Il y a incontestablement une ”guerre des monnaies“ dans le monde depuis le début de la crise, je qualifierais ce qui s’est passé jusqu’ici de premier round pendant lequel des initiatives ont été lancées par différents pays pour démontrer, sous plusieurs motifs, la nécessité de remplacer le dollar dans son rôle actuel de monnaie internationale de paiement et de réserve, par une monnaie planétaire nouvelle qui serait, celle-ci, indépendante de tout État national particulier.
Après un rappel de ces initiatives en cours, je décrirai le second round, qui vient à peine de commencer.
1er round : Le lundi 19 novembre 2007, à Singapour, le premier ministre chinois Wen Jiabao, a montré qu’il était de plus en plus difficile de gérer les 1
430 milliards de dollars (970 milliards d’euros) de réserves de change de la Chine, à cause de la devise américaine ( réserve se montant à 2600 milliards de dollars en avril 2010 ). " Nous n’avons jamais connu une pression aussi forte ", a-t-il déclaré, selon l’agence Reuters. " Nous sommes inquiets sur la manière de préserver la valeur de nos réserves ", a-t-il ajouté. La devise étasunienne avait perdu 5% contre le yuan depuis janvier 2007, et malgré toutes les promesses de Washington, il continuait, jour après jour, à perdre des plumes. C’était alors le tout début de la crise des subprimes, qui devait exploser quelques mois plus tard.
Dès cette époque, la Chine se mit à plaider dans chaque forum qu’il était grand temps de remplacer le $ comme monnaie de paiement et de réserve. Rapidement, cette information fit le tour du monde et tous les ministres des Finances de la planète commencèrent à plancher sur le sujet.
Au début, l’Amérique du Sud commença à étudier la création d’une monnaie unique entre les pays du Mercosur.
Puis, les pays du Golfe, voyant leurs revenus baisser sous l’effondrement des prix du pétrole, perte à laquelle s’ajoutait celle provenant de la chute continue du $, commençaient à leur tour à trembler, et se réunirent pour envisager la création d’une monnaie unique du Golfe. Le 9 avril 2008, les États membres du CCG (Conseil de Coopération du Golfe) décidèrent à Doha que le lancement de la monnaie du Golfe aurait lieu le premier janvier 2010. Cette date a été respectée, et la banque est en démarrage depuis le 1er janvier 2010. Au départ du projet, les participants étaient l’Arabie séoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, Qatar et Oman. Depuis, Oman s’est retiré et le Koweït a lié sa monnaie à un panier de devises pour combattre son inflation.
Le Secrétaire général du CCG, Abdelrahmane al-Attiyah, décida que les gouverneurs des banques centrales calculeraient le taux de réévaluation des monnaies indexées jusque-là sur le dollar. La plupart des pays du Golfe ont été contraints de réduire leurs taux d’intérêt dans la foulée des baisses décidées par la Réserve fédérale américaine, pour lutter contre la spéculation sur leurs devises, bien que des hausses de taux soient jugées nécessaires pour juguler l’inflation.
Il est probable que d’autres États pétroliers viendront se joindre à cette nouvelle monnaie dans les années qui viennent, à mesure qu’elle prendra pied sur le marché international. Ses parrains disposent de revenus tellement importants qu’il est peu probable qu’elle échoue. Les clients des états du Golfe devront très rapidement transiger avec cette nouvelle monnaie pour leurs approvisionnements venant du Golfe Persique, éliminant ainsi le dollar pour ce type d’activité, mais les pays fondateurs de la nouvelle banque le conserveront sans doute encore comme monnaie de réserve, compte tenu de leurs importants placements dans la zone dollar.
Un autre projet de zone monétaire pointe à l’horizon à la suite de la création d’une zone de libre échange en novembre 2009 entre les 10 pays membres de l’ASEAN, la Chine, la Corée, le Japon, les Philippines, et l’Australie. Au cours de la réunion plénière, le Premier ministre de l’Australie, Kevin Ruud (photo ci-contre) proposa que la zone de libre échange ainsi créée soit transformée en
zone monétaire. Les participants trouvèrent l’idée intéressante, mais que l’adopter immédiatement risquerait de doubler les difficultés de réalisation du projet initial, et qu’il serait préférable de reprendre ce second projet lorsque le fonctionnement de la zone de libre échange aura été complètement mis en place. Il reste que cette initiative de l’Australie montre à quel point les esprits sont actuellement prêts à de profondes modifications des structures économiques du monde.
À mesure qu’autour du $ surgissaient des initiatives ayant pour but de lui ôter son statut de monnaie de réserve, les États-Unis comprirent que la menace de la Chine n’était pas vaine. Avant la réunion fondatrice des quinze pays du Pacifique Est de fin 2009, ils avaient traité ces initiatives par le mépris, argüant du fait que le $ était irremplaçable, et persuadés que leur hégémonie ne pouvait vaciller sur sa base.
Mais peu à peu la place du dollar comme monnaie de transaction et de réserve internationales s’effritait, car en parallèle, devant l’instabilité du cours du dollar, certaines entreprises se mirent à s’entendre entre clients d’un pays et fournisseurs d’un autre, pour commercer dans une monnaie plus stable, euro, livre, franc suisse, etc. Et alors qu’en 2002, le dollar entrait encore dans les paiements internationaux à hauteur de 72%, il ne dépassait déjà plus le taux de 64% en septembre 2007. La perte était déjà considérable, mais elle montre surtout une tendance de fond qui ne demande qu’à s’étendre, et qui le fera très certainement à petits pas. De nouvelles habitudes de paiement international s’installent peu à peu dans le monde en ce moment, au détriment du $.
Or, la place hégémonique du $ dans le monde était et est toujours essentielle pour l’économie des É‑U depuis le traité de 1944 signé à Bretton Woods, car plus de la moitié de son encours en billets est en fait détenu hors de son pays d’origine, outre le fait qu’en servant de monnaie internationale et de monnaie de référence, il procure au moins trois avantages déterminants aux É‑U, par rapport à toutes les autres monnaies, c’est-à-dire en fait à tous les autres États de la planète, qui subissent durement cette hégémonie.
Le premier de ces avantages est la possibilité d’émettre autant de monnaie qu’ils le décident, en cas de besoin, sans craindre d’effets de rétorsion de l’extérieur, tout excès d’émission étant tôt ou tard absorbé par les réserves de tous les autres pays du monde.
Le second est de pouvoir jouir de taux d’intérêt inférieurs pour leur économie en raison de ce privilège d’émission, sans craindre des effets à la baisse du cours du $ puisqu’il est la monnaie de référence. Il leur est donc possible de prêter à leur économie autant que de besoin ( c’est ce qu’ils n’ont pas arrêté de faire, à taux pratiquement nul, depuis le début de la crise ).
Le troisième est que l’ensemble des réserves en dollars détenues par toutes les banques centrales sont des dollars gelés, correspondant aux variations de la croissance internationale. La crainte des É‑U est forte que ces réserves ne se mettent à fondre progressivement si la crise amenait ces banques centrales à les vendre, pour racheter leur propre monnaie par exemple. Cela ferait sur les É‑U le même effet que la fonte de la banquise sur le climat de la planète.
C’est la raison pour laquelle ils tentent éperdument de relancer chez eux la croissance par tous les moyens, alors que c’est précisément cette croissance excessive qui a précipité la planète dans la crise. Mais ils n’en ont cure, car ils pensent que, par ce procédé, ils sortiront plus vite de la crise que les Européens et sauveront ainsi leur devise. On peut craindre qu’ils ne perdent alors, et la reprise, et leur monnaie, en raison du fait que leurs citoyens préfèrent continuer pour le moment à se désendetter plutôt qu’à consommer.
Et leur stratégie risque de tourner court, car ce pouvoir n’a aucune prise sur les États qui n’ont pas eu besoin de soutien en dollars des É-U ni du FMI au cours de cette crise. Et ça, c’est ce que l’on pourra sans doute appeler le bout du rouleau pour le dollar : que l’on puisse se passer de lui.
Il est donc crucial pour les É-U de freiner l’économie chinoise, qui a surfé sur la crise avec une rapidité et une efficacité auxquelles ils ne s’attendaient pas du tout. Ils ont alors pensé qu’ils y parviendraient en utilisant une stratégie monétaire, puisque c’est un axe qu’ils ont toujours utilisé lorsqu’ils avaient décidé d’amener un état à passer par ses exigences, politiques ou autres.
Mais les temps ont changé. Ce qui était n’est plus, et je crains pour les É-U qu’ils n’aient à passer cette fois par les fourches caudines d’autres pays.
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C’est alors que les États‑Unis ont lancé le deuxième round :
Il a vraiment commencé en février 2010, lorsque le président Obama, délivrant son discours sur l’État de l’Union devant le Congrès des États-Unis, lui a lancé d’une voix forte qu’il n’accepterait jamais que les États-Unis perdent la première position dans le monde.
C’était en fait une déclaration de guerre à la Chine, sans tambour ni trompette. Quelles que soient les mesures que le gouvernement chinois prendra à l’égard du cours du Yuan, que celui-ci décide ou non de le hausser par rapport au dollar, il ne sera pas confié au marché. C’est une certitude, car il est exclu pour la Chine d’ouvrir l’accès à leur devise aux spéculateurs occidentaux. Et il aura raison, comme je l’explique à la fin de cet article.
Mais de toutes les manières, il est tout aussi certain que l’administration étasunienne va utiliser tous les moyens possibles pour freiner l’ascension de la Chine. Devant sa très rapide sortie de la récession, et l’allure actuelle de sa croissance que les prévisionnistes voient à 13% en 2010, les Étasuniens ne peuvent plus penser que ce pays est en voie de s’écraser à court terme, comme ils l’imaginaient ou le prévoyaient jusqu’ici.
Plus question de penser que son système bancaire n’est pas solide, car on en a fait la prévision depuis deux décennies, et il ne s’est rien passé. On avait dit que les Chinois se contentaient de copier les produits occidentaux, mais ils ont créé des designers en très grand nombre, qui, un jour prochain, dicteront la mode à la planète. On les croyait très loin de rivaliser avec les Étasuniens dans
les différents domaines de la recherche, mais en 15 ans, le nombre de leurs chercheurs a rejoint celui des É-U. Parmi eux d’assez nombreux chercheurs chinois qui s’étaient expatriés aux É-U sont revenus dans leur pays après 15 ou 20 ans passés en Amérique.
Les Chinois ont pénétré des secteurs où ils ne se trouvaient pas encore il y a quelques années. Dans son numéro 1014 du 14 avril sur la Chine ( Un monde chinois ), Le Courrier International indique la liste suivante de ces domaines : composites, céramiques, polymères, cristallographie, ingénierie métallurgique, recherche agronomique, biologie moléculaire, génétique. L’article du Courrier souligne le fait que la Chine est en train de passer d’une économie industrielle à une économie du savoir, fondée sur les travaux de ses propres instituts de recherche.
On va donc certainement assister à une course poursuite intense de la part de l’administration d’Obama pour rester en tête, mais avec un taux de croissance entre 1 et 2% en 2010 si tout va bien, et 13% prévus pour la Chine, cela sera très difficile pour Washington. Les coups seront sans doute très durs de part et d’autre, dans tous les domaines.
Je ne crois cependant pas à une confrontation militaire, car les É-U y dépenseraient leurs dernières forces. C’est sur les terrains économiques et diplomatiques que cela se passera. Les deux camps ne vont pas tarder à compter leurs alliés et leurs forces.
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À partir de son discours sur l’État de l’Union de février, Barak Obama n’eut de cesse d’accuser la Chine de manipuler sa monnaie, de telle sorte que les variations du yuan aillent toujours dans le même sens que le dollar. La méthode était extrêmement simple. Il suffisait que le yuan ait toujours, par rapport au $, un cours autour de 6,826 yuan pour un dollar. Et c’est le cas depuis environ deux ans. C’est en effet troublant !
L’homme de la rue, pas forcément versé dans les machinations des politiciens, pense immédiatement que le yuan est manipulé pour augmenter les exportations du pays, et évidemment tous les politiciens affirment haut et fort qu’il en est bien ainsi, sans jamais avancer le moindre raisonnement réellement économique pour le prouver. Cette fixité du yuan par rapport au $ prouve seulement qu’elle est incontestablement voulue par les autorités chinoises, mais ne prouve en rien que le Yuan est sous-évalué.
Bien entendu, ce n’est pas la bonne réponse, et ceci pour une raison évidente. Les Chinois, qui seraient bien plus subtils que ceux qu’on appelle « les Américains » parce que ça leur fait plaisir, avaient évidemment une tout autre idée derrière la tête quand ils ont décidé d’appliquer désormais un rapport fixe entre le yuan et le $, car si ça avait été le cas, à l’évidence ils auraient doté leur devise d’un ascenseur fou allant dans tous les sens, avec des cycles de hausse, d’autres de baisse, de manière à donner le tournis aux “hurleurs” de Wall street.
Or, pratiquer un cours fixe, ça ne peut être rien d’autre qu’une provocation délibérée à l’égard de Washington, portant un sens du genre, “viens par ici qu’on s’explique dans la ruelle”. Et je ne doute pas une seule seconde que les Washingtoniens aient compris la même chose que moi. Ou alors, ils sont plus épais que je ne le pensais.
Mais c’est un peu court ! Le message n’est tout de même pas suffisant pour savoir comment y répondre. Il faut pouvoir lire entre les lignes ! Mais les Étasuniens ont sans doute pensé que l’occasion était trop belle, et qu’il fallait en profiter pour “planter” les Chinois et reprendre la main, sur le terrain même où ils les ont attaqués, le “$”. Il leur a peut‑être semblé que les Chinois avaient fait là une sacrée bourde. Des bourdes, les Chinois ? Allons donc !
Les États-Unis, Président en tête, se sont alors mis à exploser de rage en s’exclamant dans tous les coins de la planète que la Chine manipulait sa devise à la baisse pour propager plus facilement sa ”came de merde” chez eux, et qu’évidemment c’était pour ça qu’il y avait du chômage dans leur pays, qu’ils n’arrivaient plus à vendre leurs maisons, que leurs banques avaient fait faillite, et tout ça. Quoi que les Chinois aient réellement pensé, au moins ça permettait au gouvernement étasunien de soutenir que la crise, ça n’était de la faute de personne au pays, ni des banques, ni de la Fed, ni des traders, ni des Républicains, ni des Démocrates, ni de Bernanke, même pas de Greenspan, ni de Geithnert, et bien sûr, pas non plus celle du Président. C’était à l’évidence de la faute des Chinois, puisqu’ils venaient eux-mêmes imprudemment de dévoiler leur machination.
Donc, “haro sur le baudet” comme l’écrivit le bon La Fontaine, il importe que les Chinois malsains réévaluent leur yuan de m...., le plus rapidement possible.
Et comme si la planète occidentale était devenue une sorte de caverne de Platon, la même antienne se répercuta sur les parois virtuelles de cette grotte, en de multiples échos sortis de la bouche des meilleurs politiciens de la planète. “Réévaluez, manipulateurs !”
Comme chacun le sait, les gouvernants chinois se répandirent à leur tour en dénégations multiples, affirmant également haut et fort, que c’était à eux qu’il appartenait de fixer le taux de change de leur monnaie, et qu’ils ne cèderaient à aucune pression.
Le Président Obama demanda alors à la commission ad hoc du Congrès, de faire un rapport dont l’objet serait d’établir les preuves de la manipulation du yuan par le fauteur de troubles. Ce rapport devait être présenté à la Maison Blanche le 15 avril.
( entre nous, ça ressemble un peu à la demande de Bush à la CIA de lui fournir un rapport prouvant que Saddam Hussein possédait des armes de dissuasion massive – c’est une pratique habituelle de l’Oncle Sam )
Le Congrès devait remettre ce rapport le 15 avril. Mais finalement, quelques jours avant l’échéance, le Trésor américain ajournait sa remise, car le Président devait recevoir son homologue chinois, Hu Jintao, dans le courant
du mois d’avril, et que… il valait mieux le lui envoyer après son retour pour que leurs entretiens restent civilisés. Ça, c’est l’explication officielle. Mais comme je me méfie toujours un peu de ce qui parait normal, j’ai une autre explication : il n’y a peut-être rien dans le dossier du Congrès… qui permette d’affirmer que les Chinois manipulent leur monnaie !
J’ai fait une observation qui me mène à cette conclusion, et lui donne du sens. Tout le monde aura pu la faire aussi. Voilà. J’ai relevé les taux de sous-évaluation vraisemblables avancés par une quinzaine d’économistes, politiciens, journalistes (économiques) et autres fauves médiatiques. Les chiffres que j’ai relevés vont de 15% à 40%, en passant par 25% et 30%. J’ai même trouvé un économiste, dont j’ai perdu le nom, qui a conclu de ses calculs qu’en réalité le yuan était surévalué de 1% ! Et juste avant d’écrire le présent texte, je suis tombé sur un article du Monde du 17 avril citant Michel Aglietta, qui n’est certes pas le moindre des économistes français : « Le yuan est certes sous-évalué en termes réels, mais corrigé du niveau de vie, cette sous-évaluation est bien plus faible qu’on veut bien le dire, de l’ordre de 10%. » Comme quoi il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat, même chinois !
Devant ces résultats disparates, Martin Wolf, le chroniqueur économique régulier du Monde, avait écrit le 13 avril dans le quotidien français, que si “les estimations de l’étendue de la sous-évaluation varient énormément : ... Cela résulte en partie du recours à des méthodologies différentes”.
Admirez ! Voilà qu’en économie, si vous changez de méthode vous changez le résultat, et cela jusqu’à des différences de 30% ! Le Monde est dans de beaux draps avec Martin Wolf. Heureusement qu’il est britannique. Ça l’excuse. Soyons tolérants. C’est l’époque.
Il y a une autre manière de savoir si l’accusation de sous-évaluation du yuan est fondée. C’est en quittant le domaine des chiffres, toujours contestables, et en se fondant sur le seul bon sens. Sous-évaluer sa monnaie signifie dans une certaine mesure vendre au-dessous de son prix de revient, et par conséquent subir une perte ( en faisant du dumping ). Or, dans ce même article, Martin Wolf nous dit : “Après juillet 2008, date à laquelle l’appréciation progressive ( entamée trois ans plus tôt ) du yuan par rapport au dollar fut stoppée, les réserves chinoises se sont accrues de 600 milliards de dollars”. C’est pas mal, un bénéfice de 600 milliards de dollars en 20 moispour un pays qui fait du dumping en sous-évaluant sa monnaie. Mais Martin Wolf surfe sur cette information, qu’il nous fournit pourtant lui-même, et poursuit : Cela dit, la Chine manipule-t-elle la monnaie ? Oui. Pékin est intervenu à une échelle gigantesque pour maintenir son taux de change à un niveau faible. ( en fait, dans son article cette citation précède de quelques lignes ma citation précédente, mais ça ne change rien à l’affaire ).
Pour ma part, j’ai une autre interprétation du problème soulevé. Je pense tout simplement qu’il est impossible de calculer le résultat de ce concept (sous ou surévaluation), et que si on ne le peut pas, c’est tout simplement parce que ce concept ne repose lui-même sur rien de tangible économiquement parlant. Pourquoi ? Parce que le cours d’une monnaie dépend des données d’équilibre interne d’une économie donnée, et que c’est même la mission de la monnaie d’y veiller, en ayant un cours qui protège, établisse ou rétablisse l’équilibre interne du pays. Bien sûr, elle doit le faire en tenant compte de l’environnement monétaire international, mais sous cette réserve, elle n’a nullement à se préoccuper des autres monnaies du monde.
Rappelons-nous la formule attribuée au secrétaire américain au Trésor,
John Connally , pendant les réunions de Washington en 1971, répondant aux Européens qui contestaient les décisions monétaires des É‑U : “ The dollar is our currency and your problem ” (Le dollar est notre devise et votre problème), ce qui voulait très clairement dire, “ nous gérerons notre monnaie comme nous l’entendons ; à vous de vous débrouilliez avec les conséquences qui peuvent en résulter pour vous ”. Hé bien, Hu Jintao, le président de la Chine, pourrait rendre la pareille aux É‑U en disant à Obama : “Le yuan est notre monnaie et votre problème”.
Par conséquent, de l’avis même de cet américain de haut vol, John Connally, c’est au pays considéré qu’il appartient de fixer les cours de sa devise, et non de la livrer à la meute des boursicoteurs et des spéculateurs sur un marché des changes, comme si la monnaie était une marchandise comme une autre, ce qui est faux, et surtout irréaliste.
C’est en effet faire une double spéculation : spéculer à la fois sur l’action que l’on désire acheter et sur la monnaie avec laquelle on va l’acheter. Absurde !
Ce sont les théoriciens de la mondialisation qui ont voulu et réussi à marchandiser les monnaies en les faisant évaluer sur des marchés des changes, faisant ainsi des devises de simples actifs qu’on peut acheter et vendre, comme n’importe quelle autre marchandise.
Avant ce nivèlement des outils économiques, il y a à peu près trente ans, les cours des devises étaient fixés par le gouvernement de chaque pays, en fonction de l’équilibre économique INTERNE du pays. Et ils restaient fixes, tant que cet équilibre restait, lui aussi, stable. Le grand avantage était que les entreprises n’avaient pas besoin, comme aujourd’hui, de se couvrir en devises lorsque les marchés conclus portaient sur des périodes assez longues.
Les modifications de cours se faisaient en général en concertation avec les présidents des autres banques centrales, soit en dévaluant, soit en réévaluant les cours de la devise. Généralement, d’autres États profitaient de l’occasion pour rectifier leurs propres devises, le même jour.
Beaucoup d’économistes d’aujourd’hui n’ont pas connu cette époque ou l’ont oubliée.
Mais, revenons à la situation actuelle.
***
La Chine fonctionne donc selon cet ancien système, très supérieur à celui que nous vivons aujourd’hui. Il est possible que son engagement à l’OMC l’oblige à laisser flotter sa monnaie. Mais je ne l’ai pas vérifié, et je n’en suis pas du tout certain. Personnellement, je pense que cette exigence serait de toutes les façons une erreur.
En effet, pour un État, laisser flotter sa monnaie ce serait la laisser aller à la dérive de la spéculation. À cet égard, je rappellerais la célèbre spéculation opérée sur la livre sterling par George Soros, que tout le monde connait bien :
Le
16 septembre 1992 (mercredi noir), George Soros
vendit à découvert 10 milliards de livres sterling, pariant donc sur la baisse de la monnaie britannique. Par cette opération, il provoqua une telle pression sur la livre que la
Banque d’Angleterre sortit sa devise du Système Monétaire Européen et eut bien du mal à résoudre cette situation.
Voilà ce qui peut arriver dans le système actuel, où les monnaies flottent, à la merci de tout spéculateur bien avisé. Il est intolérable qu’un simple individu puisse “escroquer” un État, grand ou petit, en ayant comme seul objectif de s’en mettre plein les poches. Ce fut d’ailleurs le cas au cours de ces dernières semaines dans la crise financière grecque. Goldman Sachs, la plus grosse banque des É‑U, a joué les obligations grecques à la baisse, en supposant que l‘euro allait s’effondrer. La BCE a demandé à la Fed d’intervenir, ce qu’elle a probablement fait, car les attaques se sont arrêtées ( comme par hasard, Goldman Sachs vient d’être mis en accusation par la SEC pour une fraude de un milliard de dollars ).
Il est inadmissible qu’une opération aussi malsaine soit possible. Cela découle d’un vice profond des théories mondialistes dans le domaine économique. Personnellement, je trouve donc tout à fait acceptable la position de la Chine en la matière, c’est-à-dire ne pas laisser flotter librement sa monnaie.
Une autre anomalie, issue elle aussi des théories économiques mondialistes est à déplorer, dans un champ cousin de celui de la monnaie. Cette anomalie porte sur la protection des économies nationales.
En effet, la position de la Chine peut parfaitement altérer l’économie d’États qui transigent avec elle, dans la mesure où le protectionnisme est interdit par l’OMC, sinon en engageant des procédures interminables auprès de cet organisme. Ici encore la mondialisation, telle qu’elle a été conçue, aboutit à l’incapacité des États d’agir sur la structure économique de leur propre pays pour la protéger, sinon en rusant et de manière détournée.
En l’occurrence, les États-Unis ont violé cette règle en appliquant des droits d’entrée aux pneus et à d’autres objets en provenance de Chine. Elle n’aurait pas dû le faire avant d’en avoir reçu l’accord de l’OMC. Finalement, la position chinoise ne serait-elle pas “la réponse du Prince à la Princesse” ?
Je voudrais conclure sur une hypothèse. Admettons que pour calmer le jeu, la Chine accepte de remonter le yuan de 40%. Alors, toutes ses statistiques intérieures, calculées évidemment en yuan, se trouveraient majorées de la réévaluation du yuan lorsqu’elles seraient converties en dollars pour leur diffusion planétaire, comme c’est la mode puisque le dollar est devenu l’unité de compte des statistiques mondiales. Le PIB de la Chine exprimé en dollars serait alors réévalué lui aussi de 40%. De telle sorte que son PIB qui est équivalent aujourd’hui à la moitié de celui des É‑U serait alors à peu près égal aux trois quarts de celui-ci. Je ne pense pas qu’Obama apprécierait beaucoup que la Chine se soit rapprochée aussi vite de la première place dans le monde, en matière de Produit intérieur brut.
Je vous laisse plancher sur cette hypothèse et ses conséquences.
Il reste que les raisons de ce que j’appelais “la provocation de la Chine” au début de cet article ne sont pas clarifiées pour autant. J’ai le sentiment que nous devrions en savoir davantage dans les semaines qui viennent à ce sujet. Je ne formule cependant aucune hypothèse là-dessus. Pour le moment, je suis dans le noir.
Cet article répond aux règles de la nouvelle orthographe