Trump 2024 : Le rejet et la vengeance
Oui, Donald Trump a gagné et cette fois, il est vain de dénoncer le système injuste et déformant du collège des grands électeurs. Avec une majorité du vote populaire, un homme climato-sceptique, conspirationniste, adulé des extrêmes-droites, multi-condamné, coupable de mensonges et d’abus sexuel a bien été élu président des États-Unis !
S’il a gagné c’est que Trump a su entendre, instrumentaliser et relayer le malaise et les frustrations des populations vivant pourtant dans l’économie la plus avancée de ce monde.
Qu’a-t-il relayé ? Un condensé idéologique montant irrésistiblement en ce 21ème siècle, fortement développé par des puissants intérêts et de façon spécifique plus encore dans cette pointe avancée de l’Occident que sont les États-Unis. Précisons que ce ciment idéologique autoritaire qui défie les principes essentiels des démocraties n’empêche nullement ces mêmes puissants de défendre sourdement un fait accompli créateur de chaos et d’injustices (mondialisation financière, néolibéralisme, interventionnisme éhonté, 800 bases militaires déclarées à l’étranger).
L’exceptionnalisme américain
- C’est d’abord un vieux rejet du monde des autres terriens, tradition isolationniste d’un pays se vivant à l’écart qui n’est pas concerné par le sort des autres peuples, les guerres et la justice. Un pays où les institutions internationales sont régulièrement mises en cause ou boycottées dans leur financement (ONU, OMS,Unesco, …) ou qui n’y adhère pas (la Cour Pénale Internationale, la Cour Internationale de Justice, la Convention sur la diversité biologique, la Convention internationale des droits de l’enfant, …) rejetant régulièrement les traités ou accords signés par leur président (traité de Versailles, protocole de Kyoto, accords de Paris).
- Un rejet de toutes les régulations économiques, défendant selon les avantages qu’il en retire le libéralisme économique le plus sauvage ou le protectionnisme le plus unilatéral.
- Un rejet de l’écologie commun aux industriels des énergies fossiles et à certaines populations pourtant fragilisées par le dérèglement climatique et les crises environnementales.
- Un rejet au plan intérieur du plafonnement du financement des campagnes électorales, de la mutualisation des dépenses de santé, du droit même de s’organiser en syndicats, de la régulation des armes.
- Un rejet théorisé par les libertariens de tout rôle organisateur ou régulateur de l’État.
- Un rejet par les maitres des médias et des réseaux sociaux de l’adoption de règles contre les abus de pouvoir et la manipulation commerciale ou politique de fichiers massifs de profilages des population.
Au 19e siècle, les barons voleurs étaient identifiés comme responsables des injustices flagrantes du capitalisme américain : les Vanderbilt, les Rockefeller, les Mellon, les Carnegie. Après la crise de 1929, un certain type de régulation a introduit des règles de protection et de justice en particulier lors du New Deal 1933-1938.
Depuis 40 ans, le vent s’est inversé. Reagan -« le gouvernement n’est pas la solution mais le problème »- a accéléré les concentrations des richesses, la mondialisation financière et les politiques fiscales et sociales d’accompagnement conservatrices. Le fossé s’est creusé peu à peu entre les gagnants et les perdants du système.
Dans le paysage idéologique dominant aux États-Unis, la société reste un univers darwinien à peine rhabillé par le droit et les inégalités légitimées par la bigoterie religieuse.
Dans cet univers de plus en plus insécurisant la force de Trump et consorts est d’offrir des croyances simples et des boucs émissaires et même un messie. C’est de dire vos rejets sont les miens et je vous protégerai de ma puissance.
Le rêve américain perdu ?
L’économie est bien au cœur de cette victoire. Mais par un tour de passe-passe l’inflation récente a complétement éclipsé la dégradation lente et irréversible du partage de la richesse entre salariés et actionnaires à l’échelle états-unienne (comme à l’échelle mondialisée) et les écarts phénoménaux de revenus (que l’Europe ne connait pas avec la même violence).
La classe moyenne s’appauvrit et le rêve américain n’est plus au rendez-vous : ses revenus stagnent, le prix du logement a été multiplié par 4 en vingt-cinq ans en dollar constant, les inégalités explosent, les coûts de santé sont les plus élevés des pays occidentaux, aggravés par les crises du Covid-19 (très mal gérée la première année) qui a fait 1,1 million de morts états-uniens et la crise des opioïdes presque la moitié dans la même période. Avec beaucoup moins d’amortisseurs sociaux qu’en Europe ces violences sociales sont plus durement ressenties et amplifiées. Le sentiment d’abandon dans les couches populaires est viscéral et habilement encouragé par les démagogues dans les différents segments de l’électorat contre ‘Washington’, contre le gouverneur s’il est démocrate, contre la communauté voisine, contre les urbains plus éduqués, contre les scientifiques et contre les étrangers.
C’est ainsi que Trump a su actualiser le logiciel du parti républicain et dans une guerre dynamique a fait de la peur et de tous ces rejets un puissant moteur. Il a su mettre en scène une écoute, une consolation. Une sorte de « je vous ai compris » ambigu adressé à des populations les plus diverses dans leurs griefs : la désindustrialisation, la perte de pouvoir d’achat, les craintes masculinistes devant la revendication des femmes à l’égalité ou d’autres boucs émissaires menaçant la « pureté » américaine, la panique devant des catastrophes écologiques de plus en plus fréquentes, la nostalgie d’un passé embelli.
Dans la première présidence de Trump, les promesses de 2016 avaient été vite oubliées : la relance du charbon, de grands chantiers d’infrastructures, la limitation de la dette (crédo républicain), le rétablissement de la balance commerciale, le remplacement de l’Obamacare. L’électorat de Trump ne le confronte pas à des résultats tangibles mais s’enthousiasme de ses mots : un sentiment de revanche et de disruption décomplexée, une identification à des gagneurs sans scrupule .
La modernité technologique d’Elon Musk, véritable co-président (mais pour combien de temps ?) alimente le mythe de la toute-puissance, d’un nouveau miracle en cours.
Nul besoin d’argumenter dans la campagne mesure contre mesure, de chercher des faits, les images suffisent et des coupables sont désignés.
Argumenter ?
Face à cette forme dégénérée de la lutte politique, Kamala Harris et les démocrates n’ont pas su montrer leur capacité à nommer les causes et les responsables de cet essorage des couches moyennes et populaires. Comment incarner à la fois le rejet des injustices et la confiance dans l’équipe au pouvoir ? Comment avouer que la « success story » américaine ne donne pas des chances équitables à toutes et tous et n’a plus le même pouvoir fédérateur.
La tâche de la candidate démocrate a été fragilisée par le maintien absurde de la candidature de Biden jusqu’au mois de juillet et l’impossibilité d’organiser une vraie campagne concurrentielle avec des candidatures et des propositions nouvelles par les primaires habituelles. Tel un vieil appareil brejnévien, le parti démocrate a gardé le jeu verrouillé, prisonnier du choix personnel de Biden et d’une trop grande proximité avec des milieux d’affaire myopes.
Trump a un peu progressé en voix avec 76,8 millions de voix (contre 74,2 en 2020) mais avec 74,3 millions de voix le ticket démocrate a lui perdu 7 millions de voix (par rapport aux 81,3 millions de Biden). Avec donc 2,5 millions de voix d’avance sur Harris, Trump gagne le collège électoral nettement (312 contre 226) mais reste en suffrages populaires le troisième président le plus mal élu depuis 1980, après lui-même en 2016 et George W. Bush en 2000 (gagnés sans majorité des suffrages). On peut dire donc que si Trump a su consolider et diversifier sa base avec un mélange de fausses promesses et démagogie, il a su construire une doute sérieux sur la capacité des démocrates à transformer la vie des populations et à améliorer leur sort.
La dénonciation morale ou celle de son inaptitude à gouverner n’ont pas le poids face à des peurs. L’électorat états-unien nourri de fictions, avide de rêves et d’amusement s’est donné un magicien autoritaire. Trump entraine son peuple dans le Neverland de Peter Pan.
Trump instrument d’un projet de restauration politique
Mais il serait absurde de n’y voir que le caprice revanchard d’une personnalité à l’égo boursouflé. Désormais au cœur du parti républicain les prêts-à -penser archi-conservateurs de l’Heritage Foundation sont voués à être déployés sans contrepouvoirs. Ils semblent annoncer un « néo-féodalisme » et un développement sans entrave des fortunes accumulées dans le numérique ou l’énergie fossile au détriment des générations futures.
Les nominations en cours récompensent la volonté de vengeance, l’annulation de toutes les poursuites et la servilité au gagnant plus que la capacité à agir ou la compétence.
- Au ministère de la justice après avoir envisagé Matt Gaetz, soumis à une enquête criminelle et contraint à retirer sa candidature c’est Pam Bondi, ancienne procureure de Floride très engagée dans la défense juridique de Trump qui est chargée de mettre au pas « l’Etat profond »
- Au ministère de l’énergie, Chris Wright fondateur de Liberty Energy spécialisée dans la fracturation hydraulique, une méthode polluante d’extraction d’hydrocarbures, dé-régulateur climato sceptique « il n’y a pas de crise climatique et nous ne sommes pas non plus en pleine transition énergétique ».
- A la tête de l’EPA – Agence de Protection de l’Environnement, Lee Zeldin un climato-sceptique, avocat de l’industrie automobile
- Au ministère de la santé Robert Kennedy Junior (quel naufrage) ennemi des politiques sanitaires et des vaccinations
- Au ministère de la défense, Pete Hegseth animateur sur Fox News
- Ambassadrice des États-Unis à l’ONU, Elise Stefanik, plaide pour une réévaluation du financement des Nations unies par les États-Unis, ou encore pour le blocage de la contribution américaine à l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens.
- Ambassadeur des États-Unis en Israël, Mike Huckabee, représentant de la mouvance évangélique et gouverneur de l’Arkansas pour qui la Cisjordanie n’est pas un territoire « occupé » mais partie intégrante d’Israël.
- Sur un poste sur mesure à la direction d’un nouveau Département de l’efficacité gouvernementale, Elon Musk le chef d’entreprise nourri de commandes d’état et en butte à des poursuites de nombre de territoires ou de services fédéraux.
- A la tête de la commission fédérale des communications, Brendan Carr Trump co-auteur du « Project 2025 » préconisant une dérégulation massive en 270 actions.
Ces nominations relèvent la plupart d’une logique mafieuse de désarmement de l’État qui pour tous ces gens-là aurait dû rester « minimal » réduit aux fonctions régaliennes. Comme au début du 20ème siècle sans intervention sociale ni économique.
Cette « restauration » majeure qui entend revenir sur 100 années de timides progrès sociaux ne vise pas à unifier la nation et améliorer le sort des classes populaires mais à les fractionner et à fournir une impunité aux puissants. Elles érigent des boucs-émissaires en responsables de leurs déclassements, la vengeance en mobile, l’ubris en modèle, l’escroquerie en moteur.
Ce cruel rappel à l’ordre impose aux progressistes plus d’empathie avec des populations reléguées, la dénonciation des inégalités créées par l’économie et la sécession des plus riches, la défense de l’état de droit, la clarification d’un modèle démocratique partagé, le dépassement des politiques identitaires reproduisant la division des états-uniens, la capacité à mettre en œuvre en local un véritable retour aux sources de la démocratie. Vaste programme !
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