Ces polémiques stériles qui prennent la place de la Pensée
Les politiciens se sont emparés de querelles entre chanteurs pour les introduire dans le débat politique. Ceci grandit-il la politique, renforce-t-il la démocratie ? Ou est-ce le signe d'une indigence du sens politique ?
Elles reprennent bien la ligne de mon dernier billet : « Expression politique en macronie la parole autorisée sinon rien ». À travers l’affaire Armanet-Sardou, et à travers celle concernant le rappeur Médine on mesure d’une part l’insignifiance intellectuelle de nombreux politiciens et le goût des journalistes pour le buzz à tout prix faute de posséder les armes culturelles nécessaires à distiller une information de qualité. Franchement, qu’est-ce que ces débats de fond de bistrot vont apporter à notre pays ?
L’affaire Armanet-Sardou d’abord. Que Juliette Armanet n’aime pas la chanson de Michel Sardou : les lacs du Connemara, relève de son seul choix, qu’elle la trouve « de droite » pareillement, c’est son choix. Je relèverai toutefois que les propos de Juliette Armanet n’étaient pas teintés de délicatesses et peut-être même, au-delà de l’excès, empreints de sottise et d’impolitesse. Partant, chacun d’entre nous doit être en mesure de choisir l’une ou l’autre des positions et en faire l’objet d’un débat autour d’un verre, mais de là à en faire une affaire médiatique relève du ridicule le plus absolu. Quant à l’élever au rang d’affaire politique : ridicule, grotesque ! Ridicule seulement, si ce n’est que ce type de polémique entraîne une surenchère de vocabulaire qui porte souvent atteinte à l’intégrité des protagonistes. Qu’y a-t-il d’intelligent à déclarer (Le Parisien du 15 août 2023) : « Quand Juliette Armanet aura vendu 10 % de ce que Michel Sardou a vendu et fait en cinquante ans de carrière comme lui, là elle pourra ramener sa fraise », mais venant d’un vieux monsieur âgé de 83 ans nous serons tolérants au maximum. Que veut dire cette phrase : qu’on n’a pas le droit à la parole si on n’est pas multimillionnaire ?
Sardou est-il de droite ou de gauche, je n’en sais rien et surtout je m’en fiche. N’étant pas un grand consommateur de « variétés musicales », je n’ai pas non plus d’avis sur la chanson incriminée sauf à dire que je n’en connais pas vraiment les paroles et que c’est surtout sa musique, entraînante, qui retient mon oreille. Je ne forge pas mes opinions politiques au gré des chansons ou des déclarations de membres du show-business pas non plus (surtout pas) à l’aune des articles fadasses de la presse people. Cependant j’ai du plaisir à écouter certaines chansons qui peuvent, mieux que d’autres, chatouiller mes fibres politiques comme « le déserteur » chanté par Serge Reggiani ou « prendre un enfant par la main » chanté par Yves Duteil, pour autant je n’essaie pas de les faire rentrer dans une « case politicienne ». Ces chansons, qui ne sont que des chansons et pas un traité de philosophie politique, disent des choses voire portent des idées philosophiques ou politiques qu’il faut entendre dans la limite du moment musical et de poésie qu’elles apportent, un souffle dans un quotidien difficile ! Le moment du débat sur le fond vient après dans un temps apaisé loin des polémiques qui opposeraient des personnes plus que des idées.
Les politiciens même, si à l’exemple du député Renaissance Karl Olive, certains refusent de prendre parti, ne devraient pas utiliser ces « polémiques » creuses et stériles dans l’espace politique : ça ne grandit pas la politique qui est affaire d’idées pour construire la société, ni la Démocratie qui encadre et organise le débat politique. En utilisant ces polémiques on remplit l’espace public en interdisant la « vraie » parole des gens, on les cantonne dans la médiocrité ! Bien sûr les paroles des chansons ont du sens (assez souvent), elles peuvent parfois être là pour porter un regard, une ambition sur l’humanité ou la société (je pense au Chant des Partisan). À chacun de s’en emparer pour construire « sa philosophie » et à ce titre elles peuvent opposer dans un débat d’idées mais les utiliser dans une polémique n’a d’autre sens que celui de l’absence d’idée, de pensée. Ainsi, tant qu’on en reste à une critique Armanet-Sardou ça peut alimenter un débat entre copains et copines, une discussion de comptoir, mais quand les politiciens qui le plus souvent méconnaissent totalement la chanson incriminée, font de cette critique un objet de polémique politique force est de constater que la politique s’ennuie faute d’avoir des idées pour un avenir radieux pour la société.
L’autre affaire est encore moins reluisante que la première : un rappeur, Monsieur Médine, que je ne connais pas, aurait eu dans un tweet des propos antisémites nous apprend la presse. Du coup le microcosme politique bien-pensant s’enflamme car, comble du comble, ce monsieur doit se produire aux congrès de EELV et de LFI. Si cela est véridique il convient à la personne « insultée » de saisir la justice comme à la justice de se saisir de l’affaire ; apparemment rien de tout cela (pour l’instant) et il serait alors normal que Médine soit condamné. En revanche que le microcosme politique se saisisse de cette affaire que je qualifierais d’incident parmi la multitude, pose comme pour l’affaire précédente la question de la qualité intellectuelle des politiciens. Alors que la planète brûle, dans tous les sens du terme, les voilà qui s’emparent des propos de ce chanteur qu’ils sont d’ailleurs la plupart du temps incapables de citer pour créer une polémique contre leurs adversaires : « vingt députés Renaissance viennent de signer une tribune dans laquelle ils demandent à leurs opposants de renoncer à cette invitation » rapporte le Journal de Saône et Loire du 14 août. Là, on apprend que le député du coin, méconnu au-delà de son fief, a signé la tribune : que connaît-il de ce rappeur et de ses textes ? Pourrait-il en faire une analyse sensée ? Connaît-il la jeune femme, essayiste, attaquée par le tweet, a-t-il lu ce qu’elle a écrit ? On voit au fil de cet article, succinct et politiquement correct, que la position du député n’est assise que sur les éléments de langage de son parti politique et sur le discours politique, plutôt de droite, utilisé par son parti pour attaquer ses opposants de gauche. Le mot-clé, dépourvu d’argumentaire mais porté en étendard, est « islamo-gauchisme » : en recevant Médine EELV et LFI « conforteront le sentiment qu’il existe dans cette partie-là de la vie politique un courant islamo-gauchiste antisémite de conviction ou d’opportunisme électoral ».
Je ne discuterai pas du bien-fondé de ces propos convenus autant que fardasses, ce qui m’interroge c’est la façon dont tout incident de la vie peut être élevé au rang de pièce d’artillerie dans le landerneau politique dans un vaste, et permanent, mouvement d’utilisation de l’émotion supposée des citoyens. Ce qui m’interroge c’est l’absence aujourd’hui en politique de temps pour la réflexion et le débat d’idées.
Mais, aujourd’hui en politique, il faut paraître plus que penser au risque de donner une image de soi peu glorieuse comme ces maires EELV qui renoncent, opportunément au fils du grossissement de l’affaire, à aller au congrès de leur parti si l’invitation de Médine est maintenue. L’annonce de sa participation au congrès ne doit pas dater d’hier et n’a pas été tenue secrète, alors que ne se sont-ils pas renseignés sur le personnage ? La presse soulève un lièvre, car vraisemblablement peu de gens avaient lu le tweet en question, et voilà l’émotion politique qui s’emballe. C’est dans ce contexte vide de connaissances et de savoirs que deux députés aveyronnais sont aussi montés au créneau de la vindicte comme le rapporte Centre Presse Aveyron du 15 août. L’article signé Mathieu Roualdès est plutôt de bonne tenue et se situe dans le contradictoire puisqu’il donne (bien que modestement) la position de Médine. Quant au discours des deux députés il est convenu et au ras des pâquerettes rappelant à moins que ça ne soit le journaliste, par exemple les propos de Jean-Marie Le Pen en 1988 lorsque évoquant le Ministre Michel Durafour il parlait de “Durafour crématoire”. On y voit fleurirent toutes les litotes de l’histoire politique.
Qui se penche vraiment sur les protagonistes, sur leur histoire, sur leurs positions politiques et idéologiques ? Personne, on se contente d’un message pour créer une polémique qui, sans être forcément infondée, n’en demeure pas moins sans beaucoup d’intérêt pour la vie politique et l’avenir de la société. L’antisémitisme est puni par la loi d’une façon particulière par rapport aux autres discriminations ; l’antisémitisme possède un statut juridique spécial. Ces députés qui s’agitent au fond de leur bocal d’inculture devraient méditer les propos rapportés par Centre Presse Aveyron : « dans un récent tweet, le rappeur Médine s’en est pris à l’artiste et essayiste Rachel Khan. “ResKHANpée” a-t-il écrit. […] Rachel Khan m’a traité il y a quelques jours de “déchet”. Je n’ai pas crié à l’islamophobie ni au racisme anti-arabe. » Mieux, aujourd’hui 23 août les politiciens devraient lire le court article paru dans l’Huffingtonpost qui renvoie à une interview de Médine dans le journal Paris-Normandie le 22 août : « On me traite d’antisémite et cela me broie » : le Havrais Médine répond à la polémique - Paris-Normandie . Au passage on s’étonnera, une fois de plus, que les journalistes aient traité du tweet sans enquêter sur Médine et sur Rachel Khan et essayé de saisir la causalité de ce tweet.
Tout ceci est finalement assez minable. La politique qui a à traiter des problèmes de discrimination ne peut pas s’emballer chaque fois qu’un saltimbanque parle ou quand un tweet paraît en ne prenant fait et cause que pour une ou un des protagonistes. D’autre part les politiciens ne peuvent pas se cultiver uniquement dans la presse, de préfecture comme nationale, ils ont le devoir de dépasser la doxa moyenne. La mission d’un politicien c’est de s’élever au-dessus de la foule pour dessiner un horizon et un avenir à la société. Leur rôle n’est pas d’organiser la tambouille des fonds de bistrot ou de discothèque. Avec ces deux affaires non seulement nous voyons que nous sommes loin de cet idéal mais que, pire, la politique vit petitement au gré des émotions relayées par des médias peu scrupuleux et surtout avides de « buzz ». Si la démocratie va mal, pour reprendre la pensée politique récurrente et si le pays se décivilise pour paraphraser le Maître du parti Renaissance, peut-être faut-il en chercher la cause dans l’indigence philosophique et idéologique des femmes et des hommes politiques.
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