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Toulouse : rencontre avec des habitants des quartiers dits sensibles

Rencontre avec les habitants de Toulouse, quartier « sensible » du Mirail Reynerie.

Samedi 5 avril 2005, le CMAV (Centre méridional d’architecture de la ville de Toulouse) avait organisé, et préparé depuis plusieurs mois, une visite du quartier Reynerie (quartier dit sensible, plus connu sous le nom de Mirail). Cette visite d’un quartier de Toulouse s’inscrit dans une politique de découverte de la ville, de ses quartiers et de ses habitants. Dans le passé, les quartiers Croix-Daurade et Minimes ont fait l’objet d’un tel intérêt.

La visite a été annulée pour des raisons de sécurité, et pour ne pas constituer une provocation, compte tenu de la situation nationale.

Pourtant, les habitants de la Reynerie, qui étaient venus accueillir les visiteurs « étrangers » (comprendre les Toulousains de l’intérieur ou d’autres quartiers) ont souhaité établir un dialogue.

Nous nous sommes retrouvés à une cinquantaine dans le local d’une association. Aucun représentant de la Ville n’était présent (et surtout pas Mme de Veyrinas). Mme Claude Touchefeu (élue PS du Conseil général) était présente, mais elle a plus écouté que parlé.

Le premier à prendre la parole a été Robert, un ancien habitant de la Reynerie.

Robert : « J’ai fui la Reynerie, il y a sept ans, parce que je n’étais plus en sécurité. J’habitais au 9bis, et j’étais confronté tous les jours à la même petite bande qui me menaçait. N’en pouvant plus, je suis parti, car personne ne pouvait m’aider, ni les flics, ni les associations. Je vivais dans un climat de terreur. Et pourtant on connaissait les meneurs ».

MYRIAM, une femme d’une cinquantaine d’années, pointe, elle, «  l’absence de dialogue entre la cité et l’extérieur ». Et c’est vrai qu’on a l’impression d’un enfermement lorsqu’on sort du métro : il s’agit d’un village de 10 000 habitants rassemblés dans des immeubles hauts et fermés sur eux-mêmes, des cellules vivantes, paraît-il, d’après les architectes. Mais c’est plutôt le sentiment d’être dans une cellule de prison que l’on éprouve de prime abord, malgré la présence d’arbres et d’un lac.

MARCEL, un des plus vieux habitants de la Reynerie, explique « le GPV (grand projet de ville) est dangereux. Car le GPV se caractérise d’abord par des destructions d’immeubles, des destructions sans projet, des destructions sans remplacement. Or les immeubles sont en bon état, ils sont spacieux et confortables, en tout cas plus que ceux construits à Borderouge. Pourquoi détruire, si ce n’est pour signifier aux habitants que leur vie ne vaut rien, que leur souvenirs ne comptent pas ? ».

Claude TOUCHEFEU explique qu’il y a une différence sensible, dans l’approche du GPV, entre 2001, sous le gouvernement Jospin, période pendant laquelle le GPV est alors piloté par l’État dans un dialogue avec les différentes parties prenantes, et depuis 2002, moment où l’État s’est désinvesti et laisse le contrôle à la seule municipalité. Pour elle, la ville gère le GPV sans dialogue, sans tenir compte des usages des lieux et des habitants.

BERTRAND réagit. Il ne veut pas faire de la politique. Il remarque simplement qu’il faut tirer les conclusions de l’erreur de la politique de la ville des années 1980-90. « Ce n’est pas le bâti qui est en cause. Ce n’est pas en détruisant des immeubles que l’on résout les problèmes sociaux, le taux du chômage, les difficultés familiales, les inégalités, ou les discriminations. En détruisant leur immeuble, on dit aux habitants, jeunes ou vieux, votre vie ne vaut rien. On vous change de baraque comme un pion, on vous méprise. Circulez, y a plus rien à voir ».

CHRISTIANE donne un nouvel exemple de ce mépris des décideurs : « Il existe à côté de mon immeuble un terrain de foot et un espace vert. Les associations et les habitants se sont appropriés ce terrain pour en faire un lieu de sport et de pique-nique. Eh bien, sans concertation, sans évaluation, sans discussion, on vient d’apprendre que le terrain allait disparaître pour être remplacé par un immeuble MONNE-DECROIX. Les jeunes, les gamins ont même signé une pétition. Mais, ils n’ont pas été reçu à la mairie ».

Une urbaniste travaillant sur le projet de GPV tente bien de répondre, mais son discours est très technocratique, complexe. Il ne passe pas.

La salle gronde, et de nombreux exemples d’absence de concertation se font jour. On reproche la multiplication de réunions (une trentaine en deux ans), seulement on se réunit non pas pour dialoguer, mais pour entendre la bonne parole. La mairie présente ses projets, mais ne demande pas aux habitants leurs avis. On discute après la décision ! On divise les habitants pour mieux régner, on oppose propriétaires et locataires, jeunes et vieux, etc.

Et puis surtout, il y a tous les habitants qui ne participent jamais, souligne CHRISTINE, « parce qu’ils sont débordés, comme une mère de famille seule avec ses quatre enfants qui travaille à l’autre bout de la ville et passe 4 h par jour dans les bus ! Comment peut-elle trouver le temps de participer à ces rencontres ? Ou alors, il y a aussi la barrière de la langue, la peur de s’exprimer parce qu’on vient d’un pays en guerre, la volonté de passer inaperçu, de se fondre dans le décor. Il y a aussi la barrière de l’éducation civique ou l’impossibilité de parler en public. Toutes ces personnes ne s’expriment pas, jamais. Et on ne vient pas les chercher, jamais. On ne sait pas les écouter ».

A propos du GPV, JACQUES, un autre vieil habitant, demande le statu quo, « Arrêtons de détruire, arrêtons le mépris. Chaque immeuble détruit, c’est un point de repère de moins pour les jeunes, et comme déjà ils n’en ont pas beaucoup... Et puis, la destruction fait perdre de la qualité de vie. Car nos appartements sont grands, spacieux, confortables, et les constructions actuelles sont riquiquis ».

MONIQUE ajoute : « Au lieu de détruire, nous avons besoin d’équipements collectifs et de services publics. Les associations se plaignent de ne pas avoir de salle de réunion ».

FARID surenchérit : « Le GPV a créé de la rage et de la haine, car pour les jeunes du quartier, c’est le moyen de détruire certains immeubles. Comme par hasard ceux qui étaient les lieux de rassemblement de jeunes. C’est une destruction ciblée. On veut faire partir une certaine catégorie de la population ».

FARID explique que « les Maghrébins sont souvent peu éduqués et peu diplômés, alors ils restent en dehors des débats, ils sont difficiles à mobiliser. Souvent, certains parlent à leur place, car ils ont du mal à s’exprimer, mais pour autant, ce qui est dit en leur nom n’est pas ce qu’ils pensent  ».

CHRISTIAN se moque : « Avec les destructions, les autorités ne raisonnent pas en adultes. Ils montrent aux jeunes qu’ils sont plus forts qu’eux en détruisant leur maison ».Plusieurs échos dans la salle sur les propos dangereux de Sarkozy.

Jacques, la cinquantaine, synthétise la pensée de la salle en soulignant que « les habitants se sentent attaqués de toutes parts : par la vie, par la société, par les médias, et par Sarkozy, ministre de la guerre civile. Nous voulons moins de mépris et plus d’actes. Pourquoi avoir supprimé les îlotiers ? Pour une fois, je comprends la colère des jeunes. J’ai presque envie de vous dire que cette fois, moi aussi, je serai dans la rue, car c’est le seul moyen que j’aie pour dénoncer le discours de haine de Sarkozy ».

Un Toulousain de l’intérieur ose poser la question : « Mais, vous venez de dire que vous aimez la Reynerie. Pour nous c’est surprenant : pouvez-vous expliquer cette idée ? »

Dans un aimable brouhaha, diverses réponses s’entrechoquent  : le confort des appartements le dispute à la solidarité entre les habitants, l’esprit village semble fort bien ancré, on se connaît tous, on sait sur qui on peut compter, et puis comme on était tous attaqués, ça renforce notre esprit de clan.

Finalement, que conclure ? Les sentiments de colère et de révolte face au mépris affiché par les autorités sont également partagés par les jeunes et les vieux, les travailleurs et les chômeurs, les nouveaux arrivants et les anciens.

Comment en est-on arrivés là ?

Comment mettre un terme aux exactions dont les premières victimes sont les habitants des quartiers sensibles ?

Plusieurs pistes peuvent être proposées.

Citons Dominique Bertinotti (maire PS du 3e arrondissement)

- Il est de notre responsabilité de reconnaître les limites de notre action lorsque nous étions au pouvoir, pour régler durablement le problème du mal vivre dans les banlieues.

- Il est temps de s’efforcer de récréer un tissu social, associatif et civique dans ces quartiers.

- Il est temps de lutter contre l’ensemble des discriminations (à l’embauche, au logement...) de toute une partie de la population, et de valoriser tout ce que la banlieue apporte à la société.

- Il est temps de faire preuve de courage politique, et de reconnaître que le retour de la paix sociale dans les banlieues aura un coût humain et financier pour l’ensemble de la société. Sommes-nous prêts à payer ce coût ?

- Il importe dans le même temps de rétablir l’ordre, et de ne plus permettre que des personnes voient leurs voitures brûler sous leurs yeux. Le développement de la police de proximité, lancée sous le gouvernement Jospin et démantelée par l’actuel ministre de l’intérieur, doit être remis à l’ordre du jour.

- Il est plus que temps de faire respecter la loi, et que la justice puisse s’appliquer en toute sérénité dans ces quartiers.

Plutôt qu’un Grenelle des banlieues, il faut réunir des États généraux. Car la situation de la France est de plus en plus proche de celle de 1788.


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