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Aimer ou mourir

La Joconde est au Louvre, les gondoles sont à Venise, ce que le « j’aime » est à facebook. Un bouton revêtant la couleur bleue des liens hypertextes, donnant l’envie de cliquer dessus instinctivement. Une forme de petite main au pouce levé qui renvoie au corps du consommateur, à son image, son identité virtuelle mais aussi au geste bien connu de la vie courante qui relève de tout un jugement. Cette petite icône est devenue un élément inévitable du réseau social, une icône qui semble au premier abord anodine, un simple petit clic et le tour est joué, mais elle recouvre plusieurs significations. Aujourd’hui, on peut aimer tout et n’importe quoi, surtout n’importe quoi, il suffit d’un coup de pouce. On aime notre chanteur préféré, le film dont tout le monde parle, notre livre de chevet, la photo de tante Jacqueline, on aime cette marque de céréale qu’on mange tous les matins ou encore cette marque de vêtement trop onéreuse pour nous. Tout utilisateur peut donc témoigner de son amour, et peut être témoin de l’amour qu’on lui témoigne mais est-ce qu’on aime réellement tout ce qu’on affuble d’un « j’aime » sur facebook ?

Le « j’aime facebookien » est une manifestation de l’intérêt de l’autre concernant ce que l’on est ou ce que l’on fait, autrement dit la reconnaissance de notre personne, de notre travail par l’effet d’un clic. Lors de sa création, le « j’aime » se voulait utile pour les internautes, aujourd’hui il est à la limite du vital pour exister sur la plateforme. Globalement, ça consiste en une interaction non verbale, qui est strictement signale. Par conséquent cela ne remplacera jamais le sentiment d’amour comme on l’entend, un « j’aime » ne remplace pas une caresse, un câlin ou une tape sur l’épaule bien que parfois… Parfois on se laisse prendre au jeu. On reçoit une notification qui fait plaisir, nous disant qu’une personne apprécie telle chose nous concernant, ou alors c’est nous qui apprécions une phrase ou une photo et on le notifie à l’intéressé par un « j’aime », ainsi on se connecte entre nous, on s’apprécie facilement et mutuellement, on se sent proche les uns des autres, on se projette virtuellement dans des existences qui ne sont pas notre mais qu’on aimerait incarner et avec une simple caresse de souris sur un pouce bleu, on arrive plus ou moins à l’incarner. Au lieu de devoir écrire ce que l’on pense, on a juste à cliquer, on peut directement alerter les gens de notre accord, de nos goûts, on peut dépeindre notre personnalité d’un clic, ce qui facilite l’expression (en théorie) mais cette facilité n’engendre que rapidité et superficialité. A force de se contenter d’un clic, la communication avec des mots est réduite à un simple signe éphémère.

En conséquence le principe du « j’aime » devient un appel de phare, mettre un « j’aime » de passage, pour montrer que nous sommes là, passer à autre chose, mettre un autre « j’aime » en ayant déjà oublié celui d’avant identique à un désir qui s’efface au profit d’un autre qui s’installe. Quand auparavant nous aurions pris la peine d’apprécier, d’approfondir, et d’étayer sa pensée pour la formuler, aujourd’hui on ne sait même plus ce qui se cache derrière un « j’aime » semblable à un fragile « je t’aime » aux prémices d’une amourette. C’est devenue une approbation quotidienne des autres à l’encontre de notre vie, notre bonheur, un soutien souvent hypocrite (car aimer le fait que ton ami facebook se soit cassé la jambe, ce n’est pas très compatissant), les « j’aime » sont devenus une habitude, un réflexe, une industrie, une course poursuite à qui empochera le plus de pouces levés quand la quantité ne fait pourtant pas, la qualité. Si les « j’aime » ont autant de succès, c’est bien parce que tout le monde peut donner son avis, partant de là, le « j’aime » sert de mégaphone pour se faire entendre mais comment se distinguer parmi cet amas d’avis ? La différence réside dans la popularité et dans l’audimat, plus tu es « aimé », plus tu es populaire, plus tu seras écouté et plus ton avis aura de la valeur. Mais encore faut-il être pertinent ! Mission ambitieuse pour ces badauds qui ne poussent pas la réflexion plus loin qu’un simple tapotement de souris On se retrouve avec des Nabila ou des Dan Bilzerian ayant une notoriété virtuelle invraisemblable car le nombre de « j’aime » ne reflète pas la qualité du contenu mais simplement l’effet de masse, car la masse attire la masse et du coup, plus on obtient de pouce bleus plus on en attirera car tous veulent se conformer à aimer ce que les autres aiment (même si c’est clairement abrutissant) pour se sentir exister et faire partie du monde.

Faire partie du monde, voilà le but ! Outre une formule d’acquiescement, de communication, d’affection c’est aussi une formule qui consiste à dire « j’existe, je suis là » même si c’est le temps d’une microseconde, le temps d’une notification et d’un clic furtif. L’essentiel étant de faire partie de la vague, qu’on surfe dessus, qu’on aime ce qu’il faut présentement aimer, ce que le fil d’actualité propose d’aimer car au final on ne choisit même plus, c’est automatique, machinale, mécanique. Malgré tout, les « j’aime » continuent de pleuvoir, les internautes du monde entier continuent d’utiliser cette illusion virtuelle qui sans doute, selon eux, reflète leur valeur bien que ce soit une valeur erronée. En effet, lorsque l’ego se mêle à l’idiotie latente, on se retrouve à se pavaner sur des sites, à nourrir sa propre image pixélisée car à ne pas avoir de but on s’en invente, et si le but du 21ème siècle est d’avoir un million de « j’aime » sur internet alors on les aura : Aléa Jacta Est ! Ainsi commence le matraquage, mitraillette chargée, on fusille à coup de pouce en l’air. On se sent important, on se sent libre et existant. On aime et on est aimé (ou alors on supprime vite), on fait partie d’un groupe, d’une communauté, on oublie que l’on est assis seul derrière l’écran sur le canapé. Si pour certains, cela se révèle réconfortant d’avoir des « j’aime », et si pour d’autres ça les encourage dans leur travail, leur art ou autre, à force d’utilisation intempestive le bouton « j’aime » semble perdre de son poids et de sa crédibilité. Quand une célébrité de téléréalité a plus de « j’aime » qu’un intellectuel, on peut s’interroger sur l’intérêt, la pertinence et la sincérité de ces pouces bleus.

Outre le thermomètre de popularité qu’il est, c’est difficile d’attribuer un autre rôle à ce concept, surtout dans le cas où il est limité. Le « j’aime » est omniprésent, on doit l’admettre mais quand est-il de son contraire « je n’aime pas » ? C’est comme si dans une classe, on encourageait toujours les têtes de file sans jamais positionner les derniers. Telle est l’injonction : aime ou meurt, c’est vendeur tout de même, au moins les produits qui ne « marchent pas » passeront à la trappe sans passer par la case « jugement » vu qu’on ne peut pas les juger. Nous sommes assujettis à l’euphorie. Ainsi, il reste que ce qu’on aime, et si on n’aime pas ? Maldonne ! Notre désapprobation peut aller voir ailleurs, il vaut mieux se conformer et suivre le mouvement que d’essayer de lutter contre la marée « d’amour » virtuelle, sinon on s’y noie. Cette soumission virtuelle reflète la léthargie de la société, au lieu d’écrire des mots, on clique, au lieu de comprendre pourquoi on adhère, on clique, on a l’impression de faire quelque chose de concret alors qu’il n’en est rien. Pourquoi aider les autres ? J’aime déjà la page « contre la faim », c’est suffisant, non ? Peut-être est-ce pour racheter notre conscience, on clique à ne plus savoir que faire pour oublier le temps qui passe et la mollesse dont on fait preuve, on étouffe notre âme contestatrice, on accepte de ne plus dire « non » pour ne dire que « oui ». Un « oui » éphémère, un « j’aime » virtuel n’ayant pour signification que ce qu’on lui donne au moment même où on clique dessus mais rien de plus, rien de vrai ni de réel.

Imaginez si Rosa Parks et Martin Luther King s’étaient contentés d’aimer une page « contre la ségrégation raciale », ou encore si Gandhi avait aimé une page « pour l’indépendance de l’Inde » et plus encore, imaginez tous ces gens qui les ont soutenu, tous ces militants, s’ils n’avaient été que des chiffres, s’ils n’avaient pas été tête, bras et corps, qu’en serait-il aujourd’hui ? L’inde serait-elle indépendante ? La ségrégation continuerait-elle ? Peut-être que si Hitler s’était satisfait d’une page « Vive la race arienne » et si les SS n’avaient été que des « serials likeurs » son projet serait resté au stade de la théorie… Qui sait 


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5 réactions à cet article    


  • Le p’tit Charles 24 janvier 2015 11:12

    Face-Bouc...la lobotomisation des peuples...et ça marche.. !


    • Shaï Shalaï Lama 24 janvier 2015 12:05

      Si seulement la lobotomisation se limitait à Facebook, ce serait nettement plus facile...


    • Alpaco 24 janvier 2015 19:24

      L’auteur n’a probablement pas osé, il y a surement pensé : « J’aime donc je suis ».

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