Jacques Chirac est un cas intéressant de communication politique. Pendant près de quinze ans, le politicien a candidaté à la présidence de la république. Il a échoué deux fois (1981, 1988) avant d’être élu à deux reprises (1995, 2002). A chaque campagne présidentielle, c’est un changement dans l’angle d’approche, dans la communication. C’est ce que nous allons étudier ici au travers de quatre campagnes présidentielles et de leurs affiches.
1981 – “Jacques Chirac, maintenant !”
C’est assez étonnant, mais la première campagne menée par Jacques Chirac en 1981 a connu un regain de “popularité” dans les années 2000, avec la sortie du biopic satirique de Karl Zéro et Michel Royer, Dans la peau de Jacques Chirac. On pouvait y réentendre la chanson de campagne du candidat, “Jacques Chirac maintenant”, qui a depuis beaucoup circulé sur Internet pour s’inscrire comme l’un des sommets du bide et de la chanson politique nanar.
Cette première campagne est un revirement. En 1977, Jacques Chirac avait conquis la mairie de Paris en jouant de son charme et de sa jeunesse. On le voyait sur les affiches sans ses lunettes et souriant. Une chanson avait même été éditée en vinyle, encore une fois pour la plus grande joie de nos amateurs de nanar contemporains. Quatre ans plus tard, pour préparer la conquête de l’état, Jacques Chirac range sa rhétorique de jeune godelureau et opte pour l’austérité du présidentiable. Sur l’affiche ci-dessus, on peut le voir nettement moins souriant, ayant retrouvé ses froides lunettes, assis dans un intérieur bourgeois d’homme d’état. Le slogan, de taille écrasante, renforce le constat de gravité : “Maintenant, il nous faut un homme de parole”.
Une autre affiche venait pendant la campagne nuancer l’austérité de Chirac en nous montrant le candidat en buste, habillé de manière décontractée et plus souriant. Cette “contre-affiche” ne suffit pas à désamorcer la gravité de l’homme aux mains jointes. Jacques Chirac recueille 18 % des voix au premier tour, contre 28% pour Valéry Giscard d’Estaing et 26% pour François Mitterrand. Cependant, cette défaite permet à Chirac d’organiser sa stratégie face à ses deux rivaux.
1988 – Chirac le séducteur
Jacques Chirac s’est ensuite adjoint de grands publicitaires de l’époque, Jean-Michel Goudard et Bernard Brochand, qui vont lancer pour le RPR le premier teasing politique, à l’occasion des législatives de 1986. Une première publicité montre des enfants regardant le ciel, avec pour slogan “Vivement demain…”. Dans une seconde publicité, on voit Jacques Chirac serrant contre lui ces enfants avec comme commentaire “Vivement la France ! Avec le RPR !”. Jacques Chirac y est montré bienveillant, décontracté et souriant.
Dans une autre publicité, la même année, Chirac pose en train de courir avec certains politiciens du RPR, dans une tenue décontractée. Toutes ces publicités sont jugées excessives par une bonne partie de l’opinion et Chirac prête le dos à la critique, la moquerie et la caricature. Pour l’élection présidentielle de 1988, sans rompre son image joviale, l’équipe de Jacques Chirac tempère. Trois affiches annoncent chacune une qualité de Jacques Chirac : le courage, l’ardeur et la volonté. La première présente le présidentiable en tenue décontracté et à la campagne, la seconde affiche nous montre Chirac en costume dans un intérieur et la troisième, très certainement la plus marquante, met Chirac dans la peau du séducteur latin. La peau bronzée, le regard et les cheveux noirs, Jacques Chirac, la tête légèrement inclinée de côté et le sourire charmeur accroché aux lèvres, tente de nous séduire.
Cette fois-ci, Jacques Chirac est présent au second tour face à François Mitterrand, qui lui inflige une assez lourde défaite (seulement 45.98% des voix). Jacques Chirac subit de lourdes critiques dans son propre camp pour cette deuxième défaite consécutive. Les élections de 1995 seront pour Chirac le plus gros des challenges.
1995 – Mangez des pommes
Tout a changé en terme d’image pour Chirac en 1995. Le candidat, chef du RPR, est trahi par les siens. Edouard Balladur, alors premier ministre de cohabitation, décide de se présenter en campagne présidentielle et crée la scission.
Jacques Chirac choisit de battre campagne sur le thème de la “fracture sociale” et se crée une image rurale et populaire. Il prend à contre-pied Balladur et sa communication hautaine, caricaturés en “Louis XVI” par Plantu et se détache de son image parisienne (il est toujours maire de la capitale). Sur son affiche de campagne, Jacques Chirac n’apparait pas représentant d’un parti, mais porteur d’un projet fédérateur. En lieu et place du logo du RPR, on trouve un pommier. La pomme était un symbole utilisé par Jacques Chirac sur la couverture de son livre “La France pour tous”. Cet arbre a été repris dans les sketchs des Guignols de l’info et tourné en dérision, avec la marionnette de Jacques Chirac lancant “Mangez des pommes”. Claude Chirac, la fille et conseillère en communication du candidat, perçoit l’opportunité de ce symbole repris par une émission très populaire chez les jeunes. Le RPR reprend alors la pomme pour toutes ses communications, en offrant par exemple des pommes à la sortie des meetings.
Sur son affiche, Jacques Chirac n’est plus le séducteur de 1988. Il a vieilli et s’affirme désormais comme un “sage campagnard”. Lors de ses interventions, il rappelle volontiers son attachement à la Corrèze. Son regard n’est plus celui d’un séducteur méditerranéen, il est tourné symboliquement vers l’avenir plutôt que vers l’électeur. En quelque sorte, Chirac reprend à son compte la rhétorique visuelle de “la force tranquille” Mitterand de 1981.
En seconde position au premier tour devant Edouard Balladur, l’élection de Jacques Chirac à la présidence ne fait plus aucun doute. Au second tour, il remporte une victoire logique face à Lionel Jospin, avec qui la cohabitation s’enclenchera deux ans plus tard.
2002 – Le patriarche
En 2002, Jacques Chirac n’a en quelque sorte plus rien à prouver. Il est le dinosaure de la politique française et se montre sur ses affiches non plus en candidat idéal, mais en président naturel, évident. Le slogan est paradoxalement aussi ambitieux que passe-partout. Saluant la foule ou installé dans un décor élyséen, Jacques Chirac s’inscrit dans l’assise présidentielle, stable, il est un patriarche.
Le marketing politique, en savoir plus…
Importante figure de la communication dans la deuxième moitié du 20ème siècle en France, Michel Bongrand a conceptualisé le “marketing politique”. Conseiller en communication politique, Bongrand a accompagné les présidents De Gaulle, Pompidou et Giscard. Dans les années quatre-vingt-dix, il a publié un ouvrage sur le marketing politique, qui est devenu une référence en la matière. Puis, dans les années 2000 est paru un autre ouvrage, relatant de son expérience de conseiller ; “Le marketing politicien : Grandeur et décadence des stratégies de pouvoir”.
Autre ouvrage intéressant sur le sujet, le recueil d’affiches présidentielles réalisé par Christian Delporte : “Images et politiques en France au 20ème siècle”.