Affaire Armande Côté : quand la procédure l’emporte…
« Justice a été rendue » devait déclarer Armande Côté, 61 ans, le 29 novembre 2007, en quittant précipitamment le palais de justice de Sorel après son acquittement surprise par le juge de la Cour supérieure Guy Cournoyer, pour le meurtre au second degré de son conjoint, André Hogue, 63 ans. Le verdict avait été prononcé avant même la tenue du procès. Malgré une preuve accablante, le magistrat, en réponse à une requête de l’avocate de l’accusée, avait décrété que les policiers avaient commis plusieurs erreurs grossières qui invalidaient la majorité des pièces retenues contre l’accusée. « Il est regrettable qu’en 2007, un tribunal soit encore forcé de rendre une telle décision » avait commenté le juge.
Des preuves accablantes
Le soir du 22 juillet 2006, Armande Côté signale le 911, apparemment pour venir en aide à son conjoint, trouvé inerte selon ses dires dans le gazébo derrière leur chalet du 23, chemin Landry, à Pierreville. Une ambulance accourt chercher Hogue et la femme reste sur les lieux. C’est après un examen au scanner qu’un médecin découvre des bouts de métal dans la tête, plus tard identifiés comme les résidus d’une balle de calibre 22.
Alertés, des policiers se rendent au chalet vers minuit, sans mandat, et inspectent les lieux. Ils constatent un trou dans la moustiquaire du gazébo et un autre dans la vitre du solarium. Vers deux heures, Côté est amenée au poste de la SQ, tandis que les recherches se poursuivent sur place. On demande à la conjointe de Hogue une relation écrite des événements. Visiblement suspectée, elle se met à table : une déclaration est enregistrée sur vidéo. Ce n’est qu’à 5h23 qu’on l’autorise toutefois à consulter un avocat. Les mandats de perquisition ne seront pas obtenus avant 8h32 et 9h55, respectivement. Entre-temps, les policiers ont découvert que le coup de feu a été tiré à partir d’une fenêtre de la maison. L’étau se resserre.
L’avocate de la défense, Me Carole Gladu, a pu faire invalider ces lourdes preuves au motif que les droits de sa cliente auraient été violés, en vertu de la Charte des droits et libertés, puisqu’elle a été détenue sans être informée des motifs retenus contre elle, que les policiers ont pénétré chez elle sans mandat, qu’elle a été surveillée dès leur arrivée, qu’elle a été interrogée sans avoir pu consulter un avocat, que des subterfuges auraient été employés pour fouiller la résidence et qu’enfin, Côté a été retenue au poste de police et contrainte de rédiger une déclaration.
Le syndrome de la femme battue
Inutile de dire que les deux filles de la victime, Stéphanie et Marie-Claude, ont vivement réagi à un tel dénouement. « Tu va l’avoir sur le cœur pour le reste de ta vie », s’écriait l’une d’elle à l’adresse de Côte, au moment où cette dernière quittait les lieux, entourée de ses proches. Force est d’admettre que la sensibilité des deux jeunes femmes, comme celle des deux sœurs d’André Hogue, Michelle et Immaculée, a été mise à rude épreuve devant la tournure fortement médiatisée du drame, où la victime était momentanément devenue l’agresseur, par la magie de ce concept si populaire en droit criminel québécois appelé syndrome de la femme battue. En vertu d’un tel argument, d’étonnants verdicts d’acquittement ont été rendus.
Les trois sœurs d’Armande Côté ont par ailleurs contribué à alimenter cette thèse questionnable. « La violence psychologique, c’est pire qu’une tape sur la gueule » s’était déjà exclamée l’une d’elles le 25 juillet 2006, peu après le meurtre. « C’est sûr qu’elle n’avait pas toute sa tête ! Sûr ! Sûr ! Armande, c’est une femme qui est droite. » L’institut Philippe Pinel devait pourtant la tenir responsable de ses actes, en conclusion de son rapport psychiatrique. La soeur qui s’exprimait ainsi réalisait-elle qu’elle reconnaissait implicitement que l’accusée avait pressé la détente ? Avait-elle recueilli une confidence déterminante ? Les trois femmes avaient précisé que le couple s’était formé 14 ans avant le drame, mais que depuis quatre ans, la situation dégénérait. Après une séparation, Hogue aurait selon elles continué à appeler une autre femme connue entre-temps. Rumeur ou vérité ? Dans ce cas, la thèse du meurtre passionnel deviendrait plausible.
Riposte familiale
Devant cette soudaine inversion des rôles, la riposte des filles et des sœurs d’André Hogue ne s’est pas fait attendre. « Y a beaucoup de femmes qui subissent de la violence, mais quand c’est les hommes qui en sont victimes, y a rien qui sort. » affirmait l’une d’elles le lendemain. Marie-Claude, la fille aînée de la victime, ajoutait : « Je n’ai pas envie qu’on salisse Armande. Mais ce qu’on a lu et entendu ne reflète pas la vérité. » Et sa sœur cadette de renchérir : « Ce qu’on voit, c’est que c’est lui le méchant, que c’est lui qui a provoqué ça. Je ne suis pas d’accord ! C’est lui la victime ! » Et Marie-Claude de conclure : « On n’a jamais connu de violence quand il vivait avec notre mère. Et moi, je ne crois pas que cette femme (Armande) soit atteinte du syndrome de la femme battue. » Autre son de cloche, n’est-ce pas ? C’est pas fini.
Les deux sœurs d’André Hogue ne donnaient pas leur place pour défendre la mémoire de leur frère. C’est au moment où Hogue prend une préretraite en s’installant à Pierreville qu’il fait la connaissance de Côté. « Le début de la misère » soupire l’une d’elle. Mais il l’aime… Il l’aide financièrement. Quand Armande se découvre un cancer, il la soutient et l’envoie se faire traiter aux États-Unis. Malgré cela, le couple se sépare à six reprises. Les deux sœurs affirmaient avec conviction que leur frère, un homme respecté, aimait l’accusée « trop ! Et jusqu’à la fin ! ». Elles devaient réfuter la thèse du harcèlement par des échanges avec une autre femme. « Sur le système de communication Internet, c’était Armande et André ensemble… » Nous voilà bien loin d’un homme violent, adepte de sévices psychologiques…
Lueur à l’horizon
Dès 2008, la famille de Hogue avait exercé des pressions auprès du ministre de la Justice de l’époque, Jacques Dupuis, afin qu’il intervienne dans ce dossier déroutant. Un site avait été mis en ligne afin de publiciser la cause et de sensibiliser le public. C’est enfin le 18 février 2010 que trois juges de la Cour d’appel ont cassé le verdict d’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès devant juge et jury. Dans La Voix du 26 février 2010, Marie-Claude Hogue déclarait : « C’est la première fois depuis 43 mois que la famille se sent supportée par la Justice. C’est comme si nous étions seuls à porter cette charge depuis tout ce temps. »
L’avocate de Côté a aussitôt contre-attaqué, le 13 avril 2010, en déposant devant la Cour suprême du Canada une demande d’autorisation pour en appeler de la décision de la Cour d’appel. Les neuf juges du plus haut tribunal canadien devaient s’accorder, le 15 mars dernier, de cinq à six mois avant de donner une réponse qui devrait normalement être imminente.
Il serait judicieux de se demander si, Charte des droits et libertés ou pas, un verdict d’acquittement aurait pu être prononcé dans un cas similaire, mais où l’accusé aurait été un homme, et la victime, une femme. Poser la question, n’est-ce pas y répondre ? Quant à la déshonorante inversion des rôles de victime et d’agresseur, inutile de dire que les médias ne s’en seraient jamais faits les complices. Lorsqu’en plus de mourir par une main criminelle, un homme voit sa mémoire souillée publiquement, c’est comme on l’assassinait deux fois. Quand de surcroît son agresseur, quel qu’il soit, reste impuni, c’est à se demander ce que vaut la vie humaine, aux yeux de notre système, quand elle n’est « que » masculine…
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