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L’Etat, une machine cybernétique dont les Nombreux rejettent la dernière réponse fonctionnelle : le CPE

Ce qui se passe actuellement en France à propos du contrat première embauche, mérite, au-delà des analyses de l’objet lui-même (le contrat), d’être étudié comme élément d’un tout cohérent, d’une attitude globale du politique (de l’entreprise, au sens large ?) à une époque caractérisée par le court terme, l’accélération de l’information et le besoin de sécurité.

Il y a vingt ans, les entreprises et les Etats avaient des objectifs à court, à moyen et à long termes. Il semble qu’actuellement (et la disparition du Plan en France l’atteste) le moyen terme n’existe plus, le long terme ne soit élaboré que pour mystifier les concurrents et rassurer les actionnaires, alors que le court terme se transforme en ce que certains managers nomment « réactivité » et qui n’est, en fait, qu’une adaptation de type cybernétique aux modifications déséquilibrantes de l’environnement de l’entreprise, du pays... 

Dans son excellent ouvrage L’empire cybernétique->http://livres.lexpress.fr/critique.asp?idC=8995&idR=12&idTC=3&idG=8] - Des machines à penser à la pensée machine, Céline Lafontaine évoque cette évolution du mode de fonctionnement des systèmes pilotés par l’homme et qui ressemblent de plus en plus au modèle fourni par cette science, inventée pour tenter de donner à la machine la complexité de l’humain, et qui semble avoir contribué à l’exact contraire, à savoir faire des décideurs des machines cybernétiques (il en va de même dans le domaine de l’enseignement dit autrefois « assisté par ordinateur » et qui se dissimule désormais en « nouvelles technologies de l’éducation »).

Ce qui domine dans ce type de réaction aux dysfonctionnements (et désagréments) de toutes sortes est ce que les spécialistes de ce domaine nomment boucle de rétroaction positive. Dans cette réponse, il n’y a pas de projet, il n’y a plus d’analyse globale, le système, cherche la forme de moindre résistance (comme la bulle de savon sous la pression, qui résout « naturellement » une équation différentielle très complexe).

L’outil majeur est ici la réponse fonctionnelle. A tout problème correspond une solution qui en est l’empreinte.

On retrouve ici notre point de départ, en même temps que le type de dérive qui l’a produit. La réponse fonctionnelle invente sans cesse des objets nouveaux, elle ne réorganise pas l’existant (shuntant la première étape de tout projet, à savoir l’état des lieux, et celui-ci est particulièrement indigent dans le cas du CPE). Ainsi le problème que voulait traiter le Premier ministre étant "la difficulté que les jeunes ont à trouver un premier emploi", sa réponse a naturellement pour titre, : « contrat (les réponses fonctionnelles formelles sont de nouvelles lois et de nouveaux contrats) première embauche » (cela tient de la pensée réflexe, et a peu à voir avec la réflexion et la définition d’un projet sur le long terme, cohérent avec l’existant).

On met donc au monde un nouveau produit, censé ici résoudre à la fois la question de la première embauche des jeunes et celle de la flexibilité de l’emploi. S’il avait été appelé "contrat premières embauches à flexibilité maximale" (pluriel indispensable *), la loi aurait tenu tout entière dans son nom.

Très souvent, ce type d’approche ** « fonctionne » pendant quelque temps, puisqu’il vise à s’adapter aux symptômes (plus qu’à guérir ***), mais bien évidemment, à long terme, l’absence de cohérence d’ensemble finit par produire à son tour du dysfonctionnement, voir pire. ****

Après la discussion sur la énième loi inutile ****, voir nocive à la France, tôt ou tard une réaction plus vigoureuse que les autres ne pouvait manquer de se produire, marquant l’exaspération des Nombreux face à cette absence totale de gestion de la France sur le long terme, et cet excès de fonctionnement réflexe débouchant sur ces réponses exclusivement adaptatives. Le CPE était le produit de trop.

Ainsi peut se comprendre à la fois l’opposition très majoritaire contre ce nouveau contrat, et le caractère relativement modeste de la mobilisation (son amplification lente n’étant que le résultat conjugué de l’attitude quelque peu hautaine de Monsieur de Villepin et de l’opportunisme des socialistes qui attisent le conflit en faisant de la suppression de la loi la condition première à des propositions alternatives dont personne à cette heure ne sait rien.)

Ainsi, si le gouvernement souhaite gouverner, ce n’est pas tant le CPE qu’il faut abroger que ce fonctionnement minimaliste, purement réactif, mimé des systèmes d’autorégulation de la cybernétique, et dont un Etat digne de ce nom ne peut se contenter.


* il a été ajusté au CNE après quelque temps ... sa nécessité était pourtant une évidence. ** Nicolas Sarkozy « fonctionne » très souvent de cette manière (et le dit même explicitement : « Je dis aux gens ce qu’ils veulent entendre », « Je fais ce qui répond à leur demande »... Nous sommes déjà dans la démocratie en direct, comme le dit Virilio : « Plus rien ne part, plus rien ne voyage ... tout arrive ») *** On s’occupera alors par exemple du sentiment d’insécurité plus encore que de la sécurité elle-même. **** L’art d’allumer des contre-feux ou de créer des diversions est alors très précieux ... mais ne fait, lui aussi, que retarder la tendance générale. **** A propos des aspects positifs de la colonisation


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8 réactions à cet article    


  • L'enfoiré L’enfoiré 24 mars 2006 13:22

    Bonjour, Vue de l’extérieur, Belge, une fois... !!! Vous parlez du CPE et des dérives de rejets des élus. Je peux vous renvoyer au lien indiqué sur mon site perso qui essaye de donner des similitudes ou de réelles différences avec ailleurs (chez moi par ex). J’ai essayé d’expliquer l’origine du phénomène (voir l’URL). J’ai jugé sévèrement les auteurs qui n’ont pas pris la température de l’intérieur. Un de nos journalistes belge envoyait un billet dans lequel il voyait étonnament une similitude entre manifestations de colère des étudiants français et celle de cette semaine contre le décret « Simonet » en Belgique qui adressait une volonté de réduction des autorités des étudiants français dans l’enseignement supérieure en Belgique. Pour un jeune français, chercher le savoir se retrouve par 3 filières dans l’enseignement français : les grandes écoles, les universités et la Belgique. Le mal de la République probablement du à une « mauvaise gestion » dans un pays peut avoir des implications sur un autre pays. Tout à coup, c’est trop d’Europe. Plus on est européen moins on supporterait les autres. Des étudiants d’un pays européen installés dans un autre pays européen manifestent à Bruxelles pour leurs droits européens et pour ne pas revenir à un système de formation qui les mèneraient au CPE. Tout est dans tout, tout simplement. A+


    • Le bateleur Le bateleur 25 mars 2006 19:39

      La question d’une mauvaise gestion renvoie à l’aspect statique.

      Effectivement les états gèrent (on est actuellement gestionnaire d’exploitation agricole, et plus paysan)

      Pas de vision à long terme, pas de projet.

      L’Europe se contente de (Objectifs de Lisbonne) déclarer qu’elle veut être la meilleure dans ce qui se fait de mieux (les technologies de l’intelligence*) Quid de l’état des lieux, et de la volonté de ceux qui l’habitent ?

      Oui, nous sommes gérés.

      C’est d’ailleurs sur ce mode qu’un grand nombre de jeunes, eux aussi sans projet, conduisent leur vie : ils gèrent à vue.

      Nous devons tenter une rupture radicale avec le modèle machinal que nous avons fini par adopter à trop confier notre quotidien aux ingénieurs (de tous poils) et à leurs systèmes auto-régulateurs.

      Luc Comeau-Montasse

      du fagot des Nombreux

      * Je n’en ai personnellement jamais rencontré. Les anglo saxon ont bien raison de nommer « computeur » ce que le français a osé qualifier pompeusement « d’ordinateur » vocable qui n’a que peu de rapport avec les possibilités réelles de l’objet.


    • perlin (---.---.172.186) 25 mars 2006 07:49

      Je m’interroge sur le fondement que vous présentez pour expliquer les problèmes actuels de la gouvernance. Vous insistez sur la planification qui se faisait autrefois et qui ne se fait plus maintenant, le long terme il y a 20 ans contre la réactivité aujourd’hui. Je ne suis pas sûr que l’on puisse affirmer cela. Quand Giscard faisait ses dinettes chez l’habitant, ce n’était pas de la planification et aujourd’hui quand on manoeuvre pour obtenir les Jeux Olympiques en 2012 ou le lancement du cycle EPR pour l’énergie, ce n’est pas de la réactivité...

      En fait je ne crois pas que les choses ont changé de ce point de vue. En revanche je crois que nous ramons beaucoup pour nous adapter à un monde que se globalise à la vitesse d’un TGV. Nos petites particularités sociales, culturelles, politiques, etc. doivent être quelque peu lissées pour rentrer dans le moule planétaire et ça fait mal à nos ego ou à notre confort. Nos douillettes habitudes doivent tenir compte de la coexistence de masses moins favorisées, pardon pour l’euphémisme.

      Réussirons-nous à franchir ce cap ou allons-nous rester accrochés à nos vieilles lunes ? Nul ne le sait mais chacun a son idée (ou son rêve) sur la question.

      En tout cas je salue votre prise de recul en cette période si passionnée, certains philosophaillons feraient bien de s’inspirer de votre méthode.


      • Le bateleur Le bateleur 25 mars 2006 20:04

        Oui, bien sur, la planification, et c’est heureux, n’était pas le seul mode de fonctionnement, notamment de Giscard.

        Cette vision sur le long terme était par ailleurs fortement en déclin déjà à cette époque.

        Iter et beaucoup d’autres projets sont ce que l’on nomme dans le langage de la gestion de projet : des objectifs outils (aucun résultat n’est réellement visé, pas d’horizon nouveau, pas de réel projet)

        Il s’agit principalement de permettre de continuer à fonctionner sur le modèle actuel même lorsqu’il n’y aura plus de pétrole

        parenthèse : Iter me fait beaucoup songer aux fameux avions renifleurs http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_des_avions_renifleurs

        Pas de réel projet ici donc mais plutôt une fuite en avant telle que décrite ici « Pourquoi le facteur clef, à l’origine de la destruction de ces empires, réside-t-il finalement toujours dans leur obstination à dépenser la dernière miette de ressource et de talent pour tenter de faire »fonctionner« un système intrinsèquement défectueux ? » (« Carl Friedrich Gauss » par Jonathan Tennebaum - Les bouquins fusion)

        Une petite remarque : de la même manière, depuis que les scientifiques sont collés à leurs outils informatiques dès les prémices de leurs recherches, c’est à dire depuis 50 ans, il ne trouvent plus rien de nouveau (plus de création, peu d’invention, plus que de l’innovation)

        Pour finir, la planification est un outil au service d’un projet d’ensemble cohérent et fort il est clair que dans le paysage actuel elle ne sert plus à rien.

        On pourrait en effet montrer que notre monde se nourrit davantage de ses cahots et de ses chaos que de ses réussites les trop bonnes récoltes ont des résultats négatifs, les accidents et guerres (voir actualité) sont générateurs de PIB.

        Luc Comeau-Montasse du fagot des Nombreux


      • herbe (---.---.237.25) 25 mars 2006 11:13

        je re cite parce que je crois que c’est fondamental :

        « Céline Lafontaine évoque cette évolution du mode de fonctionnement des systèmes pilotés par l’homme et qui ressemblent de plus en plus au modèle fourni par cette science, inventée pour tenter de donner à la machine la complexité de l’humain, et qui semble avoir contribué à l’exact contraire, à savoir faire des décideurs des machines cybernétiques (il en va de même dans le domaine de l’enseignement dit autrefois « assisté par ordinateur » et qui se dissimule désormais en « nouvelles technologies de l’éducation »). »

        j’ai l’impression que ces phénomènes de « reversion » touchent tous les domaines.


        • Le bateleur Le bateleur 25 mars 2006 21:38

          Oui Il faut lire Blade Runner à l’envers,

          la place des cyborg n’est pas celle que l’on croit (sourire)


        • Hilbert ’s Gepard Göttingen (---.---.43.89) 25 mars 2006 11:47

          L’intelligence artificielle necessite la substitution universelle de l’etat et tous ses systemes etatiques inferieurs d’ une machine cybernetique. Ca fonctionne et pas les fonctionnaires de la corrution large.


          • BB (---.---.201.22) 26 mars 2006 10:37

            « attitude globale du politique (de l’entreprise, au sens large ?) »

            De plus en plus « l’entreprise, au sens large » englobe le politique et l’information.

            Quelle sont les objectifs à court terme des « pilotes par le haut » de la démocratie ?

            - la prise de contrôle politique qui permet d’orienter la loi (ex CPE, Bolquenstein, DADVSI)
            - la prise de contrôle des instances internationales qui permet d’orienter les règles entre états (ex conditions imposées aux états pour l’attribution des aides FMI, conditions d’emploi dans la marine marchande)
            - prise de contrôle des médiats et donc de l’information qui permet d’orienter les consciences et conditionner les actes d’achat et de consommation.

            Globalement, à moyen et long terme l’ambition des géants de l’économie est

            - 1, de mettre dans les rouages de l’économie de marché tout ce qui lui échappe (ex services de l’état, sécu) afin de prélever une part sur chaque transaction.

            - 2, réduire les charges par l’automatisation et la diminution du coût du travail

            là sont les nouveaux gisements financier.

            D’où, la mise en concurrence des états qui tire vers le bas nos systèmes de gestion sociale (effectivement le système chinois est moins « douillet »), les lois et réactions politiques qui paraissent supprimer les symptômes sans vision globale, et l’idéologie libérale qu’on nous présente comme le produit miracle sensé nous protéger de ses propres effets.

            L’approche fonctionnelle déshumanisée des problèmes et la prétendue accélération qui n’est que l’image de la bousculade concurrentielle libérale, sont deux exemples de la mystification générale qui veut nous persuader que l’homme, dépassé par les éléments, est incapable de penser un système basé sur le partage équitable.

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