Le plan Harper
Ce n’est un secret pour personne, il va y avoir
des élections bientôt au Canada. Pour une fois, Québec et Ottawa vont devoir
s’ajuster pour que les électeurs de la belle province n’aient pas à voter en même
temps pour les deux paliers de gouvernement. C’est aussi dans la belle province
que devra se jouer l’issue du futur scrutin. Si au sortir des élections, le
Canada se retrouve avec un gouvernement majoritaire, il le devra en grande partie
à une rafle des sièges du Québec. Or, en date d’aujourd’hui (et
probablement du 1er Janvier 2007), rien n’est fait au Québec. Si le
Bloc fait figure de poisson dans la mer dans la belle province, il devra se
méfier des deux principaux partis fédéralistes. Il y a Harper et les
conservateurs, qui ont surpris tout le monde en arrachant quelques sièges ; il
faudra compter sur le changement que vit le Parti libéral du Canada depuis
l’invitation surprise de Stéphane Dion.
Stéphane Dion n’est pas un inconnu en
politique, loin de là. S’il est souvent perçu comme un intellectuel et
professeur d’université (ce qui n’est que trop vrai), la campagne qu’il a menée
en moins d’un an dans la course à la chefferie permet de constater qu’il a
assimilé quelques rudiments du jeu politique. Son alliance avec Kennedy le jour
même du scrutin lui a donné le tremplin nécessaire pour un avenir politique garanti. Il a
su faire ce qu’un politicien aguerri et expérimenté comme Bob Rae n’a pas su
faire. Et c’est le même constat pour Ignatieff. Leader pendant tout le
processus, il a perdu la bataille alors qu’il avait autour de lui une machine
politique rodée. Bref, il faudra donc compter sur Stéphane Dion pour faire une
excellente campagne au Québec, une fois le moment venu. Même si bien des Québécois
ne lui pardonnent peut-être jamais sa clarté référendaire, son passage au
ministère de l’Environnement ainsi que la Conférence de Montréal, qu’il a pilotée
tout seul, resteront à jamais comme de grands moments politiques de l’ère
Martin. Si sur le fond, il n’y a peut-être pas eu de résultat concret comme
à Kyoto, il faut reconnaître que la Conférence de Montréal a permis de
circonscrire le futur cadre de l’après-Kyoto et surtout de ne pas complètement
mettre sur le banc des accusés
Mais il faudra plus qu’une conférence de
Montréal pour convaincre les Québécois de faire le choix des libéraux de
Stéphane Dion. Le scandale des commandites, bien qu’aujourd’hui faisant partie
du passé et des archives, retrouvera une place de choix dans les discussions et
débats de campagne. Il faudra aussi que le nouveau chef du PLC arrive à créer
dans son parti et surtout dans la région de Montréal une ambiance de familia, où
tout le monde se sente chez soi. Les Frula, Cauchon, Coderre et compagnie
doivent "revenir" au plus vite dans l’arène politique de la province, mais aussi se sentir
des éléments-clés du projet et du plan B de Dion. Pour gagner, il faudra réunir la grande famille traditionnelle,qui d’une seule voix pourra
alors faire tomber toutes les circonscriptions perdues. Il ne faudra pas sous-estimer
le Bloc québécois qui jouit d’une période de confiance et d’amour avec le
public et les électeurs, ni le parti conservateur de Stephen Harper.
Harper sait ce qu’il doit au Québec et ce que
le Québec peut faire pour lui. S’il maîtrise les cartes qu’il a en main, les
portes d’un gouvernement majoritaire peuvent s’ouvrir à lui, comme au temps de
son mentor d’aujourd’hui Brian Mulroney. Deux dossiers surtout font que
Harper risque de perdre le Québec (mais pas nécessairement le Canada). Il y a
avant tout le dossier de l’Afghanistan et la pseudo-guerre/conflit contre les
talibans. C’est une mission compliquée avec des enjeux compliqués, une
situation sur le terrain explosive et qui ne peut qu’empirer, et des soutiens
internationaux pas toujours suffisants. Il ne fait pas (ou plus) bon d’être
aujourd’hui du même avis que Washington, en tout cas quand il s’agit de
stratégies géopolitiques internationales. De plus, la récente victoire des
démocrates au Parlement risque de changer bien des choses dans la vision et la
politique américaines. Sur le fond, presque rien ne changera, car les dossiers
(Irak, Iran, Corée ou Proche-Orient) sont bien trop compliqués pour une refonte
compète des solutions et des possibilités. Mais sur la forme, le ton parfois
belliqueux et à la limite condescendant de l’ère Rumsfeld va céder la place au
charme naturel américain. On aura plutôt une main de fer dans un gant de velours. Si on
applique les mêmes procédures et les mêmes stratégies, on les annoncera avec
plus de précaution et de diplomatie. Et dans ce sens, l’Afghanistan, malgré tout les côté négatifs,
ne pourra pas faire perdre Harper.
En revanche sur l’environnement, il a joué avec le feu au cours de cette première année, et
Mme Ambrose, malgré toute la volonté dont elle a dû faire preuve, n’a pas su calmer
les attentes de l’opinion publique canadienne d’une part, ni celles des pays et
organisations internationales d’autre part. Moralité, l’image du Canada a été
plusieurs fois cette année écorchée et entachée. Le
plus beau pays au monde est quelque peu perçu par certains aujourd’hui comme
un pays qui évolue à l’opposé de ce que devrait être un pays moderne et
prospère. Les Québécois qui croient profondément en Kyoto et dans la lutte contre
le changement climatique ne lui pardonneront pas ses « écarts de conduite ».
Harper n’a qu’une seule solution aujourd’hui, s’il veut revenir à de bons sentiments
avec les Québécois. S’il veut au moins retrouver les sièges qu’il avait au soir
du 24 janvier 2006, il faut qu’il fasse plus que Kyoto. Pour ne pas dire qu’il soutient maintenant Kyoto (l’opinion n’aimant pas trop les girouettes), il est
obligé de trouver un autre plan écologique qui irait
presque deux fois plus loin que Kyoto. Il devra trouver une idée qui ne lui fasse pas non
plus perdre l’Alberta. (Une séparation est si vite arrivée...). Les Québécois, comme
toute population, ont une mémoire courte. Quelques promesses, on efface les
« maladresses » du passé, on redonne des terres aux familles de Mirabel, un
chèque de 1200$, un Québécois à l’Unesco, un fédéralisme d’ouverture et le tour
est joué. Bon, il faudra bien régler la question de l’équilibre fiscal (et non
du déséquilibre...), mais entre un candidat qui en nie la réalité, et un autre
qui règle le problème, même si ce n’est pas assez, le choix est vite fait.
Bref, l’année 2007 risque d’être riche en
effervescence et en surprises. Les électeurs auront le plaisir de se donner au
jeu par excellence de toute démocratie qui se respecte. Espérons juste que les
partis politiques s’arrangeront cette fois pour avoir la majorité au Parlement,
et qu’enfin celui qui aura été choisi pourra faire ce qu’il veut, et
comme bon lui semblera, au risque de se faire déjuger aux prochaines élections.
Quant à Harper, souhaitons-lui, pour 2007, de continuer à augmenter de façon
aussi significative son niveau de français. Il en aura besoin, et même plus que besoin
dans les débats à venir.
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