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Russie : trois mois de contestation, et après ?

Le 04 décembre se tenaient en Russie des élections législatives. "Russie Unie", parti de Vladimir Poutine, avait orchestrée de larges fraudes, suite auxquelles des contestations sans précédent depuis la fin de l’URSS ont alors commencé. Depuis, on a appris que « Russie Unie » aurait vraisemblablement fait non pas 50% aux législatives, mais 30%. Ce qui explique la motivation des opposants, et leur ténacité à exiger de nouvelles élections.

Certains observateurs parlaient déjà d'un printemps arabe Russe ?. On a compris dès lors que même si les contestations sont effectivement inédites, les mouvements de l’opposition n’iraient pas jusqu’à une révolution comme celles que les pays arabes ont connu en 2011, du moins pas tout de suite. Que s’est-il passé depuis ?

Après le grand rassemblement « anti-Poutine » du 10 décembre, l’opposition remet le couvert le 24, malgré le froid polaire propre aux hivers russes, et 120 000 manifestants descendent dans les rues de Moscou, ainsi que dans d’autres villes en Russie. Ces chiffres, comme les suivants que j’avancerai, sont bien sur à relativiser, puisque les écarts entre ceux annoncés par l’opposition, et ceux du Kremlin, varient parfois de 100 000 personnes. Le 04 février, malgré les consignes de l’Eglise orthodoxe qui conseille aux fidèles de rester chez eux et de ne pas braver le froid, ce sont à nouveau 120 000 russes qui manifestent à Moscou. Le 25 février, les opposants forment une chaine humaine le long d’un périphérique de Moscou, d’environs 16 kilomètres, avec comme slogan : « Ne laissons pas Poutine entrer au Kremlin ». Puis le 28 février, c’est à St-Petersburg que des dizaines de milliers de russes en colère manifestent. L’opposition a donc réussi à tenir sans que le mouvement ne s’essouffle, avec comme autres actions symboliques ces trois derniers mois : l’affichage d’une banderole en face du Kremlin, portant la mention « Poutine, pars ! » et une caricature du premier ministre, des chansons anti-Poutine, une course automobile organisée à son déshonneur … L’opposition profite que 50 millions de russes soient connectés à internet pour se faire entendre.

Mais la campagne à la présidentielle du 04 mars a commencé, et Poutine entend bien rappeler sa popularité. Ainsi, en parallèle de ces manifestations contestataires, ont lieu des rassemblements pro-Poutine. Le 04 février, 140 000 personnes se déplacent pour soutenir le premier ministre. Le 23 février, 130 000 spectateurs remplissent le stade Loujniki de Moscou, où le candidat Poutine fait une apparition et un rapide discours sur la « toute puissante Russie ». Il faut savoir que Poutine jouie d’une bonne cote de réputation en Russie, qu’il n’a de cesse de cultiver en employant des méthodes assez propagandiste.

La Présidentielle en Russie

Rentrer en politique en Russie n’est pas chose facile. Les premières entraves apparaissent dès la création d’un parti. A son arrivée au Kremlin en 2000, Poutine a rendu cette démarche tarabiscotée, de telle façon que le Kremlin a à donner son aval pour qu’un parti puisse voir le jour.

Mais quand bien même un candidat potentiel réussi à créer son parti, briguer le mandat suprême de la présidence fédérale est encore plus complexe. Il faut que son parti soit représenté à la Douma (assemblée). Et pour être représenté, il faut obtenir plus de 7 % des suffrages aux législatives. Cette manœuvre étouffe véritablement tout éventuel petit parti. Toutefois, si le candidat potentiel n’est pas représenté à la Douma, il peut espérer se présenter s’il recueille 2.000.000 parrainages d’électeurs. Mais la règle se complique encore, il faut que ces 2.000.000 de signatures soient recueillies en janvier précédant l’élection, qu’elles proviennent des 83 régions de la fédération russe, avec comme quota 50.000 parrainages par région, et qu’il n’y ait pas plus de 5% de signatures excédant ces 2 millions. Ces parrainages sont ensuite déposés à la Commission électorale centrale. La candidature est validée si cette même commission ne trouve pas plus de 5 % d’erreur dans les feuillets de parrainages. Et la moindre petite erreur peut disqualifier un parrainage : rature, abréviation et autres. Pour parler clairement, le Kremlin décide si telle candidature sera acceptée ou non.

Election du 04/03/2012

Dans ce contexte de « démocratie dirigée », on peut supposer que les quatre candidats qui ont concouru face à Poutine sont tolérés, et que leur présence est vraisemblablement due au besoin de prouver au monde entier que la Russie est pluraliste.

Les quatre « privilégiés » ayant pu concourir étaient les suivants :

- Guennadi Ziouganov : Le leader du KPRF (parti communiste) se présente pour la 5ème fois consécutive depuis la mise en place de la constitution de 1993. Après de bons scores (notamment en 1996 : 40 %), sa cote de popularité semble aujourd’hui s’effriter. Il prône une « restalinisation » et en appelle aux nostalgiques de l’URSS. Il avait obtenu 18 % des suffrages en 2008.

- Sergueï Mironov : Ancien ami de Poutine, le leader du parti « Russie Juste » se présente en opposant tenace. Son parti, « Russie Juste », avait obtenu environs 13 % des suffrages aux derniers législatives.

- Vladimir Jirinovski : Représentant du Parti Libéral Démocrate. Se veut conservateur, nationaliste et radical. Son slogan des législatives de décembre (où il fait environs 12 % des voix) était « Pour les Russes ». Une brève du journal Arménia Today traduite par le Courrier International, en date du 23 février, dans laquelle il exprime ses positions idéologiques et son point de vue sur le moyen orient, résume l’état d’esprit du personnage : « Une fois que la Syrie sera broyée, il y aura une frappe contre l'Iran cet été. L'Azerbaïdjan en profitera pour récupérer le Haut-Karabakh. L'Arménie ripostera et la Turquie, s'engagera aux cotés de l'Azerbaïdjan. C'est ainsi que notre pays [la Russie] pourrait être impliquée dans une guerre à l'été 2012 ».

- Mikhaïl Prokhorov : Milliardaire, sans étiquette. Le magazine Forbes le classe 39eme fortune mondiale avec 101,1 milliards d’euros, et 3eme plus grosse fortune russe. Sa candidature apparait instrumentalisée par Poutine, qui chercherait à faire croire à l’opposition que Prokhorov est là pour les représenter.

Une présentation trop exhaustive de ces quatre candidats aurait été superflue, tant leur présence à ce scrutin paraissait guignolesque. A noter également la non-candidature de Grigori Iavlinski, leader du social-démocrate Iabloko, qui avait déposé 2.132.000 parrainages (son parti n’est pas représenté à la Douma), mais dont la candidature a été invalidée par la Commission électorale centrale.

Quant à Poutine, sa candidature n’a jamais fait de réel doute. Au congrès de « Russie Unie » de septembre 2011, Medvedev annonce qu’il ne briguera pas de second mandat, et laisse le champ libre à Poutine. Rien de bien nouveau en fait, quand en 2008 Poutine n’avait pas pu se représenter faute d’avoir déjà effectué ses deux mandats consécutifs, il conclut un accord avec Medvedev : celui des deux qui est le mieux placé en 2012 pour gagner se présentera. Malgré les quelques essaies de Medvedev de rendre le pouvoir moins corrompu, il est très vite apparu que sa place à la présidence était dirigée.

Dès lors, quel bilan tirer de ces 12 ans de Poutine ?

D’un point de vue extérieur, celui-ci semble bien évidemment accablant, notamment sur le plan démocratique. Depuis son arrivée à la Présidence en 2000, Poutine n’a eu de cesse de mettre en place un pouvoir très personnel, une « démocratie dirigée ». Outre le pouvoir exécutif fort de la fédération russe (régime présidentielle), mais toutefois « légitime » puisqu’il y est élu, Poutine a réformé les chambres législatives, qui ont de ce fait un pouvoir limitée, et assure aux juges nommés au tribunal constitutionnel de copieuses rémunérations ainsi que d’intéressants avantages, une nouvelle nomenklatura en quelque sorte. De ce fait, les hauts fonctionnaires russes ne se privent pas de dicter aux juges les « bonnes » décisions à prendre.

Les médias, qui peinait à se remettre de 70 ans de communisme, sont eux aussi mis à mal dès son arrivée au pouvoir. La principale chaine indépendante NTV, qui avant Poutine, avait un regard critique sur l’actualité, est littéralement nettoyée. Depuis, les reportages à la gloire de l’ancien colonel du KGB sont quotidiens, et les mouvements de contestations sont soit mêmes pas relatés, soit accusé de mensonge. Quant à la presse écrite, il lui laisse le soin de « s’auto-censurer ». Théoriquement, elle ne reçoit pas de consigne du Kremlin, mais les rédacteurs des principaux titres de presse en Russie savent à quoi s’attendre en cas de prises de position pouvant être jugées trop impertinente. Les affaires de Mikhaïl Beketov, journaliste qui avait relaté le combat de citoyens s’opposant à la construction d’une autoroute proche de Moscou et qui s’est fait violemment attaquer en 2008, perdant une jambe et trois doigts ; ainsi que l’assassinat d’Anna Politkovskaïa en 2006 sont vraisemblablement dans tous les esprits. Même si la presse écrite demeure plus libre, Oleg Kachine, rédacteur au quotidien Kommersant, apportait des précisions dans les colonnes du Monde du 03 mars dernier : « Si le pouvoir le voulait, on n’existerait plus. On lui est utile. […] Ils donnent l’illusion d’une liberté de la presse ». La Russie est 142eme dans le dernier classement de la liberté de la presse de Reporter Sans Frontière, alors qu’elle était 121eme en 2002.

Poutine : stratégie de communication bien huilée et bourrage d’urnes

Le candidat Poutine utilise et abuse de cette surabondante propagande médiatique. Chaque lundi pendant la campagne, il rédige une tribune dans un quotidien. Tribune immédiatement reprise et diffusée en boucle par la télévision. Le Parti Communiste russe a fait le calcul du temps médiatique accordé à la télévision aux candidats sur la période du 02 au 11 février, soit 9 jours : les cinq principales chaines nationales ont consacré 680 minutes à Poutine, 146 à Jirinovski et 65 à Ziouganov.

Il profite des nombreux reportages à sa gloire pour se montrer sous sa meilleure forme physique et intellectuelle. Poutine apparait ainsi en boxeur, en judoka dont il est ceinture noire, en skieur, hockeyeur, cavalier … Il pratique également une heure de natation par jour dans sa Datcha, et affirme que « sans le sport, (il) ne serait pas ce qu’(il) est ». Cette instrumentalisation de son propre physique a également pour but de s’érotiser. Ses clips de campagnes, calendriers, vidéos, chansons ont parfois un caractère douteux à la limite de la pornographie. Le but de ces manœuvres est de faire un raccourci entre : beau et musclé = intelligent et compétant.

Vidéo illustrant l’érotisation des clips de Poutine

Sur le plan médiatique toujours, Poutine a refusé de débattre pendant la campagne avec les autres candidats, préférant envoyer un représentant à sa place, et prétextant que, lui, était au travail et avait donc d’autres obligations. Mais notons tout de même que c’est la première fois que Poutine prend la peine de réaliser ce qui ressemble à une campagne électorale, avec programme à l’appuie. Il publie ainsi le 30 janvier son programme économique dans une tribune au quotidien économique Vedomosti.

Ainsi, Poutine reste très populaire en Russie. Sa poigne, son charisme et sa notoriété semblent rassurer l’électorat russe. Cette vidéo extraite du documentaire « Mister Vladimir et Dr Poutine », montre le côté paternel de Poutine sur la protection de la russie et de son industrie, et rappelle également son investissement personnel lors de la crise de 2008, que la Russie a pris de plein fouet.

Vidéo illustrant la propagande poutiniste

Sur le papier aujourd’hui, l’économie Russe se porte relativement bien : dette de l’Etat à 11,2 % du PIB, croissance à 4.3 %, chômage à 6 % (chiffres de 2011). Mais ces chiffres masquent une réalité plus instable, l’économie russe repose essentiellement sur les hydrocarbures (pétrole et gaz), et une baisse du prix du pétrole, comme ce fut le cas en 2009, provoquerait une chute importante du revenu du budget. Le limogeage d'Alexeï Koudrine, ex Ministre des finances, fin 2011, peut également à terme entrainer des déséquilibres économiques. L’ancien Ministre assurait en effet une certaine stabilité économique et financière à la Russie, et avait la confiance des investisseurs depuis 11 ans. De plus, les promesses de campagne de M. Poutine peuvent être un facteur de risque pour l’économie russe. Il promet en effet d’augmenter les salaires des militaires, les retraites, les prestations sociales, et prévoit un copieux budget de dépenses pour moderniser l’armée. Coût du programme : 65 milliards de dollars de dépenses d’ici 2014. Quoi qu’il en soit, si « les français sont des veaux » les russes doivent l’être tout autant, Poutine apparait comme l’homme fort du pays, et l’absence de réels leaders de l’opposition le conforte dans ce statut.

Mais les contestations qu’a connues la Russie ces trois derniers mois, et la situation en Syrie qu’elle bloque à coup de véto au Conseil de Sécurité de l’ONU forcent Poutine à paraitre honnête pour espérer être crédible, même si l’élection était jouée d’avance, et que les sondages le donnaient gagnant à 60 % dès le premier tour. Interrogé à ce sujet début février, il juge qu’un second tour serait source de « déstabilisation de [la] situation politique » russe, mais que c’est toutefois « possible » au regard de la législation. Il y aura donc des larges bourrages d’urne pour lui permettre de remporter l’élection d’entrée de jeu. Les trois grosses manifestations organisées par l’opposition, entre les législatives de décembre et la présidentielle de mars, se sont passées sans incident majeur. Il faut dire que pour manifester, l’opposition doit négocier avec la mairie de Moscou un lieu, et négocier le nombre de personnes présentes.

Afin d’éviter toutes contestations possibles, le pouvoir met en place 180.000 webcams pour couvrir 90.000 bureaux de vote. Des observateurs sont également dépêchés sur place. Cependant, dès midi, des fraudes sont constatées, et les webcams connaissent certaines avaries, où sont mal orientées et ne permettent pas de voir les urnes.

Vidéo d’un bourrage d’urne

La vidéo ci-dessus semble illustrer cette triste pratique. Un responsable de la Commission électorale centrale s’en défend toutefois : « Nous avons visionné la vidéo. La caméra a fixé le bourrage d'urnes dans le bureau de vote 1402 au Daguestan. Nous avons aussi reçu des plaintes de ce bureau. Je vous assure que le résultat de ce bureau sera invalidé ». Le directeur de campagne de Poutine s’est lui justifié par un « selon toute vraisemblance, les responsables mettaient ainsi les bulletins d'une petite urne mobile parce qu'il faut être idiot pour bourrer les urnes au vu de tout le monde ».

Certains observateurs ont vu leurs pneus de voiture crevés le matin avant de se rendre aux urnes, des électeurs ont découvert en arrivant au bureau de vote qu’il avait déjà voté, et enfin, des bus remplis de pro-Poutine auraient été repérés effectuant des tours de bureaux de vote.

Sans grande surprise, Poutine est donc élu au soir du dimanche 04 mars avec près de 64 % des voix. Le show sagement organisé dans la journée pouvait commencer. Poutine apparait le soir sur l’estrade installée sur la place en face du Kremlin, devant ses partisans. La larme qui coula de son œil le soir de sa victoire, et qui avait fait grand bruit, reste sans explications valables. Du reste, l’opposition entend continuer à protester. Mais Poutine, désormais installé à la tête de la fédération pour 6 nouvelles années n’a plus à faire bonne figure. On peut toutefois s’interroger sur l’avenir de ces contestations. A mon sens, deux thèses sont possibles. Soit Poutine parvient à mater la contestation sans affoler la communauté internationale, ce qui risquerait pour le coup de créer de sérieux remous. Soit le mouvement continue de s’amplifier. La position qu’a la Russie sur la Syrie, qui refuse une intervention militaire pour des raisons de trafic d’armes (80 % des armes syriennes leur ont été vendu par la Russie ces cinq dernières années), peut s’avérer à long terme contraignante, et de facto accentuer et motiver l’opposition. La contestation en Syrie a déjà couté la vie à 8000 personnes, et la situation devra bien se débloquer un jour, de gré ou de force. On verra alors quelle position adoptera Poutine. Pour l’instant, les timides prises de positions que le Kremlin exprime sur le sujet ne trompe personne, et il apparait évident que Poutine va continuer son petit commerce le plus longtemps qu’il le pourra. Affaire à suivre …


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