Une journée dans la vie d’un soldat syrien
En septembre 2016, je suis allée en Syrie pour le tournage d'un documentaire. Je m'y suis rendue seule, sans soutien gouvernemental de quelque pays que ce soit. Il était primordial pour moi de pouvoir parler ouvertement avec les habitants et les soldats locaux, sans aucune interférence.
Palmyre a été libérée au printemps 2016 par l'Armée syrienne. Je décidai de m'y rendre, afin de rendre compte de la vie au quotidien depuis la libération.
Le voyage de Damas à Palmyre par la route dure 5 heures. Le désert est étincelant, fascinant, mais il etait impossible de s'arrêter : la ligne de front se trouvant à 3 kilomètres et la voiture à l'arrêt pouvant facilement être prise pour cible par les terroristes de Daech. Ce genre de routine se répète souvent en temps de guerre…checkpoint militaire, arrêt du véhicule, vérification de mes documents d'identité et de mon accréditation Presse.
Nous sommes finalement arrivés à destination : L'école de Palmyre a perdu sa vocation première : les enfants et leurs crayons ont été remplaçés par des soldats et leurs mitraillettes. Nous sommes les invités d'honneur : un fastueux banquet est préparé pour nous dans les quartiers du général. Je demande où se trouvent les toilettes. On m'invite à utiliser les commodités personnelles du commandant de l’armée syrienne, à côté de sa chambre. En entrant dans la pièce, je reconnais ce qui fut autrefois une salle de classe. Le cabinet de toilettes ainsi qu’une douche ont été installés derrière un mur dressé à l'occasion.
Le lit est simple, tout à fait banal. Trois fusils d'assaut posés côte à côte contre le mur me ramènent à la réalité du lieu, qui n'a en fait rien de banal. La chambre est occupée par deux commandants.
Lorsque l'un dort, le second assure son service.
Salim est le seul anglophone, la seule personne capable de communiquer avec moi autrement que par des gestes. C'est un jeune homme à l'air intelligent, aux yeux vifs cerclés de lunettes rondes. Dans mes représentations, il évoque plus un personnage d'étudiant chez Tchekhov qu'un soldat de l'Armée régulière syrienne. Il nous apporte du café fort à la syrienne et des bonbons tout durs. J'ai comme l'impression que c'est tout ce qu'il a à nous offrir. L'Armée vit dans une réelle pauvreté : les repas des soldats sont très modestes et je n’ose imaginer la « chambre » de Salim.
Il est responsable des relations avec la presse et est né il y a 36 ans à Homs.
Avant la guerre, il travaillait comme ingénieur dans les technologies numériques. A l'âge de 31 ans, il a été appelé à servir dans les forces armées. C'est à partir de 2012 que l'Armée syrienne a commencé à mobiliser les hommes ayant une formation intellectuelle….
Ses parents sont âgés et vivent toujours à Homs. Salim les voit rarement : une fois par mois, pendant 3 jours.
Il se lève à 6 heures du matin. Il a 30 minutes pour se préparer au service. Il travaille jusqu'a 8h30, prend une pause de 30 minutes pour le petit déjeuner, puis recommence le travail jusqu'au déjeuner, à 14:30. A cette heure-là, la chaleur est tellement insupportable dans le désert que les soldats sont autorisés à prendre congé. Ensuite, Salim reprend le travail de 18h à 21h30. Il a quartier libre jusqu'à l'extinction des feux, à 23h30.
Salim m'a confié être exténué, au bout de ses capacités. Il a perdu ses amis les plus proches. Il a lui-même été grièvement blessé il y a un an. Pourtant, il n'a pas le choix : l'Armée syrienne est trop « faible” puisque lepays manque cruellement d'hommes en âge de combattre. Salim exercera ses fonctions jusqu'à la fin des hostilités….C’est la loi.
La situation sociale des soldats n'est guère plus reluisante. D'après leurs contrats, chaque soldat du rang a droit à 100 euros de salaire par mois. Les commandants et généraux touchent légèrement plus, jusqu'à 150 ou 200 euros. Très souvent, les militaires ne touchent pas leur solde pendant des mois, parfois jusqu'à 6 mois. Cela pèse sur leur moral. Lors de l'occupation de Palmyre, en décembre 2016, alors que la situation sur le terrain était critique, tout un bataillon s'est mis à abandonner ses postes de combat. Les soldats ont affirmé que s'ils mouraient, leurs parents ne verraient jamais la couleur de leurs salaires. Dans le contexte de ce conflit meurtrier, combattre est devenu la seule activité professionnelle pour les Syriens. Malgré la faiblesse des salaires, des hommes continuent pourtant de rejoindre l'Armée régulière.
A l'opposé, les conditions salariales des combattants de l’Etat islamique sont beaucoup plus favorables. Ils perçoivent des sommes très élevées pour la Syrie : à partir de 800 euros par mois. Une fois rentrés chez eux, ils apportent ces espèces sonnantes et trébuchantes à leurs familles, souvent en zone protégée par l’Armée syrienne…ô pauvre pays !
Néanmoins, malgré le fossé salarial entre les deux « camps », très peu de syriens ont le désir de rejoinder ce que les français nomment “ Daech”. Cela peut sembler incomprehensible, mais ici les gens aiment vraiment leur terre, ils me le répétaient sans cesse. Même tiraillés par la faim, ils se refusent à tuer leurs compatriotes pour toucher de fortes sommes d'argent.
En France, Assad est présenté comme un dictateur, l'ennemi de son peuple voire pire… C'est probablement vrai.
Pourtant, même dans la détresse la plus totale, l'Armée syrienne fournit des efforts surhumains pour protéger les civils et défendre sa terre.
Documents joints à cet article
33 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON