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Accueil du site > Actualités > Politique > Thiers et la conversion monarchiste à la République (2)

Thiers et la conversion monarchiste à la République (2)

« Il avait 80 ans, mais sa ferme et lucide intelligence, son incroyable activité de corps et d’esprit, la vivacité de sa conversation et de ses allures, tout nous ôtait jusqu’à l’idée d’une fin prochaine. Ce vieillard, dont l’histoire était celle du pays depuis près de soixante ans, apparaissait déjà comme un personnage légendaire et, cependant, avec le passé, il représentait pour nous, pour la France républicaine et libérale, un avenir long et utile (…). Il avait encore des services à rendre, des conseils à donner, des hommes à éclairer (…) ; sa grande expérience, sa clairvoyance inaltérable, sa passion du bien public donnaient à ses avis une autorité tout à fait unique. » ("Le Temps", le 5 septembre 1877).



Il y a cent quarante ans, le 3 septembre 1877, Adolphe Thiers, l’un des grands hommes d’État qu’a connu la France du XIXe siècle, est mort à 80 ans. L’occasion de revenir sur sa carrière politique.

J’avais déjà évoqué son action comme jeune chef du gouvernement de Louis-Philippe durant la Monarchie de Juillet, à la réputation rapide d’historien et d’homme de lettres qui le fit élire très tôt à l’Académie française. Libéral du "centre gauche", il s’était opposé au Second Empire et s’était convaincu que l’intérêt de la bourgeoisie était dans une république conservatrice, qui permettait une pérennité institutionnelle et un contrôle des institutions par les conservateurs.

Lorsque le Second Empire se libéralisa, Thiers, par ses qualités de tribun, eut naturellement un ascendant important parmi les voix de l’opposition. Élu député le 30 mai 1863, il prit le leadership de l’opposition libérale grâce à l’Union libérale qu’il a créée et est devenue le premier parti d’opposition : « Quand ces élus, mandataires de l’opinion publique, chargés de l’exprimer, sont réunis ici, (…) il faut qu’ils puissent, à temps, opposer un utile contrôle à tous les actes du pouvoir. (…) Le but est celui-ci : c’est de faire que l’opinion publique (…) devienne la directrice de la marche du gouvernement. (…) Les partisans de la monarchie ont voulu, eux aussi, n’être pas moins libres que les citoyens de la République, et quel moyen ont-ils imaginé ? C’est au lieu de faire porter l’effort de l’opinion publique sur le chef de l’État, de le faire porter sur les dépositaires de son autorité, d’établir le débat non pas avec le souverain, mais avec les ministres, de manière que, le souverain ne changeant pas, la permanence du pouvoir étant assurée, quelque chose changeât, la politique. » (discours au Corps Législatif le 11 janvier 1864).

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Comme son collègue académicien Victor Hugo, Adolphe Thiers fut pendant le Second Empire républicain et opposant à Napoléon III, mais les deux hommes, Hugo et Thiers, n’ont jamais eu d’estime l’un pour l’autre, d’un point de vue politique et même littéraire (Thiers, qui avait fait venir beaucoup de ses amis à l’Académie française, vota quand même le 7 janvier 1841 la désignation de Victor Hugo à l’Académie française, mais avait refusé de le soutenir lors de la première tentative).

Après la proclamation de la République le 4 septembre 1870 (consécutive à la défaite de Sedan par Napoléon III), Thiers refusa les Affaires étrangères dans le gouvernement de la Défense nationale qui voulait poursuivre la guerre contre la Prusse, mais accepta la mission de trouver des soutiens extérieurs en se rendant dans de nombreuses capitales européennes du 13 septembre au 21 octobre 1870 (sans succès). Thiers commença des négociations d’armistice avec Bismarck en début novembre 1870 mais Jules Favre, le Ministre des Affaires étrangères, les interrompit. Finalement, l’armistice fut signé le 28 janvier 1871 entre la France et la Prusse, et devait être ratifié par une assemblée légitime qu’il fallait élire en France, qui n’avait plus ni régime ni parlement, seulement un gouvernement provisoire.

Les élections législatives se sont déroulées le 8 février 1871, après une campagne ultra-courte, et la nouvelle Assemblée Nationale, à majorité conservatrice et monarchiste, réunie à Bordeaux, a élu le 17 février 1871 Adolphe Thiers (élu dans une vingtaine de départements) à la fois "Chef du pouvoir exécutif de la République française" et chef du gouvernement.

Ayant obtenu le pouvoir et la légitimité, Thiers a pu négocier les mains libres avec Bismarck un premier traité de paix avec la Prusse le 26 février 1871 (ratifié le 1er mars 1871 par les députés) puis le Traité de Francfort le 10 mai 1871. Dans ces traités, la France perdait un grand territoire, l’Alsace (sauf Belfort), la Moselle (sauf Briey) ainsi qu’un bout de la Meurthe (Château-Salins). Ces annexions furent à l’origine d’un esprit revanchard germanophobe qui dura jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Parallèlement à ces négociations, Thiers devait faire face au "peuple de Paris" qui souhaitait poursuivre la guerre contre les Prussiens qui commencèrent à occuper la capitale le 1er mars 1871. Une poursuite de toute façon peu réaliste, étant donné l’état des forces françaises. Par prudence, le 10 mars 1871, il avait choisi d’installer à Versailles le siège de l’Assemblée.

Le 18 mars 1871, craignant une insurrection parisienne, Thiers voulut récupérer discrètement des canons de la Garde nationale à Montmartre, mais les gardes nationaux ainsi que la foule arrêtèrent et exécutèrent deux généraux versaillais. Ce fut le début des émeutes à Paris. Victor Hugo nota dans son journal : « Thiers, en voulant reprendre les canons de Belleville, a été fin là où il fallait être profond. Il a jeté l’étincelle sur la poudrière. Thiers, c’est l’étourderie préméditée. » ("Choses vues").

Georges Clemenceau, jeune député et maire de Montmartre, avait tenté de parlementer avec les deux camps, comprenant la colère des Parisiens mais souhaitant absolument le maintien du cadre de la légalité. Clemenceau en voulut à Thiers qu’il considéra comme un provocateur, mais fut aussi impressionné par la violence des insurgés : « Tout cela poussait des cris de bêtes sauvages. ». Le 20 mars 1871, Clemenceau proposa à Versailles une proposition de loi pour élire un conseil municipal de Paris mais cette proposition fut repoussée par l’Assemblée. Le 28 mars 1871, la Commune de Paris fut proclamée et Thiers envoya les troupes sous les ordres du maréchal Patrice de Mac-Mahon (futur Président de la République) pour réprimer l’insurrection. Après un siège, la reconquête de Paris fut réalisée le 21 mai 1871 après le massacre d’environ 20 000 personnes, dont des femmes et des enfants.

Après la Commune, Thiers s’est attaqué à des réformes de fond sur les finances et l’administration de l’État. La majorité monarchiste était heureuse d’avoir laissé Thiers faire le sale boulot (réprimer dans le sang la Commune, d’inspiration républicaine). En effet, la victoire de la Commune aurait compromis la restauration monarchique et aurait laissé entendre que le retour du roi se serait fait contre le peuple et pas avec le peuple.

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Ce fut pour cette raison que Thiers garda la confiance de cette majorité, mais ce dernier voulut cependant réaffirmer le caractère républicain du régime et, par la loi Rivet, son titre devint le 31 août 1871 "Président de la République française", mais la fonction était révocable à tout moment par l’Assemblée. Le 2 septembre 1871, un proche de Thiers, Jules Dufaure, Ministre de la Justice, fut nommé par Thiers "Vice-Président du Conseil des ministres", un titre qui le plaçait à la tête du gouvernement dans la mesure où Thiers, Président de la République était aussi, formellement, Président du Conseil des ministres.

Rappelons aussi que le 5 juillet 1871, les monarchistes avaient échoué dans leur tentative de restauration monarchique : le comte de Chambord (Henri d’Artois, duc de Bordeaux), petit-fils de Charles X, refusa la condition des orléanistes d’adopter le drapeau tricolore en prenant le pouvoir. L’absence d’unité entre légitimistes et orléanistes a fait le jeu de Thiers qui conservait ainsi le pouvoir "en attendant" (qu’ils se missent d’accord). Thiers en profita pour faire avancer la République et l’ancrer dans l’histoire, le 13 novembre 1872 : « La République existe, c’est le gouvernement légal du pays. Vouloir autre chose serait une nouvelle révolution et la plus redoutable de toutes. ».

Adolphe Thiers avait un grand talent de débatteur devant les députés et était capable d’y retourner des opinions. Pour éviter qu’il fût trop convaincant, la majorité monarchiste, sous l’impulsion d’Albert de Broglie (fils de Victor de Broglie), chef des monarchistes et futur Vice-Président du Conseil, vota le 13 mars 1873 une loi empêchant tout débat à la suite d’une déclaration du Président aux parlementaires.

Lorsque les lois constitutionnelles régissant la future IIIe République furent votées, deux ans plus tard, à cause du précédent Thiers, le Président de la République fut formellement écarté du Parlement, interdit de déclaration et de débat avec les parlementaires (au nom du principe de séparation des pouvoirs), ayant uniquement le droit de s’adresser aux parlementaires par le moyen d’un message écrit lu par le président des assemblées (disposition reprise sous la IVe République et la Ve République).

Il fallut attendre la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 voulue par Nicolas Sarkozy pour redonner droit au Président de la République de s’exprimer devant les parlementaires, et le législateur l’a accepté seulement sous condition que cela ne fût suivi d’aucun débat ni vote, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles et dans la limite d’une fois par an (ce droit a été utilisé deux fois, par Nicolas Sarkozy le 23 juin 2009 pour présenter le grand emprunt d’investissement, et par François Hollande le 16 novembre 2015 à la suite des attentats de Paris).

Au fur et à mesure que le temps s’écoulait, des élections partielles favorisaient les républicains au détriment des monarchistes dont la majorité s’effritait. Parallèlement, Thiers n’avait plus beaucoup d’utilité aux parlementaires à partir du 15 mars 1873 et de l’accord signé avec l’Allemagne pour évacuer les troupes d’occupation du territoire français.

En avril 1873, l’échec du candidat monarchiste modéré Charles de Rémusat, allié de Thiers sous la Monarchie de Juillet et son actuel Ministre des Affaires étrangères (du 2 août 1871 au 25 mai 1873), dans une élection partielle, provoqua une forte agitation à la Bourse de Paris. En effet, Thiers avait soutenu très activement sa candidature et l’échec de Rémusat était en partie le sien.

Pour reprendre la main, Thiers démissionna le lendemain, le 24 mai 1873, en pensant qu’il serait immédiatement rappelé par l’Assemblée. Dans son message à l’Assemblée, il expliqua : « J’ai pris mon parti sur la question de la République. Oui, je l’ai pris. Ce qui m’y a décidé, c’est qu’aujourd’hui, pour vous, pour nous, la monarchie est impossible. On n’occupa pas un trône à trois ! ».

Erreur fatale : le même jour, les parlementaires lui ont préféré un légitimiste d’autant plus fiable que la personnalité était faible, le maréchal Patrice de Mac-Mahon, élu Président de la République pour sept ans, une durée suffisamment longue, selon la majorité monarchiste, pour que le différend entre orléanistes et légitimistes se résolût "naturellement" (à savoir, que le comte de Chambord mourût sans descendance, laissant au comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe, l’unique prétention au trône).

Succédant le 25 mai 1873 à Jules Dufaure, Albert de Broglie forma un nouveau gouvernement (dit de "l’ordre moral"). Finalement, l’Assemblée se transforma avec une majorité républicaine quelques années plus tard (crise du 16 mai 1877), rendant définitivement impossible toute restauration monarchique, et le comte de Chambord est mort le 24 août 1883.

Quant à Thiers, éliminé du pouvoir, redevenu simple député, il passa quatre années à rédiger ses souvenirs avant de mourir à 80 ans le 3 septembre 1877 à Saint-Germain-en-Laye.

C’est probablement l’historien lorrain François Roth, ancien professeur à l’Université de Nancy, décédé récemment des suites d’un accident de la circulation (le 5 mai 2016), qui a évoqué le mieux la postérité d’Adolphe Thiers : « Il faut débarrasser la mémoire de Thiers des légendes qui l’obscurcissent. La plupart de ses contemporains l’ont porté aux nues et n’ont pas tari d’éloges sur "l’illustre négociateur", sur l’éminente sagesse de "l’illustre homme d’État". Les historiens du début du siècle ont baissé un peu le ton tout en l’approuvant. Puis un courant d’opinion amorcé par les ouvrages d’Henri Guillemin l’a rejeté. Pour les insurgés de 1968 et les célébrants intellectuels du centenaire de la Commune, le cas de Thiers n’est même plus plaidable. (…) Il faut toujours revenir au contexte de février 1871. Avec ce qui restait d’armée, la reprise de la guerre était une totale illusion. (…) Thiers a été suivi, la mort dans l’âme, par l’immense majorité de ses compatriotes. » ("La Guerre de 70", éd. Fayard, 1990).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 septembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Adolphe Thiers.
Napoléon III.
Georges Clemenceau.
Victor Hugo.
L’élection présidentielle de 1848.
Le Traité de Vienne.
Napoléon Ier.
Sarajevo.
De Gaulle.

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5 réactions à cet article    


  • eddofr eddofr 4 septembre 2017 17:04

    Pauvre Adolphe.


    Vite !

    Il y a urgence, rétablissons la mémoire de Saint Adolphe !

    Faisons le canoniser par le Pape !

    C’est vrai quoi, « dans le contexte », 20 000 morts, c’est rien. Et puis c’était que de la populace vociférante ...

    • Dom66 Dom66 4 septembre 2017 18:00

      C’est dommage il n’y a pas la possibilité de mettre moins d’une étoile.

      Un article sur Adolphe ou un article sur une grosse mer**, il faut le faire...enfin...

       un ambitieux, traître à toutes les causes

      He ! rakoto lire ceci

      http://www.gauchemip.org/spip.php?article582

      répression de La Commune


      • soi même 5 septembre 2017 00:10

        Sylain fait Talleyrandisme politique, insubmersible écrivaillon des marronniers.


        • lionel 5 septembre 2017 10:52

          Un des énièmes traîtres au peuple français qui « meublent » notre histoire de France et qui fait que bon nombre continuent de croire en la démocratie républicaine.
          Trahison, sous la commune, des 3 jules, Trochu, Ferry, Picard et de leur compère Thiers. Trahison de Bazaine, retranché dans Metz avec plus de 200000 hommes et un arsenal qui aurait fait capituler les prussiens, s’il était sorti de son abri retranché, et les avait coupé de leur base. Trahison envers Gambetta, qui s’échinait à reconstituer des armées en province que ces traîtres s’escrimaient à démotiver et à défaire.
          Trahison envers la France pour la capitulation et la perte de l’Alsace Lorraine et des millions d’or d’indemnités versés à la Prusse. Trahison envers les communards qui se sont battus pour leur pays et qui ont été pourchassés, massacrés, exilés...
          Comment peut-on écrire une ode à ce genre d’infâme politicard aux ordres des Rothschilds, déjà...
          Et scandale du Sacré Cœur érigé sur les dépouilles de vrais patriotes.


          • Pyrathome Pyrathome 5 septembre 2017 13:20

            Sarkotoarison qui vient nous faire l’éloge et l’apologie d’un des pires criminels de son époque...

            Quelle honte, mais quelle HONTE !!

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