Sénatoriales 2023 (1) : présentation
« La France gouvernée par une assemblée unique ; c’est-à-dire l’océan gouverné par l’ouragan. » (Victor Hugo, le 4 novembre 1848).
Si, ces dernières semaines, vous avez croisé un ou plusieurs sénateurs au forum des associations de votre commune, quand vous avez inscrit votre enfant à un club de gym ou à un atelier de dessin, ou à l'inauguration du nouveau terrain de boules, ou lors d'autre événement mondial d'importance locale, c'est normal ! Dans la moitié des départements, il y a des élections sénatoriales qui se dérouleront ce dimanche 24 septembre 2023. Cela se passe en général à la préfecture ou dans un autre bâtiment public (cité judiciaire, etc.) du chef-lieu du département concerné.
En général, on voit rarement les sénateurs dans les manifestations très locales, même s'il y a des heureuses exceptions (je connais une sénatrice qui, hors période électorale, vient même un dimanche à 17 heures remettre le prix du meilleur artiste communal, et encore, elle avait encore une autre réunion dans une autre ville du département une heure plus tard). Un mandat parlementaire est très chronophage parce qu'il est à la fois un élu national (il fait les lois, il contrôle le gouvernement, ce sont les deux axes centraux d'un régime parlementaire) et un élu local qui doit rencontrer les élus et les habitants de son département, de sa circonscription, etc.
Et n'allez pas croire que la réputation des sénateurs de ne rien faire est justifiée. Il fut une époque où certains pouvaient se le permettre, six mois de campagne pour neuf ans de mandat avec des grands électeurs au mandat quasi-impératif, selon la consigne politique des maires de leur commune. Maintenant, c'est six ans (depuis la loi organique du 30 juillet 2003), ce qui est sain pour la démocratie, pour respirer, elle doit se renouveler fréquemment, et les maires ont plus de mal à donner des consignes, les grands électeurs, de moins en moins politisés, préfèrent maintenant réfléchir par eux-mêmes, ce qui est également très sain et peut amener à quelques surprises dans certains départements.
Au contraire de l'Assemblée Nationale qui est une assemblée très politique pour ne pas dire politicienne, car les députés sont directement élus par les citoyens, investis par les partis politiques et leur importance sur les sénateurs est constitutionnellement indéniable puisqu'ils ont toujours le dernier mot dans la confection des lois, le Sénat est une chambre beaucoup plus feutrée, très indépendante des partis (très jalouse de cette indépendance) et qui travaille plus efficacement pour la société parce que les sénateurs ne sont pas tributaires des modes, des sondages, de l'esprit du temps et surtout, des postures politiciennes souvent stériles. Les députés, c'est l'unité de temps, c'est du court terme, c'est l'immédiateté, c'est de la posture, c'est de la politique politicienne ; les sénateurs, c'est l'unité de lieu, c'est du long terme, c'est de la réflexion, c'est de la prospective. Pas étonnant que le roi Charles III s'adresse aux sénateurs ce jeudi 21 septembre 2023.
Le Sénat s'est ainsi ouvert beaucoup plus tôt que les députés aux forces vives de la nation, aux apprentis, aux enseignants, aux scientifiques, aux innovateurs, aux entrepreneurs, aux investisseurs (business angels) au cours d'événements annuels qui, depuis plusieurs décennies, sont devenus des rendez-vous nationaux voire internationaux très attendus. C'est aussi au sein de cette assemblée que sont construites les lois les moins clivantes, celles qui voient à long terme (par exemple, les premières lois de bioéthique), c'est au sein de cette assemblée que l'action du gouvernement est la mieux contrôlée (on a pu s'en apercevoir dans les enquêtes sur l'affaire Benalla, par exemple), parce que les sénateurs, même s'ils appartiennent à la majorité gouvernementale, sont soucieux de leur indépendance et du service à leur pays avant tout.
Même Gérard Larcher, dont il faut bien dire qu'il a le look du sénateur, si on pense au tour de taille (!), n'a rien d'un élu endormi. Au contraire, au sein des institutions actuelles, il est une pièce maîtresse entre un gouvernement qu'il ne soutient pas, une majorité sénatoriale bienveillante et un pays en proie aux divisions. Vétérinaire de chevaux, ancien maire de Rambouillet, ancien ministre, Gérard Larcher a été élu pour la première fois Président du Sénat à l'âge de 59 ans, ce n'était pas un vieillard et il ne l'est toujours pas, l'esprit alerte et fin politique sous ses airs sympathiques, très présent dans les médias, probablement (je ne suis pas dans les coulisses) à l'origine du texte final de la réforme des retraites, et probable futur passeur de nouvelles lois dans une configuration où la majorité parlementaire n'est que relative et pas absolue à l'Assemblée Nationale.
On est loin du temps de l'honorable Alain Poher, au demeurant fort sympathique, qui n'existait pas dans les médias ni dans le débat public, et qui semblait gérer un EHPAD de potentats politiques en fin de carrière sinon en fin de vie. Aujourd'hui, le sénateur le plus jeune est le socialiste Rémi Cardon qui a été élu dans la Somme en septembre 2020 à l'âge de 26 ans et 4 mois, battant le record du jeune maire RN de Fréjus David Rachline, élu sénateur du Var en septembre 2014 à l'âge de 26 ans et 10 mois. On est loin d'une maison de retraite, qui plus est initialement réservée aux plus de 35 ans (maintenant, le seuil a été descendu à 24 ans).
En 2023, les sénateurs renouvelables sont issus des départements allant dans l'ordre alphabétique du 37 (Indre-et-Loir) au 66 (Pyrénées-Orientales), des départements de la région parisienne ainsi que d'une partie des départements et territoires d'outre-mer. Le corps électoral est de plusieurs milliers de grands électeurs par département (selon l'importance démographique), principalement issus de toutes communes ainsi que les autres élus (députés, conseillers départementaux, conseillers régionaux, éventuellement membres d'assemblée territoriale).
Ce sont les délégués des conseils municipaux qui constituent la plus grande part de l'électorat (95% des grands électeurs) : généralement, ce sont les conseillers municipaux, certains seulement (pas tous) pour les communes à faible nombre d'habitants, tous les conseillers municipaux pour les autres et même, à partir d'un certaine population, des délégués supplémentaires élus spécifiquement par les conseils municipaux à la proportionnelle pour cette unique occasion. Ces grands électeurs sont désignés par les conseils municipaux au début du mois de juin. En 2023, ils sont au nombre de 162 000 (il y a donc environ un millier de grands électeurs par siège).
Par le corps électoral, les sénateurs sont indiscutablement les représentants des élus municipaux, et les résultats des élections municipales impactent grandement les résultats des élections sénatoriales, parfois avec un peu de retard. Ainsi, dans les grandes agglomérations, la gauche et les écologistes avaient obtenu de bons scores aux dernières élections municipales de 2020, ce qui a déjà eu un impact lors du renouvellement du Sénat de septembre 2020 et ce renouvellement de 2023 sera également encore impacté.
Le mode de scrutin est la proportionnelle pour tous les départements sauf pour les petits départements qui n'ont qu'un ou deux sénateurs, et dans ce dernier cas, les sénateurs sont élus au suffrage majoritaire, un peu comme les délégués de classe, au premier tour ceux qui ont reçus la majorité absolue et au second tour, à la majorité relative.
On pourra toujours discuter de la représentativité des sénateurs, mais les constitutionnalistes l'ont voulu ainsi : les députés représentent la population, les gens, les habitants, let les sénateurs représentent les territoires, l'espace, les communes. On sait bien qu'une grande commune est surtout une commune très peuplée, elle est riche car il y a de l'activité sur son territoire. Mais inversement, il existe des communes très peu peuplées, donc pauvres, qui jouissent d'un territoire très étendu ; celles-ci aussi doivent pouvoir avoir leur mot à dire, être entendues dans la définition des lois de la République, c'est ainsi le rôle du Sénat, chambre des territoires.
On comprend ainsi pourquoi les sénateurs vont souvent à la rencontre des élus municipaux, pas seulement en période de renouvellement (la campagne des sénatoriales dure six mois ; cette année, elle a commencé le 1er mars 2023), mais aussi pour venir les aider dans leurs projets, comprendre les difficultés, relayer les demandes à un État toujours plus tentaculaire, et puis, il faut bien le dire, la plupart des sénateurs ont eu d'abord une expérience de maire ou, au moins, de conseiller municipal. L'interdiction du cumul des mandats (loi organique du 14 février 2014) n'empêche donc pas de connaître la situation réelle que vivent les élus locaux.
Pour la campagne, il faut bien comprendre qu'avant la fin des vacances estivales, les grands électeurs ont la tête ailleurs, ils sont rarement politisés (à part les élus des grandes villes), et faire campagne en quatre semaines relève du marathon sénatorial : les départements ont plusieurs centaines de communes à visiter et aller à la rencontre des élus de chaque commune du département nécessite une certaine organisation. Faites le calcul : 20 jours pour 200 communes, cela fait aller à la rencontre de 10 municipalités par jour, dimanche compris. Si vous prenez deux heures de discussion pour vous présenter, présenter vos propositions et pour échanger avec les grands électeurs, cela fait vingt heures par jour sans compter le temps de transports...
Le renouvellement du 24 septembre 2023 va faire élire 170 sénateurs sur les 378 que compte le Sénat actuellement. Sauf erreur de comptage de ma part, 51 sénateurs sortants (sur les 170) ne se représentent pas pour leur renouvellement, soit qu'ils partent à la retraite, soit qu'ils préfèrent diriger une collectivité locale, soit encore que les conditions d'une nouvelle candidature ne sont pas réunies. Parmi eux, on peut citer les anciens ministres Gérard Longuet, André Vallini, Jean-Pierre Sueur, Alain Richard, Marie-Noëlle Lienemann et Valérie Létard, et aussi Jean-Louis Masson, Céline Boulay-Espéronnier, Philippe Dominati, Pierre Laurent, David Assouline, Ester Benbassa, Arnaud de Belenet, Éliane Assassi, etc.
Actuellement, le Sénat comporte huit groupes politiques : 145 sénateurs (dont 65 renouvelables) chez Les Républicains, 64 sénateurs socialistes (dont 33 renouvelables), 57 sénateurs (dont 29 renouvelables) de l'Union centriste, 24 sénateurs (dont 12 renouvelables) du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (macronistes de gauche), 15 sénateurs communistes (dont 11 renouvelables), 14 sénateurs (dont 7 renouvelables) du Rassemblement démocratique et social européen (centre gauche), 14 sénateurs (dont 7 renouvelables) chez Les Indépendants – République et territoires (macronistes de droite), et enfin 12 sénateurs écologistes (dont 4 renouvelables). Il faut remarquer qu'à part les communistes (les renouvelables sont principalement de la région parisienne) et les écologistes (peu de renouvelables en 2023 car la plupart ont été élus dès 2020 avec Bordeaux, Lyon, Poitiers, Strasbourg, Marseille, etc.), il y a une homogénéité dans les deux séries de renouvellement puisque les autres groupes sont renouvelables à peu près à moitié de leurs membres.
Mais l'enjeu des élections sénatoriales de 2023 ne se situe peut-être pas exclusivement dans les rapports de forces politiques au sein du Sénat. C'est l'objet de mon prochain article.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Sénatoriales 2023 (2) : les enjeux.
Sénatoriales 2023 (1) : présentation.
Gérard Larcher réélu Président du Sénat en 2020.
Les élections sénatoriales du 27 septembre 2020.
L’Assemblée Nationale en ordre de bataille pour la XVIe Législature.
Les élections législatives des 14 et 21 juin 2022.
L'élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022.
51 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON