Darwin, Einstein et Heidegger, trois géants qu’il faut dépasser au XXIe siècle
Liminaire sur l’achèvement d’un monde
Le cours incertain du monde, les peurs climatiques, sanitaires, géopolitiques, technologiques, placent les uns en état de sidération et les autres en situation d’excitation, motivés par tous ces changements et les perspectives de réussite matérielle. L’ancien monde de l’après-guerre s’en est allé. Il s’est d’ailleurs effiloché quelque dix ans après mai 68, avec en guise d’autopsie le verdict de Lyotard sur la fin des grands récits. Régis Debray voit dans cette époque de transition la fin de la graphosphère, supplantée par la vidéosphère, née avec les écrans cathodiques et maintenant accomplie avec la tubopshère. Pendant ce temps, le monde occidental a perdu sa christianité. De décennie en décennie, la culture a convergé vers des standards, se desséchant peu à peu, pour faire place à une industrie des produits culturels promus sur les médias mainstream. La pensée est dispersée entre l’académisme stérile et l’essai pour grand public.
Quelques découvertes scientifiques importantes se sont produites entre les années 1990 et 2010, mais pas de quoi changer la conception scientifique du monde. La science paraît achevée dans ses principes. Comme du reste la philosophie qui pour Heidegger, a pris fin avec Nietzsche et la fin de l’histoire de la métaphysique qui est aussi l’histoire de l’être avec l’oubli de l’Etre. L’autre volet de cette histoire, c’est la technique et la cybernétique comme réalisation ultime de la métaphysique. Mais il y a encore plus ultime, c’est l’intelligence artificielle dont le principe est la cybernétique appliquée au flux de data. Avec des craintes sur les manipulations et l’apparition d’un néologisme, l’infocalypse, pour désigner la perte de contrôle des informations et la falsification globale bien au-delà des fake news.
Nous Occidentaux, allons quelque part, scindés en deux groupes, ceux qui cherchent à savoir où l’on va et ceux dont la maxime est : quand l’on ne sait pas où l’on va, il faut tout faire pour y aller. A l’écart, quelques penseurs ont une autre vision et tentent d’aller dans des univers inédits. Mais pour cela, il faut franchir trois « portes », la cosmologie d’Einstein, l’évolution de Darwin et la métaphysique de Heidegger. Les deux premières portes semblent cadenassées et ceux qui disposent de quelques clés pour les ouvrir sont surveillés par la communauté. Seule la porte philosophique est entrouverte. On y décèle un univers étrange mais Heidegger n’a pas livré les clés herméneutiques pour s’y déplacer. Le XXIe siècle se précise autour d’une alternative entre la prolongation de la technoscience, du numérique, de la cybernétique, de l’IA ; et l’ouverture vers de nouvelles connaissances sur la matière, le cosmos, la vie et l’existence humaine. Ouvrir suppose que l’on dépasse les trois piliers de la modernité accomplie.
Comment dépasser Einstein et la physique contemporaine ? Notons la trace de Spinoza dans la cosmologie relativiste. Dans L’Ethique, la pensée et l’étendue sont deux attributs divins. Il n’y a pas de différence ontologique entre la pensée et l’espace. La pensée est un pôle matière, l’espace est vide de matière. Le principe de la relativité, il n’y a pas de différence épistémologique entre la matière et l’espace. Les deux tenseurs sont égaux et la matière est transformable en espace. Réciproquement, la matière est une zone de l’espace dans laquelle l’énergie est extrêmement dense. A partir d’un seuil de densité, l’espace est absorbé par la matière et c’est le trou noir, singularité qui marque la fin d’une étoile dense. L’autre singularité étant le big bang. L’univers s’étend, il est pensé comme un étant mais pas comme fondé en essence. Le dépassement de la cosmologie se fera par la voie des essences, qui est aussi la voie « naturelle » et métaphysique ouverte par la physique quantique et particulaire. Une formulation mathématique sera nécessaire. Il est certain qu’il faudra réécrire les formules sans passer par la relativité générale. Ainsi émergera, si cela est possible, la cosmodynamique quantique. La physique reste inachevée, scindée en une dynamique des communications et une dynamique des dispositions. L’unité des deux physiques se fera par une métaphysique des essences. L’avenir dira ce qu’il est possible de faire dans le domaine quantique qui n’a pas encore livré ses secrets. A moins que la physique ne soit achevée.
Deux traces inattendues se dessinent, celle de Plotin avec les deux matières et celle d’Heidegger avec le Dasein interprétable comme un cosmos qui se comprend à partir de lui-même. Un cosmos qui se retourne, à l’image du spin quantique. Le secret du dépassement est dans la physique quantique, communications et orientations. Une phénoménologie spéculative en vue !
Comment dépasser Darwin ? Et pourquoi le dépasser ? Le grand résultat de Darwin, c’est d’avoir rendu certaine la thèse de l’apparition des espèces comme le résultat d’un long processus naturel ; autrement dit, les espèces n’ont pas été créées par un Dieu en un seul jet. La vie a une histoire, très longue, chiffrée à plus de deux milliards d’années si l’on remonte à l’apparition des premières cellules et quelques centaines de millions d’années pour les espèces animales. La vie a une histoire, comme les hommes, dont l’Histoire occupe une infime portion du temps géologique. Quelques milliers d’années. L’Histoire des hommes est accessible à une explication. L’histoire de la vie a elle aussi une explication. Actuellement, la théorie synthétique repose sur trois éléments, les mutations, les recombinaisons et la sélection naturelle. La découverte de l’ADN a offert des images mécanistes pour concevoir les mutations à partir d’une modification des lettres de l’ADN alors que les recombinaisons ont été comprises comme une fusion de deux patrimoines génétiques effectuée par les gamètes lors de la fécondation.
La sélection naturelle est un processus « vérifié » dans quelques situations comme le célèbre exemple du phalène du bouleau dont la forme claire a fait place à une forme foncée lorsque les bouleaux furent noircis par les fumées d’usine dans l’Angleterre industrielle. C’est bien une sélection naturelle qui a été constatée mais il n’y a pas eu de spéciation. C’est une adaptation. Dans le cadre darwinien, la sélection naturelle produit deux effets, l’adaptation des espèces et l’apparition des espèces qui elle, constitue la spéciation et reste une énigme. Aucun évolutionniste digne de ce nom ne peut se contenter de la théorie actuelle de l’évolution. Dans ce domaine aussi, la métaphysique des essences pourra jouer un rôle décisif en permettant de voir sous un angle inédit l’énigme de la spéciation qui se conçoit comme un ensemble d’émergences pouvant être coordonnées. Une nouvelle théorie est en vue pour ceux qui savent « voir ».
La recombinaison est interprétée comme brassage de génomes et donc source de diversité. C’est le plus souvent l’inverse qui se produit. La recombinaison est consécutive à l’accouplement ; elle est la cause et le résultat de l’interfécondité ; elle stabilise le génome de l’espèce et produit la spéciation. Cette remarque illustre la nécessite de briser le totem de la diversité. La Nature crée aussi de l’identique (de l’unité) participant à la formation d’un cosmos d’espèces.
Comment dépasser Heidegger ? La fin de la métaphysique a été annoncée mais est-on certain qu’elle est achevée ? En vérité, la métaphysique est amenée à être construite sous une forme inédite, en lien avec la mécanique quantique, la notion d’Information, et conçue comme métaphysique des essences dynamiques. La théologie trinitaire a aussi des éléments à fournir. C’est par les essences que la compréhension de l’Etre se dessinera. Le dépassement de la métaphysique nécessite la mobilisation de la pensée, de la conscience ainsi que la maîtrise de quelques champs scientifiques, sans oublier un art de la sémantique pour choisir les mots et inventer les formules permettant de dire le réel qui règne sous les étants.
Le dépassement de la métaphysique impose de comprendre la cosmologie intérieure du Dasein élaborée par Heidegger. En 1920, trois savants comprenaient la relativité générale. Combien ont compris Heidegger ? Les équations relativistes ouvrent vers plusieurs solutions pour le cosmos. Quelles sont alors les solutions possibles du Dasein en sachant que l’Etre est unique mais sans constituer une solution. Entre le Dasein (vécu cosmologique) et l’Etre, il existe une infinité de solutions, et pour chaque homme, sa propre solution qui dépend de son histoire et de l’essence qu’il s’est constitué en relation avec d’autres essences (humanités) et s’il y a lieu, en résonance avec l’Etre.
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Cette sentence de Rabelais mérite d’être transposée. Une science sans essences produit une connaissance sans âme.
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