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Accueil du site > Actualités > International > Élection présidentielle en Russie : (1) la pratique institutionnelle

Élection présidentielle en Russie : (1) la pratique institutionnelle

Le 2 mars 2008 aura lieu la 5e élection au suffrage universel direct du président de la Fédération de Russie.

Dans ce premier article sont présentés les principaux évènements politiques de la Russie depuis la dissolution de l’URSS, sans prétention ni historique ni d’exhaustivité. Dans un second article, les enjeux de l’élection présidentielle de 2008.


Boris Eltsine (disparu le 23 avril 2007) fut élu au suffrage indirect président de la Fédération de Russie à l’époque où elle n’était encore qu’une des républiques administratives composant l’Union Soviétique (le 12 juin 1990), et cela malgré la volonté de Gorbatchev.


Dichotomie URSS/Russie

Moscou devient alors schizophrène entre deux pouvoirs concurrents : l’Union Soviétique et la Russie qui occupait 76% du territoire de la première.

Eltsine fit adopter par référendum (le 17 mars 1991) le principe de l’élection du président de la Fédération de Russie au scrutin universel direct. Et réussit, malgré l’opposition du pouvoir central soviétique, à se faire élire le 12 juin 1991 (contre l’ancien Premier ministre soviétique Nikolaï Ryjkov).

Cette élection directe du chef de l’État russe (pas tout à fait encore) est une première dans la grande histoire de la Russie. C’est d’elle que découle l’élection du 2 mars 2008.

L’échec du coup d’État du 19 août 1991 issu des "conservateurs" (le vice-président de l’URSS Guennadi Ianaev mis à leur tête) précipita l’effondrement de toutes les institutions soviétiques. Petit à petit, Eltsine prit le contrôle de plus en plus de centres stratégiques (radio, télévision, agences économiques...).


Dissolution de l’URSS

Eltsine parvint finalement à récupérer les derniers pouvoirs régaliens de Gorbatchev (notamment la dissuasion nucléaire et l’Armée Rouge) le 25 décembre 1991 à la suite de la dissolution de l’Union Soviétique (effective dès le 8 décembre 1991).

Il nomma alors un jeune libéral Egor Gaïdar (36 ans) comme Premier ministre de ce nouvel État russe le 15 juin 1992 pour mettre en œuvre une série de privatisations qui va considérablement désorganiser l’État et enrichir les oligarques, notamment Boris Berezovski (Gaïdar aurait été victime, selon ses proches, d’un empoisonnement à Dublin le 24 novembre 2006, quelques semaines après l’empoisonnement mortel d’Alexandre Litvinenko à Londres).

Il resta à la tête du gouvernement jusqu’au 14 décembre 1992, remplacé par Viktor Tchernomyrdine (premier président de Gazprom).


Une grave crise constitutionnelle en 1993

Début 1993, pour asseoir son autorité, Eltsine s’opposa constamment avec la Douma (chambre basse russe), encouragé par le référendum du 25 avril 1993. Ce qui aboutit à la dissolution du Parlement le 21 septembre 1993. Mais les députés s’y opposèrent, destituèrent Eltsine et le remplaçèrent par Alexarndre Routskoï. Rouslan Khasboulatov (le président du Parlement) et Routskoï s’enfermèrent avec leurs députés dans l’édifice de la Douma et Eltsine donna l’assaut le 3 octobre 1993, faisant environ 150 morts.

Voilà un conflit de quasi-guerre civile qui illustra la rivalité de légitimité entre un président élu démocratiquement et des parlementaires élus un peu moins démocratiquement. Une dualité qu’on peut retrouver, bien évidemment plus pacifiquement, dans la Ve République qui donna, finalement, une prime à la légitimité parlementaire (avec les trois cohabitations).

Eltsine interdit les journaux d’opposition pendant la nouvelle campagne électorale et le 12 décembre 1993, Eltsine fut approuvé avec la ratification de sa nouvelle Constitution. Se déroulèrent au même moment les premières élections législatives libres ("libres" tout en n’oubliant pas que les journaux d’opposition étaient interdits !).


La Constitution de 1993

Cette nouvelle Constitution russe est une sorte de mélange de la Constitution des États-Unis et de la Constitution de la Ve République française.

Une présidence à moitié "américaine"

Son article 81 (très "américain") proclame que "le président de la Fédération de Russie est élu pour quatre ans par les citoyens de la Fédération de Russie sur la base du suffrage universel, égal et direct, au scrutin secret."

Et surtout que :

"Une même personne ne peut exercer la fonction de président de la Fédération de Russie plus de deux mandats consécutifs."

Le mode de scrutin présidentiel est cependant très différent de celui en cours aux États-Unis, mais même durée pour le mandat présidentiel et même limitation.

Cet article avait déjà été la cause d’une polémique contre la nouvelle candidature de Boris Eltsine à l’élection présidentielle de 1996. Ayant déjà effectué deux mandats (élus deux fois, en 1991 et en 1992), ce dernier expliquait que la Constitution ne devait s’appliquer qu’à partir de 1993.

C’est évidemment cet article qui empêche Poutine de se représenter une nouvelle fois, et sa décision de ne pas réviser la Constitution pour contourner cet empêchement constitutionnel est louable dans un État de droit, même si d’autres possibilités de contournement existent.

Une présidence à moitié "française"

Son article 83 (très "français") édicte les règles entre l’Exécutif et le Législatif :

"Le président de la Fédération de Russie nomme avec l’accord de la Douma d’État le président du gouvernement de la Fédération de Russie."

Il "a le droit de présider les séances du gouvernement de la Fédération de Russie".

"Sur proposition du président du gouvernement de la Fédération de Russie, [il] nomme aux fonctions de vice-présidents du gouvernement et de ministres fédéraux et met fin à ces fonctions."

Par ailleurs, l’article 84 donne au président de la Fédération de Russie le pouvoir de dissoudre la Douma, d’organiser des référendums, de promulguer les lois, et de s’adresser aux parlementaires par "des messages annuels sur la situation dans le pays et sur les orientations fondamentales de la politique intérieure et extérieure de l’État". (Cette dernière prérogative étant un véritable mélange entre le discours sur l’état de l’Union du président des États-Unis, physiquement présent chaque année au Congrès, et les messages écrits éventuels du président français au Parlement).

Ces deux articles (83 et 84) correspondent assez bien aux articles 8, 9, 10, 11, 12 et 18 de la Constitution française du 4 octobre 1958 (avec souvent les mêmes termes).

Une présidence 100% "russe"

Eltsine avait intégré d’autres pouvoirs dans l’article 83, notamment celui de "former et présider le Conseil de sécurité de la Fédération de Russie" et celui de "former l’administration du président de la Fédération de Russie", le chef de l’administration présidentielle ayant un statut constitutionnel que n’ont pas, par exemple, en France, le secrétaire général de l’Élysée ou la directrice de cabinet du président de la République.

De plus, dans l’article 87, "le président de la Fédération de Russie est le commandant en chef suprême des forces armées de la Fédération de Russie".

L’article 92 définit aussi que c’est la président du gouvernement qui assure éventuellement l’intérim présidentiel contrairement aux États-Unis (c’est le vice-président élu) et à la France (c’est le président du Sénat, Charles de Gaulle aurait voulu d’ailleurs que ce fût le Premier ministre).


La Russie désorganisée d’Eltsine

Pendant les cinq années de sa présidence, Eltsine fut très critiqué, notamment pour le délabrement de l’administration, la corruption, et aussi en raison de son état de santé très fragile (problèmes cardiaques et alcoolisme notamment).

Après plusieurs années de laxisme en Tchétchénie, Eltsine initia la première guerre de Tchétchénie le 11 décembre 1994, afin de faire preuve d’autorité avant les élections. Celle-ci fut laborieuse en raison de la résistance des combattants ennemis bien armés.

Aux élections législatives suivantes (21 décembre 1995), les communistes gagnèrent les élections. Boris Eltsine est quand même réélu le 3 juillet 1996 au second tour face à Guennadi Ziouganov, le leader des communistes russes, qui obtint 40,3%. Le général Alexandre Lebed (qui s’était opposé à la guerre en Tchétchénie) était également candidat et arriva en troisième position au premier tour (environ 15%). Gorbatchev s’était aussi présenté mais obtint un score ridiculement bas.

Eltsine nomma alors Lebed secrétaire du Conseil de sécurité qui conclut la paix en Tchétchénie le 31 août 1996 (accord de Khassiavourt, au Daghestan).

En 1997, un agent du KGB proche d’Anatoli Sobtchak (maire de Saint-Pétersbourg) entra à l’administration présidentielle. Très vite, il prit une influence déterminante en devenant le premier adjoint du chef. Vladimir Poutine commença son ascension au pouvoir.

La longévité de Tchernomyrdine, sa proximité avec l’oligarchie, firent de ce dernier le successeur probable d’Eltsine.

Mais Eltsine le renvoya et nomma Sergueï Kirienko (35 ans) le 23 mars 1998. Cette nomination sembla être un fait du prince, capricieux et instable, hésitant sur le choix de son "dauphin" et dominé par les luttes internes.

Kirienko se trouva confronté à la grave crise financière de l’été 1998. La Douma (dominée par communistes) réclama sa démission, et l’obtint le 23 août 1998.

Eltsine ne put cependant pas imposer le retour de Tchernomyrdine (qui revint tout de même par intérim) et dut se résoudre le 11 septembre 1998 à désigner Evgueni Primakov (alors ministre des Affaires étrangères) réclamé par les députés. Plus "orthodoxe" (venant du KGB), Primakov évoqua même sa volonté de se présenter à la prochaine élection présidentielle.

Primakov fut limogé le 12 mai 1999 et son successeur, Sergueï Stepachine, fut nommé temporairement (le temps de trouver un dauphin ?).


La Russie autoritaire de Poutine

Le 9 août 1999, Vladimir Poutine fut nommé Premier ministre, à quatre mois des élections législatives. Le 1er octobre 1999, il engagea l’armée dans une seconde guerre en Tchétchénie après des attentats meurtriers dont l’origine resta obscure.

Dmitri Medvedev entra alors dans l’administration présidentielle comme adjoint au chef, Alexandre Volochine, en décembre 1999.

Le 31 décembre 1999, convaincu par sa fille Tatiana, Boris Eltsine surprit en annonçant, en même temps que ses vœux pour l’an 2000, sa démission, laissant la place à Poutine et au clan Berezovski.

La question de la succession d’Eltsine fut donc réglée après bien des incertitudes.

Parmi les autres prétendants, étaient également cités les deux jeunes vice-Premiers ministres Boris Nemtsov et Anatoli Tchoubaïs, le chef de la garde rapprochée d’Eltsine, Alexandre Korjakov, ou même l’influent maire de Moscou Youri Loujkov. Et en 2005, Eltsine indiqua qu’il avait voulu finalement désigner Stepachine.

Poutine fut élu le 26 mars 2000 dès le premier tour avec près de 53% contre le communiste Ziouganov (29%) et le libéral Iavlinski (6%).

Le ministre des Finances Mikhaïl Kassianov fut nommé Premier ministre le 7 mai 2000, représentant le clan Eltsine.

Tout en assurant une protection à la famille de Boris Eltsine, Poutine s’éloigna très vite des hommes et de la politique d’Eltsine pendant son premier mandat.

Voulant redorer la grandeur de la Russie, il renforça certains symboles patriotiques tout en employant un langage parfois très ordurier contre les terroristes.

Très vite, il adopta des méthodes très musclées dans la résolution des problèmes (naufrage du Koursk le 12 août 2000, carnage dans la prise d’otages à Moscou le 26 octobre 2002, massacre de Beslan le 1er septembre 2004) et encouragea une dérive autoritaire.


"Déseltsinisation" et "poutinisation" du pouvoir

Poutine remercia le chef de l’administration présidentielle, l’eltsinien Volochine, en 2003, et y nomma Dmitri Medvedev qui était depuis juin 2000 son premier adjoint, récompensé pour avoir dirigé la campagne présidentielle de Poutine. Medvedev fut aussi élu en juin 2000 le président de Gazprom (encore aujourd’hui).

Poutine plaça donc ses propres hommes, issus de l’ex-KGB et de sa période à Saint-Pétersbourg alors que Berezovski pensait pouvoir le contrôler comme il contrôlait Eltsine (il fut disgracié dès juillet 2000).

Poutine réussit à contrôler le milliardaire Roman Abramovitch (proche du clan Eltsine) ainsi qu’Anatoli Tchoubaïs (très impopulaire par ses réformes économiques).

Les élections du 7 décembre 2003 renforcèrent considérablement la mainmise de Poutine. Alors qu’en 1999, la majorité était très hétéroclite, en 2003, le parti de Poutine (Russie Unie) détint presque la majorité absolue (221 sièges sur 450) qu’il assura avec ses alliés. Mieux, Poutine avait les moyens parlementaires de réformer la Constitution (300 voix nécessaires), notamment la limitation à deux mandats consécutifs. Ce qu’il ne fit pas.

En revanche, le 24 février 2004, il limogea tout le gouvernement, éliminant politiquement les derniers eltsiniens et désigna à la tête du nouveau gouvernement Mikhaïl Fradkov le 1er mars 2004. Soit à neuf jours de l’élection présidentielle, ce qui montra à l’évidence son évidente confiance dans les résultats.

En effet, porté par une opinion publique fière de retrouver la présence de la Russie dans les affaires du monde (intégration au G7, soutien à George W. Bush dans sa lutte contre le terrorisme après le 11 septembre 2001, etc.), Poutine fut brillamment réélu au premier tour le 14 mars 2004 avec 71,2%.


Équilibrisme entre les "factions" internes

Fradkov était considéré comme un technocrate apolitique, ce qui permit à Poutine de ne favoriser aucun camp en interne. La désignation de l’économiste Viktor Zoubkov (avec qui Poutine avait travaillé à Saint-Pétersbourg) au même poste le 12 septembre 2007 eut aussi le même but.

Car se dessineraient deux camps fortement opposés chez les "poutiniens", dont l’objectif était la question de la succession de Poutine : les "libéraux pétersbourgeois", issus de ministères économiques, et les "siloviki" ou "tchékistes", issus de ministères régaliens (Sécurité, Intérieur, Défense, FSB).

En termes de personnalités, la rivalité s’esquissa entre deux vice-Premiers ministres : Dmitri Medvedev pour les libéraux et Sergueï Ivanov pour les tchékistes.

Les élections législatives du 2 décembre 2007 furent un triomphe pour Poutine (malgré de nombreuses irrégularités) en confortant sa majorité avec 315 sièges pour son parti Russie Unie (recueillant 64,30%). Poutine, bien que président, y participa comme tête de liste.


Épilogue : que sont-ils devenus aujourd’hui ?

Primakov est président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Russie.

Tchernomyrdine est ambassadeur de Russie en Ukraine.

Stepachine est chef de la Cour des comptes de Russie.

Fradkov est directeur du renseignement extérieur (SVR, ex-premier bureau du KGB).

Tchoubaïs est le patron de RAO EES Russie ("équivalent russe" d’EDF avant la fin du monopole de distribution d’électricité).

Nemtsov est un opposant politique à Poutine mais a refusé de se présenter à l’élection présidentielle, ne la considérant pas loyale.

Berezovski vit en exil à Londres, poursuivi par les justices russe et brésilienne.

Lebed, après s’être fait élire gouverneur de Krasnoïarsk aidé de Berezovski, mourut dans un accident d’hélicoptère le 28 avril 2002 (son élimination ne semblait plus utile à Poutine dans la mesure où Lebed avait perdu sa popularité élevée à l’époque d’Eltsine, ce qui peut conforter la thèse d’un réel accident).

Sobtchak, professeur de droit de Poutine (il participa à la rédaction de la Constitution de 1993) et maire de Saint-Pétersbourg avec pour premier adjoint Poutine, a dû s’exiler en France et en Grande-Bretagne à cause de poursuites judiciaires et est mort malade le 20 février 2000 en exil.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 février 2008)

NB :

Analyse de Russia Intelligence.

Autres sources : articles de presse et Wikipédia.


À suivre dans le second article : l’enjeu de l’élection présidentielle du 2 mars 2008.




Documents joints à cet article

Élection présidentielle en Russie : (1) la pratique institutionnelle Élection présidentielle en Russie : (1) la pratique institutionnelle

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1 réactions à cet article    


  • Traroth Traroth 29 février 2008 15:39

    Intéressant récapitulatif.

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