Portraits d’Islam (5) : Soliman le Magnifique, le César Musulman
Sans doute faut-il y voir un genre de privilège papal : après Jean-Paul II, présenté par certains comme « responsable » de l’épidémie de Sida ravageant l’Afrique, en raison de ses positions sur l’usage du préservatif, nous voici donc avec Benoît XVI, ex-Panzerkardinal, accusé de vouloir accélérer le Choc des Civilisations cher à monsieur Samuel Huntington.
Deux plaisanteries douteuses. Deux vains mensonges.
Mais sans doute faudrait-il citer le passage de ce discours qui a suscité tant de cris et d’indignation. Sorti de tout contexte -et notamment des mots mêmes du Pape, que je rappellerai ensuite- et jeté en pâture à la bêtise médiatique, ils ont effectivement quelque chose de choquant pour un musulman, ou pour toute personne ayant quelque connaissance de l’Islam, de sa complexité et de sa diversité : "Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait". De quoi contenter et gaver les estomacs toujours affamés et hurlants des tenants du Choc des Civilisations, qu’ils soient néo-conservateurs -ou autre tendance assimilable- ou islamistes.
Rappelons tout d’abord deux choses : d’abord le Pape ne faisait là que citer une partie d’un dialogue entre l’empereur Manuel II de Byzance et un érudit persan, à la fin du XIVè siècle. Ensuite, Benoît XVI ne manqua pas de s’étonner de la rudesse et du ton « si peu amène » employé par l’empereur.
Or, c’est précisément ce ton rude et sans concession qui m’intéresse. Car de fait, qui parle ? Manuel II, l’avant-dernier empereur Paléologue de Byzance, souverain d’un empire qui se réduit comme une peau de chagrin sous les coups répétés d’un adversaire devant lequel l’ancienne capitale de l’Empire romain d’Orient pliera bientôt : les Turcs.
Si bien qu’on ne peut, en réalité, guère s’étonner de la tonalité des propos de l’Empereur : de quelque côté qu’il tourne son regard, il ne voit que des Turcs. Le vent n’apporte plus à ses oreilles d’autres bruits que le claquement moqueur et menaçant des bannières de l’Islam, celles qui flottent au-dessus des armées conquérantes des Ottomans qui rêvent de faire de Constantinople leur capitale. La cité sera d’ailleurs assiégée à plusieurs reprises sous le règne du même Manuel II, et elle ne devra son salut, bien éphémère cependant, qu’à l’irruption de Tamerlan et de ses armées dans les provinces orientales sous domination turque. Et chacun connaît la fin de l’histoire : le 29 mai 1453, Constantinople tombe finalement aux mains des Turcs menés par Mehmed II le Conquérant. Le futur Süleyman Ier, Soliman le Magnifique pour les Européens, qui naît quarante-et-un ans plus tard, en novembre 1494, à Trébizonde, sur les rives de la Mer Noire, est donc avant toute chose l’héritier d’une gloire aux multiples facettes.
Prince de la Maison d’Osman, Soliman saura se montrer à la hauteur des qualités exceptionnelles dont ont fait montre ses ancêtres : Osman et Orhan, les fondateurs de la dynastie et de l’État ottoman, Murad Ier, Bayezid Ier, Mehmed Ier, Murad II, qui consolidèrent ou agrandirent les possessions turques, Mehmed II le tombeur de Constantinople, Bayezid II et Selim le Cruel, conquérant de la Syrie et de l’Égypte. Neuf dirigeants de grande envergure, organisés, fins diplomates et habiles commandants, qui léguèrent à Soliman un empire qui était déjà une puissance méditerranéenne de premier plan, présente sur trois continents, brassant moult religions et peuples, et qui se veut, dès l’époque de Mehmed le Conquérant, une nouvelle Rome : bien qu’héritiers de gazi, combattants destinés à répandre l’Islam par la force de leurs armes, les sultans ottomans se virent très tôt comme assumant un héritage impérial millénaire, extérieur au monde islamique, celui de Rome et de Byzance.
Soliman lui-même ne dira jamais rien d’autre, et il l’exprimera de bien belle et nette manière au cours des quelques trois décennies qui l’opposeront à Charles Quint, l’empereur du Saint Empire, qu’il désignera toujours de son titre de roi d’Espagne, afin de lui nier toute dignité impériale.
Héritier de la Maison d’Osman et de la gloire romano-byzantine, Soliman l’est aussi d’un des plus grands conquérants de l’histoire, en la personne de Gengis Khan : la mère du futur sultan, Hafsa Hatun, était très vraisemblablement la fille de Mengi Giray, le Khan des Tartares de Crimée, descendant de Djöchi, le fils aîné de Gengis Khan.
En 1520, Soliman a vingt-cinq ans lorsqu’il ceint le sabre d’Osman et succède à son père Selim. Ce dernier n’a régné que pendant une courte période de huit ans, au cours de laquelle il aura pourtant renforcé l’empire, conquis la Syrie, arraché l’Égypte aux Mamelouks et pris le titre de "Protecteur des Lieux Saints de La Mecque et de Médine", apparemment au cours d’une cérémonie très officielle à la grande mosquée d’Alep, fin août 1516, en présence d’al-Mutawakkil, le dernier des Califes abbassides. C’est donc un quadruple héritage que devra assumer Soliman : musulman, dans la mesure où il est, non pas de jure car cette question a toujours été des plus épineuses, mais au minimum de facto, de par son statut de plus puissant souverain du monde islamique, le Calife ; asiatique et byzantin, car dans ses veines coule le sang, non seulement de Gengis Khan mais aussi celui des empereurs de Byzance ; et greco-romain, puisqu’il se considère lui-même comme le successeur des César, aspirant à la domination universelle.
Les débuts de son règne lui auront été grandement facilité par son père : là où la "tradition" ottomane consistait pour les fils du sultan à s’entretuer gaiement pour le trône, puis, en vertu de la Loi du Fratricide instaurée par Mehmed II, à se débarrasser de toute la descendance mâle de ses rivaux malchanceux, Soliman n’eut qu’à attendre la mort de Selim, car ce dernier avait, semble-t-il, déjà fait le ménage en faisant tuer ses propres fils. Que ce fût pour les punir d’une quelconque rébellion ou, de façon plus pragmatique, afin de ménager la voie vers le pouvoir à celui de ses enfants qu’il considérait comme le plus apte à régner reste une question ouverte. Toujours est-il que c’était bien dans les manières du personnage : Selim Ier n’avait pas démérité de son surnom de Yavuz, le Cruel, et son règne avait été un long bain de sang, auréolé à parts égales de gloire et de terreur.
Aussi bien ne faut-il pas s’étonner que sa mort et l’accession au pouvoir de Soliman furent accueillis avec un soupir de soulagement dans tout l’empire, et notamment à Constantinople où plus d’une tête avait roulé à bas des épaules qui la soutenaient au cours des huit années de règne de Selim. De fait, Soliman se faisait une haute idée de son rôle de souverain, estimant qu’il tenait ce pouvoir de Dieu, non pour lui-même et la satisfaction de ses caprices personnels, mais pour le bien des sujets de l’empire, substituant cette conception à celle, bien particulière, que son père se faisait du bien public : "N’est-il pas permis de mettre à mort les deux tiers des habitants de l’empire pour le plus grand bien de l’autre tiers ?" avait un jour demandé Selim à un grand mufti estomaqué, à propos de la condamnation à mort de quatre cents commerçants coupables d’avoir enfreint son interdiction d’échanger des marchandises avec les Perses.
Les premières années du règne du nouveau sultan sont toutefois résolument tournées vers la conquête, qui demeure la raison d’être de l’Empire ottoman... raison d’être de tout empire qui se respecte, pourrait-on ajouter, mais ce fameux quadruple héritage renforce encore cette raison d’être, et bien plus encore depuis que le sultan de Constantinople peut prétendre à la direction de la communauté musulmane. Car il lui appartient, dès lors, de repousser les frontières de l’Islam sunnite qui se confondent, au moins dans son esprit, ou au moins pour la propagande ottomane, avec celles de l’empire. Soliman aura d’ailleurs comme adversaires irréductibles non seulement Charles Quint, mais aussi le Chah de Perse, foyer central du chiisme.
Commandant efficace ayant à sa disposition ce qui est à l’époque la première armée du monde, Soliman ira de victoire en victoire, et bien peu de défaites viendront ternir l’éclat de ses campagnes militaires. Il s’empara d’abord de Belgrade, en 1521, simple prélude à l’invasion et à la soumission future de la Hongrie. L’année suivante, il attaque Rhodes et en chasse les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean, et en 1526 il triomphe lors de la bataille de Mohacs qui lui ouvre les portes de Buda et lui permet de vassaliser la Hongrie. En 1529, Barberousse prend Alger. La même année, les armées de Soliman mettent le siège devant Vienne, faisant craindre à Charles Quint et à son frère Ferdinand une invasion de l’Autriche et de l’Allemagne, ou au minimum une campagne destructrice des Turcs sur les terres des Habsbourg.
La défaite de Soliman devant la capitale impériale, que l’on peut autant attribuer au talent et au courage des défenseurs de Vienne qu’au temps particulièrement ingrat qui obligea le Sultan à renoncer à cette proie de choix, ne mettra cependant pas un terme à son ambition de prouver qu’il est le seul véritable empereur : en 1532 débute une nouvelle campagne, une nouvelle fois tournée vers le Saint Empire. Elle durera sept mois, au cours desquels tomberont plusieurs cités et Soliman ravagera la Styrie, sans jamais réussir à obtenir ce qu’il veut, en l’occurrence affronter et vaincre Charles Quint sur le champ de bataille. Le Habsbourg, d’abord reclus dans Vienne, refusera le combat et profitera des détours de Soliman en Styrie pour rentrer en Espagne. Dans une lettre adressée au Doge de Venise, le Sultan ne manquera d’ailleurs pas de fustiger la lâcheté de ce "misérable fugitif". S’ensuivra la campagne des Deux Irak, entre 1533 et 1536, au terme de laquelle Soliman se rendra maître de Bagdad.
Ce sera la dernière grande campagne du Magnifique et, dès la fin de celle-ci, le règne de Soliman se teintera d’ombres, annonciatrices non seulement de la décadence de son pouvoir, mais aussi, plus largement, de l’Empire ottoman lui-même : l’exécution de son grand vizir et favori Ibrahim Pacha en 1536, puis celle de son fils aîné Mustafa en 1552, les deux à l’instigation de Roxelane, l’épouse préférée de Soliman, qui par son influence et son action inaugurera ce que l’Histoire retient sous le sobriquet de "Sultanat des Femmes", expression un peu réductrice qui recouvre, en fait, l’influence grandissante de la Cour Impériale dans son ensemble, le développement des intérêts particuliers et des intrigues qui contribueront très largement à affaiblir l’État. Incarnation de la rupture avec la marche glorieuse des dix premiers sultans, c’est Selim II, surnommé l’Ivrogne, qui ceint le sabre d’Osman après la mort de Soliman, le 6 septembre 1566, règne de courte durée qui inaugurera une série de gouvernants faibles et sans envergure, qui transformeront petit à petit l’Empire ottoman pour en faire cet "Homme malade de l’Europe" qui finira enterré après la Première Guerre Mondiale. Mais le legs de Soliman, lui, saura survivre à la désagrégation de l’empire.
Le précurseur du kémalisme
Car si, pour les Européens, Soliman fut, par la splendeur de sa cour, celle de ses réceptions, son soutien à toutes les formes d’art, "le Magnifique", il convient de ne pas oublier sous quel surnom les Turcs le connaissent : Kanuni, c’est-à-dire le Législateur. Et de fait, en dépit de ses triomphes militaires qui repoussèrent les frontières de l’Empire ottoman jusqu’à leur extrême limite, malgré sa contribution au rayonnement de la culture ottomane et à la grandeur architecturale de Constantinople, c’est bien son oeuvre en tant que législateur qui doit retenir l’attention. Et on pourrait, à cet égard, retenir cette formule ottomane célèbre, rappelée par André Clot dans sa biographie Soliman le Magnifique (Fayard) : "Pas d’État sans armée, pas d’armée sans argent, pas d’argent sans des sujets satisfaits, pas de sujets sans justice, sans justice pas d’État". Ainsi définissait-on le "Cercle de l’Équité", et d’une manière générale Soliman s’en tint à cette conception "moderne" d’un État qui édicte des règles et les fait appliquer, sans considération pour le rang social ou -tout aussi important dans le contexte présent- la religion du justiciable.
À rebours de certaines présentations historiques peu rigoureuses, les sultans ottomans firent, d’une manière générale, preuve d’une grande tolérance religieuse à l’égard des Chrétiens et Juifs vivant dans les frontières de leur empire. Le premier fondement de cette tolérance était à chercher dans le Coran lui-même, qui accordait aux autres "Gens du Livre" le statut de protégé, moyennant le paiement d’un impôt spécial, et en la matière les Turcs se contentèrent de respecter la chari’a. Cependant, deux autres facteurs sont à prendre en considération.
On notera en premier lieu que la conception particulière que les sultans ottomans se font de leur propre rôle depuis Mehmed II, celui de successeurs des empereurs romains, les conduit à ménager une place particulière à ces non-musulmans. La tolérance va pour ainsi dire de soi, et les religieux non-musulmans sont considérés comme des dignitaires. Ainsi en va-t-il notamment du Patriarche de Constantinople, qui dès Mehmed II jouit d’un statut enviable. En second lieu, c’est la structure même de l’Empire ottoman, celle d’un État-esclave, qui commande cette attitude relativement magnanime : il n’existe pas de noblesse héréditaire, hormis celle de la Maison d’Osman elle-même. Les postes de pouvoir dans l’administration et l’armée sont tous entre les mains de Chrétiens islamisés, recrutés très jeunes via le système du devshirme, sélectionnés pour leurs aptitudes physiques ou intellectuelles, et formés pour devenir l’élite de l’empire. Grands Vizirs et janissaires sont notamment recrutés de cette façon, et ce système, curieux mélange d’autoritarisme esclavagiste et d’authentique méritocratie, ne sera pas pour rien dans les triomphes des Ottomans jusqu’à la fin du règne de Soliman, en fournissant à l’empire des généraux de talent et des fonctionnaires hautement capables.
Nonobstant cette efficacité, l’être humain derrière la fonction demeure faillible. Soliman en était bien conscient, lui qui eut toujours à coeur de préserver les habitants de l’empire des méfaits de la corruption, de l’ambition ou de la seule cruauté. Gouverneurs de provinces (beylerbey), préfets (bey) et autres détenteurs d’une parcelle de pouvoir furent ainsi soumis à une législation fort sévère qui n’avait d’autre but que de limiter -dans la mesure où elle ne pouvait prétendre à les éliminer complètement- les injustices commises à l’encontre des sujets de la Sublime Porte. Aucune peine ne pouvait ainsi être infligée si elle n’était pas prévue par la loi. Le B.A.-ba de l’État de droit, que les Européens étaient encore loin de maîtriser.
Seuls les magistrats chargés de rendre la justice au nom du Sultan échappent au système du devshirme. Tous musulmans de naissance, ils suivent une formation qui peut durer jusqu’à vingt ans, et ont une place de premier plan dans la hiérarchie de l’Empire ottoman, et l’intérêt que porte Soliman à la bonne administration de la justice ne fera que renforcer cet état de fait. Le quadrillage juridictionnel se veut optimal : au sommet de la hiérarchie se trouve le Cheikh ul-Islam, qui a rang égal avec le Grand Vizir et nomme les cadis, et juste derrière viennent les kazasker de Roumélie et d’Anatolie, juges militaires et civils. Un cadi à Constantinople, deux cents en Europe, le même nombre en Asie, plus une trentaine en Égypte forment l’ossature principale de la justice ottomane, que complètent des naib, juges de districts, villes de petite taille ou villages.
Les Européens contemporains du règne de Soliman s’émerveillaient du bon fonctionnement de la justice du Grand Turc : rapide et équitable, deux qualités pas toujours associées en matière de justice, elle offrait une comparaison cinglante avec les tribunaux européens, bien souvent immoraux et corrompus, pour reprendre des termes d’observateurs de l’époque, par exemple l’orientaliste et philologue Guillaume Postel. D’autres remarquaient avec étonnement que les juges ottomans écoutaient avec la même attention des Musulmans, des Chrétiens ou des Juifs. Non pas que le système judiciaire ottoman ne connut jamais d’abus : ceux-ci existent en tous temps et en tous lieux. Mais sous le règne de Soliman, "justice" n’était pas un vain mot.
D’autant que cette justice ne se contentait pas d’appliquer une loi religieuse transmise aux hommes par Dieu. Bien que l’Islam hanafite constitua pendant longtemps le coeur de la législation ottomane, les sultans s’arrogèrent très vite un pouvoir d’interprétation -et, partant, de création- afin de l’adapter aux évolutions et besoins de l’empire et de sa population sans cesse grandissante. Matériellement, ce pouvoir se manifestait par des décrets, les Kanun, qui donnèrent son surnom de Kanuni à Soliman, le Législateur.
Là encore, il ne faisait que suivre, en allant plus loin, l’héritage familial : Mehmed II avait ainsi, après la prise de Constantinople, adopté tout un code de lois et de décrets en matière de droit pénal, de fiscalité et d’organisation de l’appareil d’État.
L’œuvre de Soliman dans ce domaine fut conséquente : secondé par des juristes talentueux, il promulgua quantité de décrets, certains applicables uniquement à certaines provinces -et concernant bien souvent, là encore, des questions fiscales ou militaires- et d’autres ayant une portée plus général, applicable partout dans l’empire. Au final, chaque province eut pratiquement droit à son propre code -Kanuname- en même temps que celui de l’empire, commencé sous Mehmed II, prit une ampleur considérable et se voyait fréquemment modifié en fonction des besoins, sous le règne du Législateur.
Mais ce qu’il est primordial de noter, c’est que, du fait de leur pouvoir modificatif, les Kanun, ces décrets du sultan se situent, dans la hiérarchie des lois, au-dessus de la chari’a, entraînant de fait la supériorité du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel. C’est en cela que Soliman le Magnifique ne fut qu’un précurseur de Mustafa Kemal ou, pour remettre les choses dans l’ordre, que le "Père des Turcs" ne fut qu’un continuateur de l’oeuvre du Législateur. Bien que le fondateur de la République turque fut passionné et s’inspira grandement des idées de la Révolution française et des Lumières, il ne fit que poursuivre un chemin dont les jalons avaient déjà été posés de longue date par les premiers sultans ottomans. Choc des Civilisations ? Ici, on parlera davantage de concorde, voire de fusion. Mustafa Kemal n’eut en réalité pas besoin d’aller chercher bien loin les leviers de la modernisation de la Turquie.
La nature même du kémalisme témoigne de cette filiation : par certains aspects, sa conception de la laïcité s’éloigne de la vision "séparatiste" que la France a entérinée en 1905 pour se rapprocher d’une forme de "gallicanisme" à la turque, système où l’État est non pas à côté de la religion, mais au-dessus, et où il garde toujours un oeil sur elle, et où il est toujours prêt à l’utiliser si le besoin devait s’en faire sentir. L’existence, au sein de la République turque, d’un Département des Affaires Religieuses, le Diyanet, en atteste.
Là réside l’ultime filiation de Soliman à Mustafa Kemal, de l’Empire ottoman à la République de Turquie : l’obsession centralisatrice, elle-même héritée, comme on l’a vu, du césaropapisme byzantin récupéré par Mehmed II et optimisé par Soliman le Magnifique. La boucle est ainsi bouclée, celle du Cercle de l’Équité précédemment évoqué. "Pas d’État sans armée, pas d’armée sans argent, pas d’argent sans des sujets satisfaits, pas de sujets sans justice, sans justice pas d’État". Soliman et Atatürk l’avaient tous deux fort bien compris.
Frédéric Alexandroff
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