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Accueil du site > Actualités > Médias > Information : du fil au film de l’actualité ?

Information : du fil au film de l’actualité ?

L’actualité récente aura donc été marquée par quelques coïncidences chronologiques étonnantes. La libération des exemplaires journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, et l’apparition au grand jour de la « prison » intellectuelle dorée offerte par l’ex dictateur Ben Ali à toute une petite confrérie médiatique, en échange de propagande bienveillante. Les uns honorent leur profession en ayant « payé » de leur liberté leur volonté d’exercer vraiment leur belle profession, d’autres auraient pendant des années vendu leur liberté, au prix fort de cadeaux touristiques de luxe. Gageons que cette concordance révélatrice, empreinte d’une gravité extrême, s’effacera vite derrière le prochain rebondissement du « feuilleton d’information » actuel ("l'affaire Dsk"). Au besoin, l’attention sera portée sur quelques chats écrasés ou bagarres de collégiens dans le village du coin.

Pour ce qui le concerne, le Député Jacques Myard pense urgent que "les médias adoptent une charte déontologique" alors que « l’affaire Dsk version 1 et 2 et l'affaire Tron, la libération des journalistes" auraient pris "une ampleur médiatique qui frise l'hystérie collective". Il n’en demeure pas moins que l’Histoire fût toujours porteuse de tels événements (Dreyfus, Callas…), probablement pour tout ce qui s’y jouait de plus emblématique et de sociologiquement représentatif. Certes, les nouveaux moyens de communication (Net, médias du Câble…) accroissent le flux « d’informations » (si tel est le terme indiqué). Notons que l’Hystérie se traduit par l’expression physique non toujours maîtrisée. Le corps social reste animé, parfois à juste titre, de la crainte de n’être pas au fait de toute l’actualité. La nécessité de "médiatiser" pour faire respecter ses droits ou aboutir dans ses démarches se répand. Entre la régulation et la censure, trouver un juste milieu. La pipolisation consentie de certains politiques n’est pas étrangère à cette hystérie supposée. Revenons à une certaine actualité suscitant bien des inquiétudes et indignations, et ne recouvrant aucune hystérie.

Selon une enquête récente de Télérama (« Ben Ali, Président prodigue avec la presse française » / n° du 29 Juin 2011) des patrons de presse auraient « bénéficié » de séjours vacanciers en Tunisie sous le régime du funeste Ben Ali. Sans nier le niveau intellectuel et culturel de toutes ces brillantes personnalités, interrogeons nous plus largement avant que l’actualité people désormais érigée en sujet de société brouilla opportunément notre discernement. Des représentants d’une démocratie, renforçant une dictature ? Le fait pose question premièrement sur la véracité de la première, sur notre pays. Leur “bienveillance” promotionnelle à l'égard du régime de Ben Ali aurait ainsi constitué le « retour » attendu, non pas du voyage, mais de ces privilèges touristiques gracieusement accordés. Tous auraient séjourné en Tunisie aux frais du régime dictatorial Tunisien. Précisément, l'Agence Tunisienne de Communication Extérieure (ATCE), organe officiel de propagande, aurait eu une collaboration (…) contractuelle prolongée avec une Agence française de conseil. Les conseilleurs seraient-ils aussi les payeurs de part et d’autre ?

Selon le Canard Enchaîné, toutes ces jolies « colonies » luxueuses de vacances pour certaines personnalités stratégiquement utiles pour un pays en manque de démocratie et légitimité, relèveraient d’une évidence difficilement douteuse. L’éthique et la déontologie journalistiques en seraient pour leurs « frais ». 

L'agence de communication Image 7 collaborant aussi avec tant d’entreprises du CAC40, serait donc sur le pied d’œuvre depuis des années dans cette finalité « relationnelle » publique d’Etat. Les bénéfices privés et publics iraient de paire dans le conflit d’intérêt le plus manifeste. 

Le Canard Enchaîné fonde ses affirmations sur une attestation interne de l'Agence française concernée (Image7) datée d'avril 2008. On peut y lire que l'agence a « mis en place depuis quelques années, un réseau de relais d'opinion rassemblant les principaux dirigeants de la presse française bienveillants à l'égard du pays ». Toujours selon Le Canard enchaîné, la boîte de « conseil » a organisé depuis la fin des années 90 un « discret réseau d'influence » en faveur de la dictature de Ben Ali, réseau composé notamment de patrons de presse « tout acquis à sa cause ». Image7 aurait été liée par contrat avec l'Agence Tunisienne de Communication Extérieure (ATCE) pour une rémunération annuelle, de plus de 200 000 euros. Le Canard parle de « documents certains illustrant ces mœurs joyeuses ».

L’Agence française citée aurait donc eu pour mission de promouvoir l'image de la Tunisie de Ben Ali, en fournissant ou encourageant des reportages et interviews sciemment promotionnels. Les personnalités évoquées (Cf l'article référencé) étaient aussi « invitées », outre les voyages, à œuvrer dans ce sens favorable propagandiste. Voir Télérama et le Canard Enchaîné unis dans une dénonciation similaire est assez rare pour y insister. Leurs numéros respectifs rapportent toutes ces informations (Numéros de fin Juin 2011). Voilà de quoi nourrir une interrogation plus large sur la crise latente de « l’information » qui marque de plus en plus notre pays, voire, toutes les démocraties occidentales, longtemps liées avec les dictatures qu’elle dénonçaient. La chute des uns va-t-elle logiquement induire à terme celle des autres ? La puissance de la vérité est imprévisible et conséquente.

Après la libération d'Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier notre Ministre de la Culture et de la Comunication, Frédéric Mitterand, déclarait "Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier nous rappellent à chacun que le droit à la liberté d’expression et d’information n’est pas un principe abstrait, mais une réalité ". Outre l’hommage logiquement rendu aux deux ex otages en Afghanistan, ces propos semblaient étonnamment raisonner comme la réprobation la plus indiquée de toute la cohorte médiatique évoquée par Télérama et le Canard Enchaîné. Cette confrérie aurait précisément bradé la si noble mission journalistique, celle de tant d‘autres assurément plus nombreux et exemplaires. Bien sûr, le communiqué du Ministre se limitait aux deux ex otages.

Dans un soucis d’équité journalistique, précisons ici que toutes les personnes concernées par les enquêtes du Canard Enchaîné et de Télérama, réfutent toutes les accusations portées à leur encontre. Elles affirment avoir réglé tous les frais touristiques, de « leur propre chef ». Quelques doutes demeureraient sur ce dernier. Pour ce qui est de la culpabilité de l’ex dictateur tunisien devant l’Histoire et la conscience de l’humanité, il n’y a aucun doute.

Parallèlement, ainsi est constituée l’actualité, le questionnement n’en finit plus de rebondir s’agissant de « l’affaire Dsk ». Pourquoi y revenir ? Laissant la Justice, désormais américaine et française, officier au mieux, cette « Actu-feuilleton » parle plus globalement de l’Information et des médias. Alors que la fameuse « Crise », difficile à cerner pour tout ce qu’elle recouvre (de l’Euro à la démesure salariale de grands patrons bafouant la masse écrasante de la petite ou grande pauvreté), crise « morale » et civilisationnelle autant qu’économique, tout atteste de fait d’une crise conjointe de l’Information participant de nos démocraties.

Même si chaque jour des milliers, des millions de faits, se produisent à travers la planète, les JT du soir n’en finissent plus à contrario de réduire la diversité thématique de l’Information. Deux ou trois sujets au même moment sur toutes les chaînes feront le menu allégé quotidien. Des agressions de cours d’école aux mariages ou perversions de vedettes, aussi politiques, l’imaginaire collectif sera ainsi alimenté. Les élus du peuple se doivent désormais de pouvoir rejoindre de gré ou de force la rubrique du cœur pour prétendre à figurer au générique du télé-feuilleton journalier. Les affaires « de mœurs » reflètent-elles symboliquement l’évolution générale de la société ?

Quand le réel condamne tout un schéma de pensée imposé depuis des lustres, d’aucuns parlent de la fuite en avant et l’évitement dans l’Imaginaire. Le JT parvient désormais à fidéliser par la pratique du "récit" épisodique. Le fil de l’actualité ferait-il place au film de l’actualité ?

Plusieurs semaine furent ainsi consacrées à ce qui demeure une affaire s’étant déroulée dans le cadre d’un séjour privé d’un Sofitel. La parole d’un homme confrontée à celle d’une femme, dans l’hypothèse d’un viol. De tels faits concernent chaque semaine bien d‘autres personnes partout dans le monde. Qu’il s’agisse de l’ex patron du FMI et président programmé de la France, peut-il en soi justifier que l’actualité tourna autour d’une telle histoire intime ?

Alors que la réalité sociale reste majoritairement dramatique pour une part croissante de l’Humanité, ici et ailleurs, la Téléréalité semble gagner sans cesse plus de terrain, jusque dans le traitement de l’Information dite « sérieuse ».

En France, une femme décède toutes les 7 minutes suite à une maltraitance conjugale. Un enfant dans le monde meurt toutes les 3 secondes (2,5 millions au seuil de pauvreté dans notre pays). Face à cette réalité recouvrant tant d’autres tragédies permanentes, parler encore et toujours de « l’affaire Dsk » ? Sans parler d’hystérie, s’interroger sur le choix et la finalité thématiques de l’Information.

Ces dictatures étrangères qui n’en finissent pas de tomber, aussi sur notre longue complicité de "réal-politique", semblent étonnamment questionner nos sociétés occidentales prétendument plus démocratiques. A l’image des personnalités médiatiques évoquées par Télérama et le Canard Enchaîné, tous ces pays n’auraient donc été que nos succursales et partenaires. Ce serait être de mauvaise foi que de s’en prendre prioritairement aux dirigeants actuels de notre pays.

La chute de ces dictatures ne sera pas sans nous remettre profondément en question. Les liens de brebis stratégiques égarées traduiraient une compromission plus vaste et ancienne. Le peuple français ne s’offusqua pas véritablement des relations d’états entretenues. La conscience collective est toute entière, face à ses responsabilités.

A moins qu'il faille avec Jean Baudrillard réfléchir à notre rapport à la Réalité, au sein de notre époque de plus en plus "soumise" au règne de l'image...

Faisons le rêve qu’il y ait encore longtemps, ici et ailleurs, des Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier pour nous informer de tous les méandres des mutations ou travers divers, notamment ceux de l’Information.

Guillaume Boucard

NB : Télérama « Ben Ali, Président prodigue avec la presse française » / N° du 29 Juin 2011


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1 réactions à cet article    


  • Spip Spip 6 juillet 2011 19:54

    Entre prendre des risques dans des pays réputés dangereux et se (faire) payer des séjours agréables dans d’autres pays dits « stables » le choix est aisé. Et dans les deux cas, on est confondu sous le même vocable, journaliste...

    Quand à la manière de traiter l’actualité, puisqu’il s’agit d’attirer un maximum d’audience pour faire monter les tarifs de pub, il est assez « logique » d’utiliser les recettes du monde du spectacle, tout simplement !

    Sur le fond, à Baudrillard vous pourriez rajouter Guy Debord qui avait déjà décortiqué le problème il y a 44 ans maintenant...

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