : les médias (y compris sur internet, of course) n’auront plus le droit de diffuser d’informations sur les organisations reconnues comme « extrémistes » par le tribunal, pas même... pour spécifier qu’elles ont été interdites ou dissoutes. C’est d’ores et déjà le cas pour le Parti national-bolchevique d’Edouard Limonov, interdit et poursuivi pour "extrémisme".
Un (petit) espoir : ce texte doit encore être entériné par le Conseil de la fédération et signé par le président russe... Déjà, le député libéral Vladimir Ryjkov entend porter l’affaire devant la Cour constitutionnelle pour éviter que d’autres contestataires ne viennent s’ajouter aux « trente prisonniers politiques » déjà officiellement derrière les barreaux. Selon la Constitution russe et la Déclaration universelle des droits de l’homme, tout citoyen peut critiquer le pouvoir. Selon les Conventions du conseil de l’Europe aussi !
C’est, bien sûr, vers ce Conseil que les regards des démocrates de Russie (et d’ailleurs) se tournent. Mais le secrétaire général actuel du Conseil (qui doit en partie son élection aux Russes) ne se caractérise pas précisément par son courage : ses beaux discours sur la démocratie portent plus sur des thèmes généraux que sur des questions particulières épineuses.
Et les Russes exercent sur l’organisation une sorte de chantage permanent : « C’est notre présence à Strasbourg qui donne au Conseil une importance geopolitique qu’il n’aurait plus face à la montée en puissance de l’Union. Alors ? Montrez-vous compréhensifs. D’ailleurs qui peut se permettre de donner des leçons. Vous avez vu l’état des prisons françaises et le sort fait aux immigrés dans les vieilles démocraties européennes ? »... A tous les niveaux, "on" y est sensible, à cet argument ; chez les diplomates du Comite des ministres, chez les parlementaires et, bien sûr, chez les fonctionnaires et les experts...
Au Conseil de l’Europe, on veut croire aux progrès possibles. Cette semaine encore, Thomas Hammarberg, le Commissaire aux droits de l’homme, Thomas Hammarberg, a participé à une table ronde sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la République tchétchène. Cette table ronde était organisée en coopération avec le Commissaire aux droits de l’homme de Russie, Vladimir Lukin (mais oui, la fonction existe !)
Vous voyez : on travaille.
De même, le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), René van der Linden, a fait une nouvelle déclaration au sujet de la ratification du protocole n° 14 à la Convention européenne des droits de l’homme, dont les Russes ne veulent pas entendre parler :
« Je suis déçu que la Douma d’État russe n’ait toujours pas donné son accord à la ratification de ce protocole vital, empêchant ainsi son entrée en vigueur. (...) L’objectif principal de ce protocole est de veiller à ce que les citoyens bénéficient d’une justice plus rapide et plus efficace en aidant la Cour à résorber plus rapidement son retard. Cet échec nous pénalise tous et ce sont les Européens, y compris en Russie, qui en pâtiront le plus. Je ne peux donc qu’exhorter, une fois de plus, la Russie à ratifier ce protocole le plus rapidement possible. »
Vous voyez : on exhorte...
Mais les activités antidémocratiques de la Douma sont plus rapides et plus efficaces que ses soucis de se conformer aux principes du Conseil de l’Europe. Des principes que la Russie s’est engagée à respecter, non seulement formellement (pour reprendre la distinction de Lénine) mais réellement. Le Conseil de l’Europe n’est pas le gardien de « libertés-piquets »...
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