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Accueil du site > Actualités > Info locale > Si Paris m’était comptée

Si Paris m’était comptée

C’est à n’y rien comprendre. Alors qu’il regorge de merveilles et s’impose sans conteste comme le plus Parisien des arrondissements, le 22e demeure totalement négligé par la plupart des guides.

Pas moins de quatre-vingt mille personnes habitent pourtant dans ce triangle d’une vingtaine de kilomètres carrés bordé par la Seine au Nord, le Bois de Cent Halles à l’Est et le 21e au Sud, sans oublier la minuscule île Eygrand, reliée à la rue du Quai par le pont à Typhons, et où vécut le poète. Plus qu’un triangle, l’arrondissement forme en réalité un losange quasi parfait puisque le Bois en fait officiellement partie.

Alors que les beaux quartiers de l’Ouest affichent une très faible densité, à l’image de la prestigieuse avenue Arienvue avec sa ribambelle d’hôtels particuliers, l’essentiel de la population se concentre à l’Est, notamment dans les rues populaires et sinueuses de la butte en Blanc. Mais en journée, le coeur de la ruche s’active sous l’imposant totem de la tour Worushita, dans le quartier des affaires du faubourg Saint-Ayezé-Finezerb.

Le 22e ne manque pas de lieux animés, à commencer par ses trois marchés : le marché aux Pas, les lundi et jeudi, le marché Ottro, les mardi et samedi, et celui de la rue Osüper, les mercredi, vendredi et dimanche. Véritable temple du shopping, le grand magasin Automne attire, pour sa part, de nombreux touristes étrangers, quand ils n’écument pas le dédale du marché aux puces autour de la rue Tabaga, cet ancien chemin gaulois serpentant dans le quartier Tireste.

A deux pas de la butte, les plus matinaux peuvent démarrer la journée au quatre-quarts de tour avec une bonne crêpe à Kenavo Town, le ghetto breton pur beurre où la fête bat son plein jour et nuit. Dans un style différent, difficile de ne pas évoquer la rue des Effeuilleuses : le peintre maudit Van Gamel en célébra les soirées polissonnes et s’échoua avec la régularité des marées au Râteau Ivre. Convertie depuis en cabaret, la pittoresque enseigne du numéro 6 des Effeuilleuses attire toujours les âmes en perdition à quelques mètres de l’église Sainte-Nitouche, au 6 ter.

Plus sages, les amateurs de lyrique et de classique papillonnent volontiers du côté du boulevard de Théâtre : Offenbach y créa l’opéra Malbouffe à l’opéra municipal Mac Donald et Sarah Bernard triompha au théâtre des Evénements dans des créations aussi majeures que La Comtesse au pied de bois ou La Belle au bois claudicant. Les touristes les plus fortunés prolongent la nuit plus haut dans le boulevard à l’hôtel Crackers, le seul cinq étoiles de la capitale, en prenant le temps d’un verre au bar Mitzvah, où Woody Allen se produit régulièrement à la clarinette.

Plus au Sud, les soirées au stade Terminal ne sont en revanche plus ce qu’elles étaient depuis que le PUB FC a quitté la première division. Autant le Paris Université de Brelles a rayonné sur les années 20 en remportant la Coupe de France à quatre reprises, autant il végète dans l’indifférence générale depuis plus de quarante ans, son dernier exploit consistant en l’élimination des Maltais du Floriana la Valette au premier tour de la Coupe des villes de foires.

Le club partage son siège, ses dirigeants et sa descente aux enfers avec le Parti de Rien : il y a bien longtemps que l’on n’assiste plus aux mythiques émeutes de l’impasse Adisse pour la chasse aux billets ou pour l’adhésion au mouvement anarchiste. Le stade Terminal sonne creux et craque de toutes parts, deux tiers des tribunes étant condamnées pour cause de risques d’effondrement.

Les projets de reconstruction s’accumulent en vain dans les placards de la mairie de l’arrondissement, place Aujeune, les rares supporters du club ne représentant plus depuis des lustres un enjeu électoral. Signalons à ce propos que le charismatique maire du 22e, Anatole Fraise, tient le poste sans interruption depuis la Libération contre vents et marées, triomphant même avec plus de 80 % des suffrages lors des dernières élections en dépit des rumeurs persistantes selon lesquelles il se sucrerait.

A défaut de pouvoir assister à de grands matchs au stade Terminal, les sportifs vont courir au parc Athème, enquillant les tours de lac sans se douter que celui-ci doit son existence à la crue de 1910 et au débordement des canaux Pelusse et Lacrymal, qui finirent d’ailleurs par unir leurs lits à la levée des crues. Les joggeurs prolongent généralement leur circuit au bois de Cent Halles : bien connue des peintres, une passerelle arborée relie les deux poumons de l’arrondissement en surplombant le boulevard Worsening, du nom du fameux maréchal d’Empire anglais passé à l’ennemi. Mais les Parisiens associent plus volontiers ce nom aux nombreux trafics pratiqués dans le quartier, en particulier au métro Cétereaux et autour de l’hôpital Hippocrate Debré, dont on se souvient que la construction défraya la chronique avec le déplacement très médiatique de la statue du commandeur en 1985.

Au-delà de cette anecdote et à l’image de son maire, l’arrondissement aura subi quelques liftings au cours du siècle sans vraiment changer de visage : aucun projet architectural majeur n’a vu le jour depuis l’érection du musée de l’Ergonomie et du Design au milieu des années 60. Et encore ce chantier aura-t-il dérapé d’une bonne dizaine d’années avec la mise à jour d’un site archéologique remontant à l’invasion des Corses sous Tibère.

Pour être complet sur le 22e arrondissement, il conviendrait d’évoquer ses innombrables curiosités comme la Ru, la voie la plus courte de Paris, ou le cimetière de la mère Brigitte, dédié aux animaux domestiques. D’autres citeraient peut-être les joutes du café Faune et ses concours de lancer de cendrier du samedi soir, ou les quelques arpents de vigne plantés rue du Crabe par le grand tragédien de la fin du XXe siècle Pierre Desproges, ou encore le musée de Cire des musées, qui reconstitue fidèlement les plus belles salles des principaux musées du monde.

Chaque ruelle, chaque immeuble regorge de passionnants récits, chaque mètre de bitume ou de pavé a été témoin des multiples rebondissements de la vie de tant de Parisiens illustres ou inconnus.

Et pourtant le 22e reste cet arrondissement honteusement oublié, pour ne pas dire snobé. Je soupçonne d’ailleurs certains taxis de le boycotter délibérément. Un employé de la RATP a même refusé de me vendre un aller simple RER pour la station 5 Décembre. Paris n’est décidément plus ce qu’elle était.

A Paris 22, le 30 juillet 2003


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12 réactions à cet article    


  • tvargentine.com lerma 8 août 2007 13:54

    Franchement,pour ceux qui connaissent Paris,c’est l’arrondissement le plus dangereux et le plus mauvais

    A éviter


    • Avatar 8 août 2007 17:38

      Le plus dangereux le 22ème ???

      Faites gaffe de pas vous y perdre car, comme le 21ème arr., vous ne le trouverez sur aucune carte de Paris...

      Car ils n’existent pas !

       smiley


    • Mango Mango 8 août 2007 18:32

      Selon Lerma, qui a l’air de bien connaître Paris, le 22ème serait à éviter à cause :

      1. des étrangers

      2. des SDF

      3. des RMIstes et des chômeurs.

      4. D’une concentration anormalement élevée de fonctionnaires marxistes.

      Rayez les mentions inutiles.

      Vous avez droit à plusieurs réponses.


    • Pierre R. Chantelois Pierre R. - Montréal 8 août 2007 15:22

      Stephanemot

      J’adore ces petites chroniques descriptives qui, mine de rien, vous font voyager tant à travers les mots de l’auteur qu’à travers les lieux qui l’inspirent. Très agréable. Surtout lorsqu’elles rappellent des souvenirs, des odeurs, des ambiances, des atmosphères diverses.

      Ce qui me fascine toujours dans ces invitations au voyage, c’est la musique des mots : des marées au Râteau Ivre ... numéro 6 des Effeuilleuses ... au bois de Cent Halles ... une passerelle arborée relie les deux poumons de l’arrondissement en surplombant le boulevard Worsening ... au débordement des canaux Pelusse et Lacrymal ... .

      Merci

      Pierre R.


      • stephanemot stephanemot 9 août 2007 04:19

        Merci Pierre,

        Il faudrait que je fasse un petit tour de Montréal un jour. L’Ile Bizard, ça ne s’invente pas...

         smiley


      • Francis, agnotologue JL 8 août 2007 19:19

        D’abord, j’ai cru qu’il s’agissait d’un article sur Paris Hilton, vu le féminin ’comptée’. Et je me suis dit que cette histoire ne me regardait pas.

        Par curiosité, j’ai jeté un coup d’oeil sur les commentaires, et j’ai vu que non, c’était pas la nana qui était le sujet.

        Confirmez-vous l’orthographe, ou bien accepteriez-vous d’écrire « Si Paris m’était conté » ?

        Vais-je lire ? D’ordinaire j’aime assez bien vos commentaires.  smiley


        • stephanemot stephanemot 9 août 2007 04:12

          Merci JL

          Je confirme. On y parle du Crackers mais pas du Hilton, et on apprend à compter au-delà de 20.


        • claude claude 8 août 2007 21:07

          quelle belle ballade inattendue dans un coin de paris, que l’on ne connait pas suffisamment !

          habitant en province depuis 30 ans, j’avais oublié ce quartier qui a su malgré tout garder l’authenticité du terroir. je suis déçue de voir que les champs odorants de gauldos ont disparu. peut-être est-ce la rançon du progrès... il y a aussi l’université poulbot V spécialisée en langues titi orientales...

          bonne soirée... smiley


          • pixel pixel 8 août 2007 21:32

            Salut Claude

            L’auteur oublie le 23è qui dort encore dans les cartons comme un SDF du 22è.


          • stephanemot stephanemot 9 août 2007 07:04

            Claude,

            Une université, c’est bien connu, est une ville dans la ville.

            Pour votre gouverne, Poulbot V est en phase avancée de désamiantage et de démammouthisation. Signalons également que, depuis que l’autonomie des universités a été votée, elle envisage sérieusement de s’autoproclamer 24e arrondissement de Paris.


          • Avatar 9 août 2007 09:43

            Y’a aussi pas mal de moutons car hier j’y ai entendu Montreuil bêler !!!

             smiley


          • claude claude 9 août 2007 12:19

            demian,

            vous cassez le rêve ! cela m’étonne de vous ! smiley

            et puis vous vous trompez, montreuil, c’est le 100°, car on y rencontre une concentration d’ophtalmologistes et d’opticiens amateurs de petits canidés, qui ont l’art de transformer le double zéro en lunettes amplificatrices de rêves et d’humour ! smiley smiley

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