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Acte manqué

Je recherchais la définition du mot travailler sur internet. Ses origines latines me laissèrent sans voix. Je pensais qu'il descendait d'un lointain aïeul vertueux et honirique qui signifierait "accomplir une œuvre", ou bien "construire un projet". Mais les profondes racines linguistiques de ce mot trempaient dans des couches beaucoup plus douteuses voir terrorisantes.

Le 20ème siècle découvre une nouvelle pathologie de la société nommée chômage. Est-t-elle si récente ? Peut-être pas. Mais c'est dans notre société qu'elle prend une connotation de maladie.

Et ce n'est pas qu'une question d'argent, même s'il est bien entendu que le chômage traîne souvent derrière lui un poids de difficultés voir de précarité. Pourquoi avons-nous crée une société avec une telle plaie. Nous avons réussi a produire un confort comme il n'a probablement jamais existé dans le Passé. Il suffit d'ouvrir un robinet pour que l'eau potable coule à profusion. Nous appuyons sur quelques boutons pour accomplir de multiples tâches. Nous mangeons des mets frais qui viennent de pays lointains. Les anciens rois dans toute leur gloire n'en n'avaient pas autant. Pourquoi donc avoir créé une société avec du chômage. Quel acte manqué.

Dans mon travail en séance, un acte manqué est comme une pépite d'or. C'est comme une bulle qui remonte du fond de l'inconscient et qui dévoile ses volontés profondes. Quel désir inconscient de notre société le chômage représente-t-il ? Quelle interrogation ce symptôme pose-t-il sur notre civilisation ? Serait-ce en raison de l'étymologie étonnante du mot travail ? C'est possible en effet car la filiation latine que racontent nos dictionnaires pourrait bien effrayer plus d'une société.

Je croisais un jour un de mes anciens professeurs dans une rue d'Aix en Provence. Mes résultats ne me laissaient pas supposer qu'il se souvienne de moi. Pourtant j'envoyai une salutation emprunte d'un respect tout enfantin à ce grand monsieur à la crinière blanche et au menton quelque peu hautin. Je fus surpris qu'il entame une discussion qui ressemblait plus à un monologue qu'à un échange. Il me confia qu'il avait pris sa retraite depuis peu de temps et que les cours lui manquaient. Son ton réussissait à unir le dynamisme qui le caractérisait et la déprime qui l'assaillait. Il me commentât la tendance dépressive qui l'envahissait depuis son départ à la retraite, ce qui ne m'étonna à l'époque mais qui ne me surprend guère aujourd'hui.

En effet, les nouveaux retraités sont nombreux à traverser une période dépressive. Le repos rémunéré est-il si laborieux ? Quels sont ces fantômes embusqués qui attendent la date de la détente espérée pour venir hanter l'heureux retraité ? Parce qu'il s'agit bien de fantômes, ces témoins de l'au-delà venant rappeler aux vivants qu'il sont mortels. Le travail les faisait fuir, les retenait à distance, l'inactivité les invoque. Le désœuvrement ramène son chargement d'angoisses virevoltant autour de la notion de mort. Travail et mort forme un couple ambigües et fidèle interpelant l'humain tout au long de sa vie. S'il invite à sa table un retraité, il saura aussi être accueillant avec les sans-travail de tout poil. Et le chômeur aussi recevra cette funèbre invitation.

Ainsi notre société si évoluée a créé des espaces pour des pensées noires, des temps pour angoisser à notre fin prochaine. Quel sens a tout cela ? Parce que c'est bien de sens qu'il s'agit. La mort est un appel à chercher une explication. L'inadmissible se drape d'une grande cape noire et nous pique au vif pour lui trouver une signification. La mort, cette grande inconnue, nous assigne à chercher du sens.

Ainsi la société, comme par un acte manqué magistrale, a réservé des temps de réflexion, des temps pour chercher, quitte à se faire du mal. Car c'est une particularité de l'inconscient, fut-il d'une société, que d'aller jusqu'à blesser ou tuer son hébergeur s'il ne l'écoute pas. Drôle de locataire qui se comportant d'ailleurs plutôt en propriétaire, n'hésite parfois pas à envahir les lieux quand un problème perdure.

"Le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas" disait André Malraux. Qui peut mieux qu'un ancien responsable politique décrypter l'inconscient de son pays. Ce grand analyste a vu un refoulement de la recherche de sens dans nos civilisations. Ces dernières cherchent mais ne doivent pas le montrer. Alors laissons-là cette frustration collective, et donnons-nous le droit et le temps de chercher et de trouver ce vers quoi nous souhaitons aller, en quoi nous désirons croire.

Et le travail me direz-vous ? Il doit regretter probablement amèrement ses sources latines qui font de lui un instrument de torture. Car le mot "Travail" vient de "torturer". Et il traîne ainsi tristement et depuis longtemps sa réputation. Il aurait probablement désiré plutôt être utile quand les angoisses de mort deviennent trop violentes pour l'individu, pour lui changer les idées et l'aider à mieux penser. Mais voilà, l'occident l'a affublé, tel un bourreau, d'une cagoule noire et de sombres ustensiles. Et c'est ainsi, tristement habillé, qu'il attend quand même, patiemment, une personne qui chercherait du sens, affrontant ses angoisses, et qu'il se réjouirait d'aider.


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7 réactions à cet article    


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 27 décembre 2012 12:27

    Le travail n’ est pas du tout une torture lorsque l’ on exerce un

    métier dont on sait maîtriser les paramètres .

    C ’est même beaucoup plus qu’ un plaisir , le travail .

    S’ épanouir dans un turbin donne des joies incroyables . 

    Mais un vrai turbin , pas Sneufeu dans une usine à gaz ni fonctionnaire
    dans une administration . 

    Perso je suis boulanger et à 66 ans je travaille encore quelques mois 
    dans l’ année .

    C ’est magnifique de créer . 

    Dommage que quelques idiots croient penser qu’ un apprentissage 
    serait dégradant . 

    Et le type qui associe travail et torture doit en effet faire un sale boulot .
     

    • Romain Desbois 27 décembre 2012 12:34

      t’es bon comme le pain blanc mon petit mitron.

      Mais ne croit pas que la farine arrive à dos d’esclave, remercie la sneufeu d’avoir rempli les grands moulins de Paris


    • rocla (haddock) rocla (haddock) 27 décembre 2012 12:39

       Mon petit  couillon , 



       Avant la SNEUFEU  les meuniers broyaient l’ écorce de blé pour 
      moudre la farine . 

      Tes esclavavagissements  ne changeront rien à l’ enthousiasme
      de celui qui fait . 

      Les grands perdants de la vie sont ceux qui ne font jamais rien . 



      • Romain Desbois 27 décembre 2012 13:04

        oui mon petit paneton

        On le sais tu t’es fait tou seul, en pleine jungle . Oui oui on sait le trains roulent à vide.

        d’ailleurs quand ils font grève on ne s’en aperçois pas puisqu’ils ne foutent rien d’habitude.

        On connait mon petit pain rassis.


      • Parlez moi d'amour Parlez moi d’amour 27 décembre 2012 16:07

        Probablement que le mot « travail » n’est pas le plus approprié pour définir le temps professionnel qui serait peut être mieux ciblé par le mot emploi qui rapproche l’utilité et l’action.
        Effectivement le mot travail est davantage entendu pour dénoncer la contrainte et la pénibilité. Malheureusement dans le vocabulaire journalistique actuel le travail est synonyme de gagne-pain et décrédibilise tout plaisir parce qu’il est invariablement opposé aux congés ... et pourtant quoiqu’on fasse de nos journées, c’est notre vie qui fuit, utile ou non.


        • Le péripate Le péripate 27 décembre 2012 18:13

          Toujours cette étymologie fantaisiste qui coure internet. Le « tripallium » est un trépied qui sert à immobiliser le cheval. Ainsi le travail est ce qui immobilise, et c’est tout.


          • David Etienne 27 décembre 2012 18:51

            Travailler v. est issu (1060) d’un latin populaire « tripaliare », littéralement « tourmenter, torturer » avec le « trepalium », du bas latin « trepalium », nom d’un instrument de torture. P .Guiraud invoque un croisement entre « trepalium », qui désignait aussi un appareil à ferrer les bœufs, et le roman « trabiculare » de « trabicula » « petite poutre » ; trabicula a pu désigner le chevalet de la question et « trabiculare » signifier « torturer » et « travailler », c’est-à-dire supporter une charge comme le chevalet

             

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