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Face à la désertification industrielle : investir dans l’avenir

L'essor de l'industrie allemande au cours des années 2000 est un contre-exemple remarquable de la désindustrialisation à l'œuvre en France et en Europe. Il convient toutefois d'en mesurer le prix : dans un article paru le 31 mars dernier dans La Revue Parlementaire, Olivier Ferrand montre que la politique allemande, fondée sur une logique de compétitivité-prix, n'a pas été source de croissance, et a fait baisser le pouvoir d'achat des Allemands. Or si la France doit suivre l'exemple allemand, c'est celui de la compétitivité-qualité, en investissant dans la hausse de la valeur de la production, et donc dans l'économie de la connaissance : opter pour une stratégie de qualité, en sortant de la logique du low cost.

La France est-elle sur le point de devenir un désert industriel ? L’évolution de notre industrie cette dernière décennie est particulièrement inquiétante.

Les statistiques réunies à l’occasion des Etats généraux de l’industrie sont sans appel. Un chiffre clé : la part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée marchande a reculé de 22% en 1998 à 16% en 2009. La zone euro subit un déclin similaire, mais à un rythme moins rapide : la part de l’industrie n’a reculé que de trois points, de 25% à 22%.
 
Les conséquences sont majeures. L’industrie représente 80% des échanges extérieurs, ce qui explique l’effondrement de la balance commerciale française de +25 milliards d’euros en 1997 à -50 milliards aujourd’hui, soit un déficit commercial de 2.5 points de PIB.
 
Surtout, beaucoup d’emplois ont été détruits. La part de l’industrie dans la population active est passée de 16 % en 2000 à 13 % en 2008, soit une diminution de 500 000 emplois. Dans ce contexte industriel déprimé, la crise économique a eu des effets ravageurs : plus de 400 000 emplois supprimés depuis début 2008, soit une baisse de près de 15% des effectifs, pourtant déjà fortement comprimés au cours des années précédentes.
 
La désindustrialisation de la France et de l’Europe est-elle une fatalité face à l'émergence du monde asiatique ? La situation outre-Rhin montre que non : l’Allemagne a connu un essor remarquable sur la période, son industrie passant de 25% à 30% de la valeur ajoutée, avec une augmentation de l’emploi industriel et la restauration spectaculaire de son commerce extérieur, qui avait plongé dans le rouge au début des années 2000 et qui se retrouve aujourd’hui excédentaire à +250 milliards d’euros, soit le niveau exceptionnel de 8% du PIB.
 
Comment les Allemands ont-ils pu accumuler de tels succès industriels ? Ils ont mené depuis douze ans, sous les gouvernements de Gerhard Schröder puis d’Angela Merkel, une politique extrême et continue de baisse des coûts de production, dans une logique de compétitivité-prix : gel des salaires nominaux pendant sept ans, baisse des charges sociales (et suppression corrélative des prestations sociales de l’Etat-providence), transfert de charges sociales sur trois points de « TVA sociale » (ce qui est l’équivalent d’une dévaluation compétitive en taux de change fixe).
 
Dans ces conditions, faut-il répliquer en France la politique Schröder-Merkel de compétitivité-prix ? Ce serait une erreur : cette politique n’est ni efficace, ni juste, ni soutenable.
 
La politique Schröder-Merkel a certes restauré les échanges extérieurs allemands – et à quel niveau, on vient de le dire, au point d’être la principale source avec la Chine des « déséquilibres globaux » soulignés par les institutions internationales, G20 et FMI en tête. Mais le mercantilisme ne fait pas une politique économique. L’objectif de toute politique économique, c’est la croissance. Or sur ce point, les résultats allemands sont tout simplement mauvais, avec une croissance en berne sur la période : elle est de 0,8% en moyenne sur les années 2000-2009 contre 1,5% pour la France. L’Allemagne ne s’est quasiment pas développée sur la période. Et deux fois moins que la France : 7 années sur 10, la croissance allemande a été inférieure à la croissance française. L’explication est simple : l’amélioration des exportations a été gagée sur la dégradation de la demande interne, du fait de la rigueur salariale et de la suppression de prestations sociales, avec un effet nul sur la croissance globale – la baisse de la croissance interne a annulé la hausse de la croissance externe.
 
Voir le tableau sur la note version PDF, p. 2.
 
Certes, l’Allemagne a connu une forte poussée de croissance en 2010 : +3.6%. Mais il s’agit d’un rebond conjoncturel qui vient compenser la violente récession subie par l’Allemagne en 2009 (-5 %) – récession dont l’ampleur très supérieure à la France s’explique par l’exposition de l’industrie allemande à la mondialisation, la rendant plus vulnérable à la chute du commerce international de 2009 suite à la crise financière.
 
La politique économique allemande n’est pas efficace, elle pose aussi un problème politique majeur. Elle revient à dire aux Allemands : « nous avons une bonne idée pour vous, nous allons vous appauvrir, et lorsque vous serez suffisamment pauvres, vous serez compétitifs dans la mondialisation ». De fait, le pouvoir d’achat des Allemands a baissé sur la période. Le PIB/habitant allemand était de 15% supérieur à la France à la fin des années 1990, il est inférieur aujourd’hui. Les Allemands étaient plus riches que nous il y a dix ans ; ils sont aujourd’hui plus pauvres.
 
Enfin, la politique allemande pose un problème de soutenabilité européenne. Car l’amélioration de la compétitivité allemande ne s’est pas faite par rapport aux pays émergents : le déficit commercial bilatéral de l’Allemagne par rapport à la Chine continue à se creuser, à -30 milliards d’euros. Les différentiels de coûts sont trop importants (rapport salarial de l’ordre de 1 à 20, productivité globale des facteurs supérieure de 60% en Chine) et ce n’est pas 3% de TVA sociale qui peuvent inverser la tendance. L’amélioration de la compétitivité allemande a été gagée sur les pays à structures de coûts similaires, singulièrement la France : plus de 50% de la restauration de la balance commerciale s’explique par la dégradation bilatérale de la balance commerciale française. Plutôt que d’aller capter une part du grand gâteau de la croissance mondiale aujourd’hui entre les mains de l’Asie, l’Allemagne vient récupérer les miettes de la croissance européenne à la table de ses voisins.
 
Au total, cette politique n’est pas la bonne. La France doit pourtant suivre l’exemple allemand : non pas la stratégie de compétitivité-prix Schröder-Merkel de ces dix dernières années, mais la stratégie de compétitivité-qualité sur laquelle est fondée le modèle allemand. L’Allemagne ne vend pas à l’étranger des produits à bas coûts : elle vend des produits et services à forte valeur ajoutée – automobiles haut de gamme, machines-outils, produits pharmaceutiques, production d’énergies renouvelables… D’autres pays suivent cette politique avec succès : les grands pays les plus avancés comme les Etats-Unis (la Californie), le Japon, la Corée mais aussi de « petits » pays comme la Finlande, la Suède, le Danemark ou le Canada (« petits » pays où, malgré l’absence de masse critique, notamment sur la recherche, émergent des groupes innovants de taille mondiale : Nokia, Palm Pilot, Blackberry…).
 
Une telle stratégie nécessite de mettre ses marges de manœuvre et son énergie politique, non pas dans la baisse des coûts de production, mais dans la hausse de la valeur de la production, la montée en gamme. Cela nécessite d’investir dans l’économie de la connaissance : enseignement supérieur, recherche, innovation industrielle (dans les secteurs de croissance : énergies décarbonées, mobilité du futur, ville de demain, biotechnologies et sciences du vivant, société numérique …).
 
Les sommes à mobiliser sont très importantes. Pour l’enseignement supérieur, seulement 40% d’une classe d’âge sort diplômée du secondaire en France, contre plus de 60% pour les pays les plus avancés : nous mettre à niveau nécessite de faire passer notre effort éducatif dans le supérieur de 1.5% à 3% du PIB, soit 1.5 point par an. De même, il faudrait hisser notre effort de recherche de 2% du PIB actuellement à 3%, standard international de référence, soit un autre point de PIB. Le déficit en investissements industriels innovants se chiffre à au moins 20 milliards d’euros par an, soit un point de PIB là encore. Au total, c’est donc un effort d’investissement dans l’avenir de près de 70 milliards d’euros par an (3.5 points de PIB) qu’il faut générer.
 
Comment faire ? La commission Juppé-Rocard sur les investissements d’avenir (le « grand emprunt ») a montré la voie. Elle a abouti à un programme d’investissement de 35 milliards, mais sur une seule fois. Or le sous-investissement de la France est chronique. C’est pourquoi Terra Nova propose un programme d’investissement annuel – un « grand emprunt par an », de l’ordre de un à deux points de PIB, inscrit dans un programme budgétaire spécifique, qui ne soit pas soumis aux arbitrages budgétaires annuels. Naturellement, l’essentiel de l’effort d’investissement doit être fait par les entreprises. Elles investissent peu car le taux de profitabilité est médiocre. Une solution serait, par exemple, de baisser le taux d’impôt sur les sociétés pour les bénéfices réinvestis.
 
Stratégie de compétitivité prix ou stratégie de compétitivité-qualité : voilà le choix central que doit faire la France. Le diagnostic est le même : l’industrie française décline, les salaires industriels ne sont pas compétitifs dans la mondialisation eu égard à leur productivité. Mais les réponses sont opposées : baisser les salaires ou augmenter la productivité, c'est-à-dire la qualification. Stratégie low cost contre stratégie de qualité. Deux politiques industrielles opposées. Deux visions de l’avenir différentes.

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4 réactions à cet article    


  • Kalki Kalki 11 avril 2011 12:21

    Trop tard renaud est partie il fallait que tu expliques au PDG avant

    que tout la vision de desindutralisation de la france, soutenu par la droite ( comme le PS )

    EST UNE PURE CONNERIE

    N’ayant que pour seul but d’appauvrir la population, détruire la classe moyenne

    et donne tous les pouvoirs a l’oligarchie


    • Voltaire Voltaire 11 avril 2011 15:39

      Article et propositions intéressants, mais qui ne receuillera quère de commentaire. Agoravox est devenu depuis un certain temps un receptacle d’articles d’opinion (je pense à quelque chose donc je suis...) plutôt que d’anayses de fond, hélas. Seuls les articles polémiques fond recette, doublement hélas...

      Pour y revenir donc, au fond, la France souffre de plusieurs handicaps, qu’il serait trop long de détailler. Néanmoins, il faut quand même souligner la faiblesse des investissements R&D de nos entreprises dans plusieurs secteurs, une fiscalité biaisée qui favorise surtout les grands groupes (qui n’en n’ont pas besoin et profitent d’effets d’aubaine) plutôt que les entreprises en croissance, un déficit d’incitation par l’offre (commande publique réservée à quelques grands groupes), une dévalorisation des métiers de l’innovation par rapport à la finance et au management. La France se pénalise aussi elle-même par des fluctuations de réglementation pénalisantes (difficile de parier sur l’avenir quand la fiscalité et les règles changent tout le temps) et une faibel présente dans les organismes en charge des normes au niveau international, qui peuevtn pourtant créer ou bloquer des marchés considérables.

      En matière de recherche et de formation, la France s’en tire plutôt bien, même s’il reste des efforts à faire en matière de mise en réseau notamment.

      L’idée du Grand Emprunt a été partiellement dévoyée par notre incapacité à mettre en place un système transparent de sélection des projets. Et les finances publiques ne facilitent guère un effort soutenu sur le long termes. Il me semble que la priorité est déjà une refonte des systèmes d’aides existant, notamment fiscaux, afin que les crédits soient effectivement dirigés vers l’innovation.


      • Aviator 11 avril 2011 16:45

        ’ Enfin, la politique allemande pose un problème de soutenabilité européenne. Car l’amélioration de la compétitivité allemande ne s’est pas faite par rapport aux pays émergents : le déficit commercial bilatéral de l’Allemagne par rapport à la Chine continue à se creuser, à -30 milliards d’euros. Les différentiels de coûts sont trop importants (rapport salarial de l’ordre de 1 à 20, productivité globale des facteurs supérieure de 60% en Chine) et ce n’est pas 3% de TVA sociale qui peuvent inverser la tendance. L’amélioration de la compétitivité allemande a été gagée sur les pays à structures de coûts similaires, singulièrement la France : plus de 50% de la restauration de la balance commerciale s’explique par la dégradation bilatérale de la balance commerciale française. Plutôt que d’aller capter une part du grand gâteau de la croissance mondiale aujourd’hui entre les mains de l’Asie, l’Allemagne vient récupérer les miettes de la croissance européenne à la table de ses voisins.’

        Trés juste ... le différentiel entre l’Allemagne et les autres nations Européenne ne cesse de se creuser depuis l’introduction de l’EURO ... , l’euro fort condition de l’abandon du mark. Donc il faut vite sortir de l’Euro pendant qu’il en est encore temps ou bien dans 10 ans la France ne sera plus qu’un pays pour touristes Chinois ..


        • Eleusis Bastiat - Le Parisien Libéral eleusis 12 avril 2011 09:41

          critiques principales :

          1. l’auteur ne parle pas des PRODUITS allemands, pour lesquels le consommateur est pret à payer plus cher. VW, Audi, Porsche, Mercedes, BMW vendent des voitures en France à un prix SUPERIEUR au prix de vente des voitures Peugeot, Renault, Cittroen en France. Ca n’est donc pas de la compétitivité-prix mais hors prix

          2. le Canada, 34 millions d’habitants et une superficie nuémro 2 mondiale apres la Russie, n’est pas un petit pays.

          3. L’auteur semble ignorer que Nokia est en crise

          4. L’auteur n’a pas remarqué que Palm est des Etats Unis, pas du Canada

          5. Question : l’auteur parle d’enseignement supérieur. Sait il que Mike Lazaridis, le fondateur de Research in Motion (Blackberry), a laissé tombé les études avant le diplome, comme Michael Dell ou Bill Gates ? Sachant cela, laisserait il ses enfants abandonner leurs études pour aller bricoler des gadgets électroniques dans le garage ou à la cave ?

          6. « Les Allemands étaient plus riches que nous il y a dix ans ; ils sont aujourd’hui plus pauvres » est faux. Le PIB/habitant en France en 33698 $ en 2009 est de
          et de 36340 usd en Allemagne

          source INSEE http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=98&ref_id=CMPTEF08145
          journal du net citant le FMI http://www.journaldunet.com/economie/magazine/classement-pib.shtml , Université de Sherbrooke http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BilanEssai?codetheme=2&codeStat=NY.GDP.PCAP.PP.CD&anneeStat1=2005&grandesRegions=0&slide=1980&codeStat2=x&mode=carte&afficheNom=aucun&langue=fr 
          et OCDE http://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=DECOMP


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