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2011 : une flambée démocratique

Le “Printemps arabe” – ou la mythologie qu’il a inspiré – a rendu pensable le fait qu’un peuple qui se réunit de lui-même et dit simplement “non” parvient à reprendre son destin en mains et à chasser des dirigeants tyranniques et corrompus sans faire acte de violence (même si, on le sait, ces révoltes sont nées d’années de lutte et de répression et ont fait de nombreuses victimes). Cet événement inédit a donné naissance à une nouvelle forme d’action politique, qui s’est répandu à travers la planète : le rassemblement, c’est-à-dire le fait d’occuper une place pour exiger la démocratie, dénoncer le mépris dans lequel les dirigeants tiennent les gouvernés, débattre librement d’un destin collectif, faire reculer les dominations, recueillir les doléances et réclamer qu’elles soient satisfaites.

Cette forme d’action politique a donné naissance à un mouvement “global” de contestation et d’opposition aux pouvoirs en place, dont la rapidité et la puissance ont pris tout le monde par surprise. Au “Dégage” qui a été scandé en Tunisie, en Egypte et ailleurs, ont fait écho les “Vous ne nous représentez pas” ou les “Nous sommes les 99%” entendus sur les places européennes et américaines ; ou encore les “Le peuple réclame la justice sociale” de Tel Aviv, les “Nous existons” des Russes face à l’élection de Poutine et les concerts de casseroles du “printemps érable” au Québec.

Si le succès de cette forme d’action tient pour beaucoup aux nouvelles conditions de la circulation de l’information grâce aux moyens et réseaux de communication modernes, il tient également au fait que ceux qui y participent ont redécouvert l’usage d’un savoir-faire politique ancien (assemblées, votes, information alternative, inventivité poétique, rencontre en face à face, plaisirs de la fête etc.). Et ce n’est pas dévaloriser ces mouvements de dire que les personnes qui ont participé à ces rassemblements ne sont pas toutes des néophytes : ces mouvements réunissent un grand nombre de militants et d’opposants engagés dans les combats contre le nucléaire, les politiques néo-libérales, les O.G.M., le consumérisme ou pour la justice et la défense des clandestins. Mais si ces activistes ont pris part à la mobilisation, ils l’ont toujours fait en taisant leur appartenance à une organisation établie et en renonçant à la moindre tentative de manipulation.

Les événements de l’année 2011 imposent donc un constat : le monde a été saisi par une flambée démocratique. Ce mouvement peut se comparer avec deux de ses grands devanciers : les révoltes étudiantes de mai 68 dans le monde occidental ; et l’occupation de Tienanmen à Pékin et la chute du mur de Berlin en 1989 dans le monde communiste. Certains disent que 2011 est l’année où cette vague emporte le monde arabe (dont le soulèvement de Téhéran en juin 2009 aurait été la préfiguration). Mais elle est aussi celle où s’exprime une contestation de masse des effets de régression et de paupérisation produits par la longue période de politiques de dérégulation imposées aux sociétés d’Etat de droit social.

Affirmer que l’année 2011 a été celle d’une flambée démocratique soulève pourtant une question : tous ces mouvements ont-ils vraiment quelque chose en commun ? Et il est vrai que les conditions politiques et économiques qui prévalent au Maroc, en Tunisie, en Egypte ou au Sénégal ne sont pas les mêmes que celles de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie ou de la Grèce, qui ne sont pas les mêmes que celles des Etats-Unis, de la Grande Bretagne, du Japon ou du Québec, certainement pas celles de la Russie, de la Chine et encore moins celles du Kazakhstan ou de la Birmanie. Et pourtant, on peut noter des caractéristiques identiques. Ces révoltes ont été des éruptions imprévues et spontanées (même s’il ne manque pas d’analystes pour retrouver, après-coup, les prémisses ou les facteurs qui en expliquent l’émergence). Ces révoltes se différencient donc en nature des mouvements de décolonisation des années 1950 – dont l’objet était l’édification d’Etats-nation souverains - ; ou des luttes sociales menées, dans les régimes démocratiques avancés, par des syndicats ou des partis ayant des programmes élaborés et disposant d’une organisation militante bien rodée ; ou du travail souterrain de dissidents qui œuvrent dans la clandestinité à renverser un régime totalitaire. Une autre caractéristique commune est l’émergence de formes d’action politique inédites, paradoxalement fondées sur le rejet du pouvoir : non-violence, inorganisation volontaire et pluraliste (pas de leader, pas de programme, pas de censure, pas de hiérarchie des paroles), unanimisme (la revendication est celle du “peuple” en effaçant les divergences d’intérêts privés), mise en application des principes d’une démocratie réelle (assemblées, votes, commissions, inventivité poétique, plaisir de la fête, etc.) et libre circulation de l’information grâce aux moyens et réseaux de communication modernes.

Ce qui frappe est encore le fait qu’un mobile politique unique se trouve au cœur de ces révoltes et rassemblements : l’exigence de démocratie. Il n’est plus question d’émancipation ou de renversement d’un système d’exploitation – qu’il soit celui de l’impérialisme ou celui du capitalisme. Il n’a même pas été question de religion (même si les “islamistes” ont remporté la mise électorale dans les pays arabes). Ce qui s’est exprimé partout à travers le monde durant l’année 2011 est une revendication radicale de citoyenneté. Car celle-ci est bafouée soit lorsque sa voix ne pèse plus dans la détermination du destin collectif d’une nation, soit lorsque sa vie quotidienne subit un système de corruption et de clientélisme favorisé par la concentration du pouvoir entre les mains d’une coterie restreinte d’alliés et d’associés, soit lorsqu’un pouvoir autoritaire ne la respecte pas. C’est à partir de l’exaspération causée par ces atteintes à la dignité, à la justice et à la liberté, souvent attisée par les difficultés économiques et l’absence d’avenir pour la jeunesse, que l’exigence de démocratie s’est exprimée dans toutes sortes de contextes : des dictatures, des régimes autoritaires, des régimes organisant des élections sans pour autant permettre la libre expression d’opinions divergentes, des démocraties des Etats de droit social avancés.

Dans le monde occidental, l’objet de la colère qui s’est exprimée (que ce soit par la voix des désobéisseurs, des “indignés” ou des “occupiers”) est l’indifférence des gouvernants et des parlementaires aux revendications et aux besoins de la population, leur soumission aux ordres du monde de la finance et de la minorité de ses bénéficiaires, et le dévoiement d’une démocratie dans laquelle le citoyen est cantonné à un rôle épisodique : placer un bulletin dans une urne. Et c’est exactement cette réduction à la portion congrue de la participation à la détermination du destin d’un pays ou de la Terre qui a provoqué la révolte.

L’heure est au désenchantement, soit parce que l’instauration d’une authentique démocratie électorale là où elle était absente (au Maroc, en Tunisie ou en Egypte) donne le pouvoir à des partis dont on estime qu’ils sont des ennemis des libertés individuelles ; soit parce que les mouvements de contestation s’éteignent (avec le démantèlement des campements d’occupants et d’indignés) dans le soulagement ou l’indifférence des uns, dans la frustration et l’impuissance des autres ; soit parce que la réaction des pouvoirs en place est inflexible et brutale (comme au Québec, face aux manifestations du “printemps d’érable”) ; soit par un coup d’Etat de la finance justifié par l’urgence de la réduction de la “dette” (comme dans les cas de la Grèce et de l’Italie). Il n’en reste pas moins que le mouvement a fait bouger quelques lignes : les discours autoritaires, répressifs et ultra-libéraux s’estompent un peu et des réformes allant dans le sens de plus de justice sociale, de plus de démocratie et de moins de corruption sont publiquement promises et, parfois, mises en œuvre.

En un mot, la flambée démocratique de l’année 2011 renvoie, au delà de ce qui différencie chacun des mouvements recensés, à un même phénomène : l’émergence d’un certain sens de la démocratie radicale, qui exprime une même insatisfaction devant le cours inacceptable que prend la manière dont les affaires publiques sont conduites par ceux qui en ont la responsabilité. Cette expression se fait en recourant à des formes d’action politique inédites, et hors du cadre du système politique institué. Révoltes et rassemblements portent donc l’exigence d’une vie politique qui respecte pleinement l’autonomie des citoyens et dans laquelle chacun doit avoir le droit de trouver et d’exprimer sa voix.

C’est en ce sens que les revendications politiques défendues tout au long de cette dernière année ont inscrit trois aspects constitutifs de la démocratie (en tant que régime politique) au cœur du débat public : celui des droits sociaux et politiques du citoyen (le vote et la condition d’égalité) ; celui des libertés individuelles (la dignité) ; et celui du respect des manières d’être et de vivre singulières (l’organisation du pluralisme). Ce qui fait la richesse et la force de cette succession de mouvements (quel que soit l’avenir que chacun d’eux connaîtra) tient à un phénomène : avoir suscité une action collective visant à instituer la démocratie (là où elle est absente), à dépasser les limites de la démocratie représentative (là où elle semble bloquée par la professionnalisation, les connivences, l’enchevêtrement des pouvoirs, la réduction des contre-pouvoirs, l’uniformité de l’information diffusée par les médias traditionnels, etc.) ou à mettre en œuvre les principes d’une “démocratie réelle”.

Il n’a pas manqué de voix pour appeler à une unification de ces mouvements ou à une “convergence des luttes”. Et quelques idées qui auraient pu servir de plate-forme de revendication commune ont été avancées : dénonciation du néo-libéralisme ; contrôle effectif sur le pouvoir des banques et de grands groupes multinationaux afin de maîtriser les conséquences que leurs décisions font subir aux peuples ; refus de la destruction de la planète au nom du profit ; abandonner le retrait de l’Etat social ; organisation plus démocratique du système représentatif. Le slogan de “Révolution Globale” a servi de mot d’ordre au mouvement mondial du 15 octobre 2011 ou à celui du 15 mai 2012. Mais, à y regarder de plus près, il semble plus renvoyer à une transformation profonde des mentalités qu’à un changement brutal de régime politique.

Il existe pourtant une différence entre révoltes et rassemblements. Elle tient à la stratégie adoptée. Dans le premier cas, la colère du “peuple” s’exprime dans un affrontement sans merci et sans retour avec un pouvoir en place qui est sommé de se démettre. Dans le second cas, il s’agit de faire nombre et d’occuper des espaces publics afin de faire naître une discussion libre entre citoyens, pour partager leurs expériences du mécontentement face à une situation injuste, indigne, inégalitaire ou dangereuse. Et on attend du strict respect de ces pratiques de démocratie réelle que se renouvellent la démocratie et la politique – sans savoir à l’avance comment et avec quelles conséquences.

On comprend bien le désarroi dans lequel les rassemblements placent les dirigeants et gouvernants et les professionnels du politique qui les entourent et les conseillent. Ils brisent les règles de l’activité politique auxquelles les citoyens des démocraties représentatives s’étaient habitués. Partis politiques, syndicats, élections, règle de la majorité à laquelle la minorité consent, alternance, équilibre des pouvoirs, etc. Pour les participants aux rassemblements, ce système est trop faussé pour qu’il puisse encore convaincre les citoyens d’y adhérer. C’est d’ailleurs ce que la désaffection pour la politique et la hausse du niveau d’abstention vient régulièrement attester dans ces régimes. Ce qui pose donc problème est le fait que les défenseurs de la démocratie réelle n’entendent pas entrer dans un jeu de négociation avec aucun pouvoir institué. L’illustration de cette détermination a été donnée à l’occasion de la journée du 15 octobre : les manifestants arrivés à Bruxelles de toutes les contrées d’Europe ont décliné l’invitation à venir exprimer leurs doléances devant le Parlement européen en affirmant que c’était au personnel politique de venir au contact du “peuple” et d’entrer en débat avec lui sur les places qu’il occupe. La revendication portée par ce mouvement est claire : le monde politique doit se soumettre aux pratiques de la démocratie réelle. C’est inédit et sans doute inacceptable.

 Mais il n’en reste pas moins que l’existence même de ces rassemblements pose un sérieux problème aux dirigeants. Ils admettent que la situation de la jeunesse n’est pas enviable et, dans leur majorité, s’affirment publiquement solidaires du mouvement, comme par exemple Barak Obama, le Pape, le Président de la BCE, Mario Draghi, ou celui de la Reserve Fédérale, Ben Bernanke, et d’innombrables dirigeants, représentants et intellectuels (comme on le constate en regardant la liste de ceux qui ont contribué au livre édité par Janet Byrne : The Occupy Handbook). C’est qu’ils comprennent que la situation économique organisée par la globalisation ne leur permet pas aujourd’hui, et ne permettra sans doute pas demain, d’apporter une vraie réponse à la demande la plus simple de ces « indignés » ou de ces « occupants » : pouvoir mener une vie normale et digne, en exigeant un changement total des structures de l’organisation de l’économie à l’époque de sa mondialisation. Que peuvent-ils faire dans ces conditions ? Attendre, observer l’évolution des choses et espérer que la situation ne dégénère pas en émeutes et en révolutions… tout en manifestant leur sympathie pour un mouvement qui, tant qu’il ne devient pas violent, ne les dérange pas vraiment.

On sait qu’une flambée est un événement marqué par sa brièveté et qui reste sans lendemain. A une exception : que des flammèches se répandent et couvent, en attendant un coup de vent pour s’enflammer à nouveau. La situation d’inégalité croissante et de développement de la dualisation des sociétés dans laquelle l’organisation actuelle du monde – l’exceptionnelle disparité du rapport de pouvoir entre capital et travail au niveau international – nous maintient pour le moment est lourde de tempêtes et d’ouragans. C’est pourquoi il n’est pas impossible de voir le feu reprendre et les populations revenir, encore plus nombreuses car encore plus démunies, occuper les places pour faire à nouveau valoir leur exigence de démocratie réelle.


Par Albert Ogien, pour Le Grand Ecart (sociologue et directeur de recherche au CNRS).

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6 réactions à cet article    


  • Leo Le Sage 28 juin 2012 09:29

    @Auteur
    Bonjour Auteur,

    Le rassemblement serait une nouvelle forme de démocratie ?
    Oui mais à quel prix ?

    Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de vraie démocratie au maghreb.
    Cette révolution a juste déplacé leur problème mais n’a rien résolu sur le court terme.
    Peut-être sur le long terme ?

    Lorsque les Guinéens se sont « amusés » à faire un putsh « valable », la communauté internationale n’a pas été convaincu...

    L’occident ?
    En occident, seule la voix des urnes est acceptée. Tout au plus les sondages comptent, notamment aux USA...
    Lorsque José Bové a fait entendre sa voix a sa manière, il s’est retrouvé condamné...
    Tout ceux qui ont usé de la violence physique, seule façon efficace de faire plier ceux d’en face, ont perdu dans les procés intentés contre eux...

    Le seul moyen de combattre l’injustice est encore de trouver et convaincre des individus suffisamment honnêtes pour accepter la mission [en tant que député/maire/sénateur/ministre/etc.] qui consistera notamment à voter des lois plus justes... (équitable, honnêtes, durables, respectueux des différences et des autres, etc.)

    Ce combat ne peut pas se faire uniquement dans un seul pays mais dans tous les pays, pour la simple et bonne raison que si les autres ne sont pas d’accord avec LE combat a engager, la guerre ne sera pas gagnée.
    Le but du jeu est de gagner la guerre pas de s’inquiéter pour quelques batailles perdues.

    Un exemple :
    Pour avoir eu le droit de voter, il y a eu des morts... avant que ce droit fut acquis !
    Un pays seul ne peut combattre les OGM, mais plusieurs pays le peuvent...

    Leo Le Sage


    • Javascript Javascript 28 juin 2012 09:37

      Rien à faire, je n’arrive pas à voir les « révolutions arabes » autrement que comme des formes plus élaborées des « révolutions colorées » menées par les USA à travers d’ONG grassement payées pour déstabiliser un pays en leur faveur.

      Dsl, je moinsse l’article.


      • Relladyant Relladyant 28 juin 2012 11:23
        En lisant cet article je ne m’attendais pas à voir en signature « sociologue, CNRS », tant cette analyse est vierge de tout sérieux politique et historique...

        Beaucoup d’intellectualisme et d’idéalisation mais il faudrait que l’auteur aille voir sur le terrain si sa « démocratie » est au rendez-vous en Tunisie, en Egypte, en Libye. Comme souvent avec les blablateurs, il suffit de leur montrer un peu de réel pour que tous leurs discours volent en éclat.

        Quid de la Libye ou des membres d’Al-Qaida ont ete mis au pouvoir ? Ou la polygamie (interdite sous Khaddafi), vient d’etre reinstaurée ? 
        Quid de Bahrein ou les USA et l’Occident supportent et arment la monarchie contre les manifestants ?
        Quid de l’Egypte ou les Freres Musulmans sont au pouvoir ?

        Cessez de ne voir le monde et sa complexité qu’a travers deux concepts : democratie ou pas democratie.

        • soimême 28 juin 2012 11:26

          Rien de nouveaux sous le soleil, entres les opportunistes, les pragmatiques, les conformistes, les légalistes, les idéalistes, les naïfs. Un soufflet de forge qui embrase un point de vue avant que tous retombe dans la médiocrité servile !


          • bernard29 bernard29 28 juin 2012 11:47

            vous devriez mettre un peu d’ordre dans vos acceptations du mot « rassemblement ». Je ne suis pas sûr que les manifestants du Caire voulaient juste que Moubarak descende sur la place Tharir pour discutailler avec eux de « la démocratie réelle ».


            • non667 28 juin 2012 19:36

              les printemps arabes nouvelles armes de destruction massives des USRAËLIENS .
              faut-il être benêt pour ne pas le voir !

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