Comment vivre dans un monde déchu ?
Acte I : Elucubration et méditations
Les sociétés changent et l’existence de chaque individu évolue, avec une conscience et une pensée offrant divers angles de vue sur le monde et des interprétations à géométrie variable, selon le temps et l’espace. Un hégélien dirait que le sujet singulier est relié à l’universalité de l’Histoire, ce qui signifie une connivence, voire une cohérence entre le monde changeant et les individus qui se transforment dans leur conscience pour agir en retour sur le monde. Cette vision fait un peu dans la cybernétique. Hegel parlait plutôt de dialectique. Pour ma part, je suis certain de la pertinence d’un schéma hégélien mais ce schéma n’est pas universel, ni englobant et parmi les consciences singulières, certaines sortent du cadre historique. Sorte de mysticisme existentiel créé par un désengagement face à la fureur du monde et autres visions, venues d’un temps qui s’invite à la fête, faisant irruption telle la clairière rencontrée après avoir traversé la forêt dense. Mais le temps se défile aussi rapidement qu’il arrive et le monde suit sa course. Je ne sais pas pourquoi je raconte ça. Sans doute le spectacle offert par le monde occidental avec des dirigeants européens à la diplomatie approximative pour ne pas dire stupide. Quant à la vie politique française, autant dire qu’elle finit par m’indifférer tant l’insignifiance gagne les esprits et les lieux communs occupent les médias. Rien à commenter sur ces élections. Le FN monte comme l’abstention et c’était attendu, comme du reste la chute du PS à travers les personnalités locales rendues responsables de l’échec politique national.
Même si une certaine modestie a traversé les esprits apaisés, d’aucuns ont manifesté quelque satisfaction dans cette déroute de la gauche analysée comme une punition. Des penchants jubilatoires hantent les médias de masses satisfaits de voir des têtes tomber. C’est d’époque que ce penchant à commenter la vie politique en terme de combat des chefs, sans prendre souci du rôle des élus locaux et des choses vécues par les administrés, dans des villes parfois agréables et d’autres fois sinistres, avec le chômage galopant et divers signes d’incivilité. Je ne vois plus de solution dans le politique, ni dans l’économie. Je préfère m’égarer sur les chemins de traverse et regarder l’homme en face, avec ses qualités et ses défauts, sa bonté ou ses intentions corrompues. Les problèmes contemporains ne sont pas économiques ni politiques, ils sont par essence moraux, éthiques et « intellectiques ». Je parle évidemment de l’intelligence humaine qui fait défaut à notre époque, comme à toutes les époques. Mais je préfère laisser de côté ce thème de l’intelligence. L’essentiel ce sont les intentions, bonnes chez les uns, mauvaises chez les autres, et le plus souvent inconscientes. Les gens qui produisent chez autrui le bien ou le mal le font souvent sans conscience ou du moins, sans calcul autre que servant un intérêt personnel, presque de manière automatique. Comme si le destin des humains dépassait les compréhensions de la raison. L’homme est-il bon ou mauvais ? Cette question oriente vers des temps anciens, avec la théologie chrétienne et les hérétiques qui comme les Cathares avaient jugé notre monde matériel mauvais, inclinant à ne pas y demeurer en tant qu’espèce. L’univers de pensée des hérétiques médiévaux n’est pas accessible pour nous, modernes. Les hérétiques cherchaient le salut, les modernes cherchent le confort et la vie réussie. Les hérétiques vivaient dans un monde rustique, les modernes vivent dans un monde d’enfants gâtés et même gâteux.
La sagesse en ce monde gâté et déchu se raconte dans des livres écrits par Onfray, Ferry, Lenoir et quelques autres faiseurs de carpe diem attitude. Mais ces livres ratent la vision consciente du système. L’homme est bon et pourri dans des degrés et proportions variables. La philosophie n’a pas encore éclairci le lien entre le mal et le progrès. Mais maintenant, le progrès est achevé et le mal, ou le bien, sont des efficiences humaines qui se greffent au système technique. Le monde politique se dévoile avec un peu de pourriture mais le monde civil ne vaut guère mieux. Il y a pourtant des âmes bonnes et généreuses ; j’en connais quelques unes. Dans la réalité quotidienne, l’homme ne peut pas être entièrement bon ou pourri. La vie est une épreuve pour l’âme. Comme il y a des siècles. Sauf que le monde moderne voudrait supprimer cette épreuve, comme si là était le dessein du progrès. Il y a eu confusion entre la matière et l’esprit. Le progrès matériel n’entraîne pas nécessairement un progrès spirituel. C’est même l’inverse qui se produit depuis un bon moment. D’ailleurs les événements historiques des années 30 ont alerté les consciences sur la nature humaine. Nous avons oublié ces événements qui ne sont pas regardés frontalement par la plupart des gens. Regarder le mal en face ?
Je continue à écrire, sans savoir où ces confessions vont mener. Certainement moins loin que Augustin ou Rousseau. Surtout que ces confessions ne font pas partie d’un projet littéraire et qu’elles virent aux élucubrations. J’observe en dilettante les choses du monde et les vit avec une désinvolture passionnée. Quoique, cette passion s’accompagne d’une idée de suicide déclinée en farce confessionnelle servent à conjurer un monde qui révulse avec ses insignifiances médiatiques et cette vision d’une société gagnée par l’ensorcellement économique, sans compter les sacrés abrutis qui gouvernent et les crapules fraudant le fisc comme si l’enjeu de ces malfaisants de la finance était de pourrir la vie des gens d’en bas avec un sentiment de perversion narcissique exacerbé et élevé au niveau supérieur qui se consume avec un cigare. Les dieux de la finance sont des fumeurs de Havane. Et les dieux de la politique des fumistes de Paname. Les motivations des fraudeurs de fisc nous échappent. Il y a les justiciers qui tentent de signifier, non sans quelques arguments, que l’Etat dépense mal ; et il y a les salauds qui se croient au-dessus des lois parce qu’ils ont l’argent. Et il y a moi qui se décompose en essayant de composer un impossible tableau du monde.
Il y a aussi ces médias qui lynchent, en soutenant les sanctions envers des nations qu’ils ne comprennent pas, en appelant au remaniement, comme si changer de tête allait permettre de changer de politique. Les médias sont gagnés par la bêtise infinie et même par une sorte d’intention malsaine généralisée dans l’univers politique. Le remaniement les fait frétiller parce que c’est une punition dont il s’agit. Il faut punir Jean-Marc. Souvent, le punitif se substitue au juridique. A Avignon, les administrés risquent d’être punis en étant privés de festival si la mairie est gérée par le FN. Les médias de masse semblent se délecter de la déchéance mais ils sont eux aussi déchus par leur propre faute. Punir, un idéal pour Sarkozy autant que Montebourg. La politique punitive comme ersatz de justice dans un univers de gouvernance déchu.
Les bonimenteurs nous incitent à chercher la réussite, l’agent, le bonheur, sans configurer l’existence dans le réel. Le monde est en surface une supercherie, en profondeur un éternel combat entre le bien et le mal. Ecrire ou lire sur le bonheur est plus agréable que comprendre le mal. Hélas, les enseignements les plus profitables à l’homme concernent le mal et non pas le bien. Est-ce si certain ? Je m’égare, chers amis. Connaître le chemin du bien s’avère bien utile mais souvent vain. La vision du mal laisse transparaître le suicide ou alors à la quête du salut. C’est de vision gnostique dont il s’agit, une vision qu’eurent en leurs temps les hérétiques médiévaux tétanisés de toute leur conscience face à la brutalité d’un monde dont ils ne percevaient que la face sombre. Eliade a consacré quelques pages aux mouvements hérétiques. A cette époque, l’Eglise était en crise, avec un clergé virant à la déchéance. Les cathares considéraient le monde terrestre comme voué au mal. Leur souci était un salut obtenu en laissant ce monde, en refusant la procréation, pour rejoindre le monde des purs esprits. Sans doute faut-il insister sur cette crise de l’Eglise où les clercs se livraient à la débauche, tenaient des tavernes pour subvenir à leurs besoins, négligeaient de traduire la Bible, obérant de ce fait l’instruction religieuse, taxaient toutes sortes de services, y compris les messes pour les morts. Le christianisme n’était accessible qu’à travers les moines et les prêtres. Eliade interprète l’hérésie cathare comme un mouvement millénariste inspiré par l’Orient et marqué par une pénétration dans les esprits. Eliade n’hésite pas à comparer un autre mouvement millénariste mais contemporain et qui eut un succès mondial, le marxisme-léninisme (en occultant un autre mouvement de même acabit, le nazisme).
Finalement, ces élucubrations et confessions ont mené vers des considérations plus philosophiques. Notre société semble marquée par la déchéance si bien que la question du salut se pose, mais aussi celle d’un mouvement qui semble être une réplique du séisme marxiste, mais cette fois dans une doctrine non plus axée sur le matérialisme historique et la lutte des classes mais sur la pureté sanitaire, les normes du vivre et de l’alimentation, la lutte contre le climat. Marx voulait le salut pour les prolétaires, l’agenda 21 veut le salut pour la planète et l’homme contemporain réduit à son stade de producteur et consommateur dans le grand parc à thèmes du marché des loisirs. Peut-être faut-il penser une fois de plus la question du salut en expliquant ce qu’on entend par salut à notre époque et surtout comment la vie contemporaine avec ses technologies peut-être interprétée comme une déchéance de l’homme. Mais au fait, qu’est-ce que l’homme ? Une créature qui navigue entre la déchéance et le salut peut être… de quoi écrire un bel essai…
A ce stade de réflexion, quelques questions à poser et résoudre. Qu’est-ce que la déchéance, comment la percevoir, la concevoir, dans un contexte anthropologique. Rien ne va de soi en philosophie. Un monde peut paraître déchu pour les uns ou accompli pour les autres. Chacun voit midi à sa porte alors que d’autres cherchent midi à quatorze heures. Il est temps de remettre les pendules à l’heure et de penser ce monde en considérant que l’homme n’est pas déchu mais qu’il construit sa propre déchéance ou alors gagne le salut. Quant aux sociétés, elles progressent en en concordance avec la déchéance. C’est cela qu’il faut comprendre pour éclairer l’avenir d’un monde qui semble aveuglé par les leurres économistes, écologistes et technologistes. La technique alliée à la marchandise est un terreau pour la déchéance. A suivre.
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